Revue Romane, Bind 8 (1973) 1-2Le Lai de NabaretPAR POVL SKÅRUP Le lai de Nabaret a été publié deux fois: Mi = Francisque Michel, Charlemagne, An Anglo-Norman poemofthe twelfth century, Londres, 1836. Le texte principal du livre est le Voyage/Pèlerinage de Charlemagne; le texte du lai se trouve dans le glossaire, pp. 90-91. C'est l'édition qu'ont utilisée presque tous ceux qui se sont occupés du lai. Ma = Frederick Madden, dans Notices et Extraits des manuscrits concernant Vhistoire ou la littérature de la France qui sont conservés dans les bibliothèques ou archives de Danemark, Suède et Norvège, par A. Geffroy, publiés comme livre (Paris, 1855; réimpression à paraître en 1973, Slatkine Reprints, Genève) et comme série d'articles dans les Archives des missions scientifiques et littéraires, où Nabaret se trouve dans le vol. IV, 1856, 197-8, suivi de la traduction française de la traduction norroise du lai et d'un essai Dans le manuscrit unique qui nous le conserve, Nabaret est précédé des lais de Haveloc et de Désiré et suivi du Roman des eles de la prouece, par Raoul de Houd^nc, et du Donnei des Amants. C'est un ms. anglonormanddatant de la fin du XIIIe siècle ou du commencement du XIVe. Il a été décrit par G. Paris, dans Romania 25, 1896, 497 ss., et par William H. Robinson Ltd., dans leur catalogue no. 83 (Londres, 1953) 1-3. Il appartenait autrefois à Sir Thomas Phillipps, Cheltenham, no. 3713, et fait partie actuellement de la collection de M. Bodmer, Cologny près Genève. Ce ms., que je désigne par T, n'a pas pu être utilisé pour la
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présente édition, qui prend donc pour base les deux éditions citées cidessus.Les textes de celles-ci diffèrent trop pour permettre de faire une édition diplomatique du ms. Le copiste de celui-ci semble d'ailleurs avoir fait plusieurs fautes, mais peu de corrections. Dans ces conditions, une nouvelle édition doit être critique. Le lai se trouvait également dans le ms. anglo-normand perdu dont la table des matières a été copiée avant 1270 dans le ms. VII de l'Ecole de Shrewsbury. Il y portait le titre de Nobaret (G. E. Brereton, «A Thirteenth-Century List of French Lays and other Narrative Poems », dans Modem Language Review 45, 1950, 40-45). La traduction norroise du lai, faite vers le milieu du XIIIe siècle, se lit dans Strengleikar eòa Lioôabok, p.p. R. Keyser et C. R. Unger, Christiania, 1850, 81-82. Je la désigne par N et la reproduis ci-dessous. Cette traduction a été traduite en français moderne par A. Geffroy (à l'endroit cité, 198-9), en danois par H. Winter-Hjelm (Strenglege eller Sangenes Bog, Kristiania, 1850, 144-5) et en norvégien moderne par H. Rytter (Strengleikar eller Songbok. Omsett frà gammalnorsk av Henrik Rytter, Revidert og medei innleiing av Kjell Venâs, Oslo, 1962, 162-4). Je reproduis ci-dessous la traduction française de Geffroy.
