Revue Romane, Bind 8 (1973) 1-2

Sur la disparition de la déclinaison casuelle de l'ancien français

PAR

LENE SCHØSLER

La disparition de la déclinaison casuelle de l'ancien français a fait l'objet de nombreux essais d'explication. Nous écarterons immédiatement les explications extra-linguistiques (psychologiques, psycho-systématiques etc.l), parce qu'elles ne nous satisfont pas, pour donner un bref aperçu des principales théories linguistiques qui ont été avancées. Nous finirons par proposer nous-même une explication du problème qui tienne compte des théories traitées.

Les théories proprement linguistiques se répartissent en deux groupes dont l'un cherche la cause de la disparition de la déclinaison dans une influence provenant d'autres langues, alors que l'autre la cherche dans la langue française elle-même.

Dans le premier groupe entre principalement en ligne de cause le superstrat germanique2 qui expliquerait à la fois l'existence d'un système casuel français (et rhéto-roman) en opposition aux autres langues romanes (moins le roumain) et la disparition de ce système, provoquée par la fin de l'influence germanique. Pourtant la théorie est contestée par le système de l'ancien provençal, déclinable comme l'ancien français, sans qu'il ait pu subir l'influence germanique3.



1: Vossler: Positivismus und Idealismus in der Sprachwissenschaft, p. 12 ssqu. Heidelberg 1904. E. Lerch: Historische franzôsische Syntax, tome 3, p. 269 ssqu. Leipzig 1934. G. Guillaume: Esquisse d'une théorie de la déclinaison, Langage et science du langage, pp. 99-107, Paris 1964. G. Moignet: Sur le système de la flexion à deux cas de l'ancien français, Mélanges . . . Pierre Gardette, pp. 339-356, Strasbourg 1966. P. Guiraud: plusieurs articles et livres dont nous ne signalons que: L'ancien français, «Que-sais-je?» no 1056, Paris 1968.

2: A. Meillet: Sur une période de bilinguisme en France, Acad. des inscriptions et belles-lettres 1931, pp. 29-39. V. Vàânanen: A propos de Ys final, Buletinn 1 1 (1950) pp. 33-40.

3: K. Togeby: Déclinaison romane et déclinaison roumaine, Immanence et Structure, Revue Romane, no spécial 2, 1968, pp. 139-149.

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Un autre argument qui contredit cette théorie est celui qui est fourni par D. Norberg4 et R. A. Haadsma &J. Nuchelmanss. Selon eux, une différence de déclinaison s'observe dans les textes romans écrits avant l'époque où serait possible l'influence germanique : en Gaule, le cas sujet se distinguait toujours6 des cas régimes plus ou moins confondus. Dans le reste de la Romania, par cont~e, le cas sujet et les cas régimes étaient confondus.

D'autre part on a eu recours au substrat pour expliquer l'existence et la disparition de la déclinaison7: àen juger d'après le basque, qui doit être considéré comme une survivance de la langue ibère, cette langue ne paraît pas avoir distingué un cas sujet et un cas régime; ainsi on n'aurait pas senti le besoin de maintenir la distinction latine dans la Péninsule ibérique. En Gaule, le substrat celtique, possédant un système casuel analogue au système latin, aurait eu une influence conservatrice sur la distinction casuelle. Cependant, le celtique - comme le roman, mais quelques siècles plus tard - aurait eu tendance à éliminer la catégorie des cas. Lorsque cette tendance aboutit, on observe la