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Le lai de Nabarez En Bretaigne fu ii laiz fet 19-20: la colère de Nabaret est causée par la jalousie, non par «her dressmakers' bilis» (G. Schoepperle, p. 285). 20: entente ad vers Mi, Entente ait vers Ma; peut-être: [Mais] smentente [aveit en (ou a)] autrui, ou: Smentente [aveit mise enjd] autrui. 19: pur Mi, par Ma. 19: Mi et Ma indiquent une lacune devant ke; peut-être: E dist ke, cp. N. 17: priveement «quand les deux époux étaient seuls ensemble» ou «quand il était seul sans elle». 16: chastia ne signifie pas «beat» (G. Schoepperle, p. 285), mais «reprocha», cf. N; la dame n'est pas une «mal mariée» pareille à celles des chansons des m.m. 16: plusurs Ma, plusure Mi. 14: tut ne parait-ele Mi, Jut ne fait eie Ma; fere est probablement l'adj. fiere, cp. ofprvôlega N, mais Vïnf. faire ne peut pas être écarté (dans le Donnei des Amants, conservé dans le même ms., manere rime avec contrefere, Rom. 25, 1896, 532, voir aussi M. K. Pope, From Latin to Modem French, 1934 et 1952, § 1146); aucune conjecture ne s'impose. 13: asez ... lut Mi, Asez . . . bit Ma, peut-être: Asez porvit 'il observa une grande partie de ce qu'elle faisait' ou Asez dolut 'il souffrit beaucoup'. 12: ríust Mi, neust Ma, mais le subjonctif ne convient pas ici; deux conjectures sont possibles: nen ot de ce cure (T-L II 1156.9-37) et: ne prist de ce cure (T-L VII 1743.14-24). la première convient mieux pour ie sens: 'cela lui déplut'. 10: e [à] lacie[r] e à guimpler Mi; Ma a le même texte sans crochets. 8: de tut sun atente Mi, tut sun atente (sans de) Ma. 8: peut-être aturna, mais voir Tobler-Lommatzsch I 363.19 et 21 et VIII 664.28. 7: ainsi Mi et Ma, peut-être: Noble [e] curteise, cp. v. 4. 1: N semble avoir lu reis au lieu de laiz. Titre: pour le nom ici et ailleurs, voir ci-dessous.
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Naboreis streingleicr I Kornbreta lannde var konungr einn. En Bretagne (i kornbreta lannde) était un roi appelé Naboreis. C'était un chevalier courtois, brave et hardi aux armes, méchant pour ses ennemis, bon pour ses amis. Il avait un grand royaume et un immense patrimoine. Il épousa une femme de riche et haute naissance, superbe et polie, belle, bien élevée et bien faite. Elle appliqua toute sa pensée à se bien vêtir, à se parer avec goût, à orner sa robe de rubans, à charger sa tête de toute sorte d'ornements de femme qu'elle trouvait propres à embellir et parer, car elle était excessivement prodigue. Naboreis, son seigneur et mari, réfléchit sur ces habitudes, et il lui déplut beaucoup qu'elle voulût se parer avec tant d'excès. Il en était souvent irrité contre elle, et la réprimandait secrètement avec de dures paroles: il parlait sans cesse de sa présomption, de son orgueil et de son luxe, et il disait que tout cela n'était sans doute pas pour lui plaire, mais plutôt pour quelque autre vers qui son penchant l'entraînait. Traduction française a" A. Geffroy:
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Sa beuté li fut suffrable 48: nun Mi, nuns Ma. 47: Nabarez Mi, Nabaret Ma, voir ci-dessous. 45: ce vers, omis dans N, appartient au v. 44 d'après Mi et ceux qui suivent son édition, mais aux vers suivants d'après Ma, cp. le lai de Chievrefoil, v. 106. 44: lius recunterent Ma, liuz [le] recunterent Mi. 42: De la dame appartient à li respuns d'après Mi, mais à se sunt parti d'après Ma. 41: // Mi et Ma, -- le, comme souvent dans ce ms. 39: ses Ma, sez Mi. 37: dites Mi, distes Ma. 36-40: pour l'interprétation de ces vers, voir ci-dessous. 36: N semble avoir lu jugement --= orskurô. 34: m'envest Mi et Ma, m'en vest Paulin Paris. 29: Parenz manda ço ke plout Mi et Ma; le sens du vers doit être comme dans N: Par [eus li] manda. Le verbe plaire ne s'emploie guère sans objet indirect, mais ço ke [li] plout donne une syllabe de trop; cependant ço n'est pas nécessaire, cp. «Mani nos», dist Guert, «que li plaira» (Rou 111 7223, cité par J. Korte, Die beziehungslosen Relativsàtze im Franzosischen, Gòttingen, 1910, 60). 26: ses Ma, sez Mi; 'ses parents à elle', non 'à lui'. 25: k'el Ma. k'ele Mi. 24: le lacier Ma, Vcilaicer Mi. 23: //' mase. (= lui) comme ailleurs dans ce ms. 23: il ne Ma, ele ríel Mi. 22: oef Mi et Ma. 21: la graphie fut peut dans ce ms. représenter l'indicatif fu{Ô)lfut ou le subjonctif fusi. 21: ainsi Mi et Ma; il manque une syllabe, peut-être au début du vers comme dans les deux vers précédents: [Car] sa beuté . . .
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Hann kvaô ser lica athœvi hennar. bo at hon vaere ei sva mikillat Il ajouta qu'il l'aimerait bien sans qu'elle fût si magnifique en ses vêtements, avec ses robes garnies et ses précieux ornements de tête et son orgueil unique dont elle faisait parade. Or comme elle ne voulait en aucune façon se modérer ni renoncer à sa fierté insupportable, Naboreis, son seigneur et mari, envoya chercher plusieurs de ceux qui lui étaient le plus chers, et quand arrivèrent, entre autres, les plus proches parents de la dame, il se plaignit devant eux de ce qui lui déplaisait en sa conduite, et il lui fit dire par eux qu'il était fort ennuyé de ce qu'elle ne voulait pas se relâcher de son esprit hautain. Si elle y consentait il serait bien aise qu'elle se conformât à ses conseils, et qu'elle renonçât à sa présomption. Or, écoutez maintenant comment elle répondit au message de son mari. «Seigneurs, dit-elle, s'il déplaît à mon mari que je m'habille et me pare dignement, comme c'est la coutume des dames belles et courtoises, je ne sais aucune autre réponse à son message, sinon de lui dire de ma part qu'il laisse croître sa barbe et ses favoris et qu'il les coupe ensuite, alors il se sera bien vengé comme un seigneur jaloux.» Ceux qui entendirent la réponse de la dame partirent d'auprès d elle en riant beaucoup de ses paroles, et se divertirent de sa réponse; et celle-ci fut colportée au loin et demandée partout. Ceux qui tenaient école de chansons firent un beau lai sur Naboreis, et appelèrent le lai de son propre nom.
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Titre. Le nom de Nabaret attribué communément au mari et au lai n'est probablement pas la forme de l'original. La première partie du nom n'y était probablement pas Naba- comme dans T, mais Nabo- comme dans N ou Noba- comme dans la liste de Shrewsbury: T est postérieur aux deux autres témoins. Tl y a deux arguments pour penser que le nom finissait en -rez ou en -raiz dans l'original tant à l'ace, qu'au nom., et que -et dans la liste de Shrewsbury et aux vers 2, 3 et 12 du ms. T (d'après Mi) est dû à un changement de suffixe fait par des copistes: (1) Le ms. le plus ancien, N, a -reis et -rez, et non -ret; (2) La distribution, dans T, d'après Mi (Ma écrit partout Nabaret), des formes en -ret et en -rez, à laquelle correspond dans N la distribution de -reis et de -rez, n'est pas celle des deux cas: dans les deux exemples en -rez, dans le titre (confirmé par G. Paris et par William H. Robinson Ltd., dans leurs descriptions du ms.) et au v. 47, on s'attend à un ace, et dans deux des trois exemples en -ret, aux vers 3 et 12, on s'attend à un nom.; dans le troisième exemple en -ret, au v. 2, le nom a une fonction d'accusatif et rime ayte fait ou faiz, participe épithète. Pour d'autres exemples de -ez remplacé par -et, voir Kr. Nyrop, Grammaire hist. de la langue française 111, 1908, § 222, et W. Meyer-Liibke, Franzôsische Wortbildungslehre, 2e éd., 1966, § 133. - Le nom de Nabaret a été discuté par E. Brugger dans Z.f.frz. Spr. u. Lit. 49, 1927, 443. Localisation. Ahlstrôm 1892 pensait que le lai avait été composé en Angleterre, tandis que Gròber 1902 affirmait qu'il était « continentalfrz. ». Je ne connais pas d'argument en faveur de l'avis de Gròber; celui du philologue suédois peut être appuyé par deux arguments. D'abord, les trois manuscrits qui témoignent du lai sont anglo-normands (celui de Thomas Phillipps, celui de Shrewsbury et celui qu'a utilisé le traducteur norvégien), et rien n'indique qu'il ait été connu au sud de la Manche avant 1836. L'autre argument est le vers 38: «K'il face crestre la barbe grani». Paulin Paris y supprimait la, sans doute parce qu'il pensait que le vers avait une syllabe de trop, mais on ne trouvera guère d'exemple parallèle sans déterminatif. On obtiendrait un texte correct en corrigeant ainsi: «La barbe face crestre grant», mais la faute du copiste serait difficile à expliquer, et l'ordre des mots dans les deux éditions, Mi et Ma, est confirmé par la traduction norroise, qui semble supposer le texte suivant: «k'il face crestre la barbe grant e les gernuns, e puis trenchier» (cette leçon est probable pour le v. 38, mais non pour le v. 39). Cependant,le vers est excellent à condition d'être anglo-normand: on trouve en effet dans des textes anglo-normands - mais presque jamais dans des
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textes continentaux - des vers octosyllabes se composant de 4 syllabes Date. Ahlstròm pensait que Nabar et avait été composé «temligen tidigt» (assez tôt), tandis que L. Foulet (dans Z.f. rom. Phil. 32, 1908, 264) et Gertrude Schoepperle (1922, p. 285) l'attribuaient au XIIIe siècle. Il n'est pas à ma connaissance d'argument qui puisse appuyer l'une ou l'autre de ces hypothèses. Interprétation. L'interprétation du lai, qui par sa matière est une sorte de castia-gilos, réside dans l'interprétation des vers 36-40. Pour avoir des chances d'être juste, une interprétation de ces vers doit remplir trois conditions: elle doit respecter le texte, elle doit expliquer comment ce qui est dit aux vers 38 et 39 peut constituer la vengeance d'un mari jaloux, et elle doit expliquer pourquoi ceux qui ont entendu la réponse de la dame «s'en ristrent e gaberent» et en quoi consiste «le déduit de la parole». Il faut insister sur la vengeance, comme l'a fait l'auteur luimême (36 «Jo ne sai autre vengement», 40 «Issi se deit gelus venger»; il doit s'agir de la même vengeance dans les deux vers, il ne faut pas interpréter celle du v. 36 comme une vengeance qu'elle voudrait exercer sur lui; il est moins probable qu'il faille lire jugement au v. 36, voir la note); quelques-uns des critiques ont fait tant d'efforts pour trouver de quoi rire qu'ils ont oublié d'expliquer le vengement. Le texte que doit respecter une interprétation de cette parole n'est pas tout à fait sûr. Il est vrai que les deux éditions, Mi et Ma, sont d'accord pour la leçon du ms. T, mais d'une part la traduction norroise semble supposer un texte légèrement différent aux vers 36 et 39 (voir ci-dessus), d'autre part l'identité du verbe trescher au v. 39 n'est pas établie. Le verbe trescher ne peut, dans ce contexte, être identifié ni avec trader (< *tractiare) ni avec trichier 'tromper' ni avec treschier 'danser', et il doit s'agir de trenchier 'trancher' ou de trecier 'tresser'. Il y a un seul argument pour lire trenchier, c'est le fait que le traducteur norvégien ait lu ainsi. Il y a deux arguments contre trenchier. Tandis que les exemplesde grenons treciez ne sont pas rares (voir T-L IV s.v. grenon et l'article de G. Schoepperle), trenchier par contre convient aussi mal dans le contexte que trancher dans la traduction en français moderne, et le verbe qui conviendrait serait plutôt rere (< radere) ou co(l)per ou tondre ou peut-être oster (pour des exempleb de trenchier, voir T L IV 623.34 et 37 et VII 317.51 ; dans Aio! 6576, cité T-L TV 621.31 et 624.4, tranne* est probablement une faute de copiste pour treciez, cp. les vers, par
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ailleurs identiques, cités T-L IV 623.49 et 624.2). Et même si trenchier convenait pour la langue, on trouverait difficilement une interprétation qui satisfasse les deux autres conditions formulées ci-dessus. Holmes 1937 lit trenchier, mais sans proposer d'interprétation (voir ci-dessous). Geffroy 1855, p. 200, propose une interprétation pour trenchier et une autre pour trecier; en voici la première: «quand mon mari exige queje renonce à ma toilette, c'est comme si je lui demandais de renoncer à sa barbe et à ses favoris», mais on ne voit pas en quoi consisterait la vengeance. - Quant à la graphie trescher pour trecier, le même ms. contient un exemple analogue dans Désiré, v. 543, où estacha = eslaça, dérivé de lacier (c'est à tort que Godefroy 111 478 a et FEW V 231a considèrent eslacha dans Désiré comme dérivé de laschier). On peut donc suivre le texte du ms. T, mais en lisant trecier. Voici Grôber 1902 résume notre «anekdotischen Gedicht, worin die Frau die Forderung des Gatten vom Putz abzulassen mit der Gegenforderung an ihn beantwortet, dass er den Bart weder wachsen lassen noch pflegen solle, wodurch sie die Lâcher der Gesellschaft auf ihre Seite bringt ». Ce résumé ne satisfait à aucune des trois conditions formulées ci-dessus, pas même à la première : on ne saurait moins respecter un texte. Paulin Paris 1856: «La dame répond à ses parents qu'elle y consentira dès que son mari voudra bien, de son côté, laisser croître sa barbe et tresser ses moustaches.» Holmes 1937 résume de la même façon, si ce n'est qu'il lit trenchier: «Her response is that he must first eut off his moustaches and let his beard grow, then she will yield. » Mais dans le texte, la réponse n'est pas une promesse, c'est un refus; ce n'est même pas une promesse implicite, puisque le mari ne se vengerait pas en satisfaisant aux conditions posées par sa femme. Ahlstrôm 1892 (je traduis): «Si tu veux te mêler de ce qui ne te regardepas et de ce que tu ne comprends pas, à savoir de ma toilette, je veux, de mon côté, avoir mon mot à dire sur ce qui te regarde. Je t'ordonnedonc de laisser pousser la barbe, assez pour que tu puisses tresser les moustaches; ainsi tu seras aussi bizarre que je le serais si je suivais tes ordres sur ma toilette.» - G. Schoepperle 1922, p. 291, a adopté une interprétation pareille: «If you disapprove so much of being in the fashion, go and look like a doddering old patriarch yourself. Don't expect me to.» - Donovan 1969: «She tells them that her husband should hâve his beard braided like a patriarch : only then can a jealous, old-fashioned husband take vengeance on a wife who wants to follow
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thè styles. » - Mais un mari jaloux ne se venge pas en se rendant bizarre La seule des interprétations proposées qui explique la vengeance du mari jaloux tout en respectant le texte, est la première de toutes celles qui ont été proposées. C'est celle de Geffroy 1855: ««Si mon mari est fâché de me voir parer et me bien vêtir, hé bien! qu'il fasse croître sa barbe, et friser ses favoris; ainsi se doit jaloux venger, » c'est-à-dire «qu'il se fasse plus coquet et plus élégant que moi,» et peut-être «qu'il me rende jalouse, s'il peut, comme il l'est lui-même. » » Cette interprétation suffit-elle pour expliquer également pourquoi les parents de la dame «s'en ristrent e gaberent»? C'est difficile à dire à presque huit cents ans de distance. Mais il ne me semble pas impossible que la surprise du défi émancipé qu'elle lance à son mari au lieu de la soumission attendue ait suffi, avec peut-être la façon indirecte de le formuler, pour faire rire des rieurs faciles. Sinon, on peut avoir recours en second lieu à l'idée d'Ahlstrôm et de G. Schoepperle : il est possible que la dame sous-entende que si son mari suivait son conseil, il ne parviendrait qu'à se rendre ridicule. Ces deux critiques n'ont pas raison de penser que la barbe longue et les favoris tressés suffisent à eux seuls pour le rendre ridicule: G. Schoepperle a montré que dans les textes de l'époque, les favoris tassés «are invariably worn by patriarchs or by persons of great weight and dignity » (p. 287); elle n'a pas montré qu'on en ait ri. Seule la combinaison des attributs de l'âge avec la galanterie rendrait Nabaret ridicule, comme le sera Harpagon portant des lunettes pour plaire à Mariane.
Povl Skârup ÁRHUS Bibliographie. Outre les ouvrages cités ci-dessus, on consultera :Paulin Paris, dans Histoire littéraire de la France 23, 1856, pp. 68 et Axel Ahlstrôm, Studier i den fornfranska lais-litteraturen, Upsala, 1892, G. Grôber, Grundriss der romanischen Philologie, 11, 1, Strasbourg, 1902, Gertrude Schoepperle, «The Old French Laide Nabar et», dans The U. T. Holmes, A History of Old French Literature, New York, 1937, 283. M. J DonovaN, The Breton Lay: A guide to varieties, London, 1969, |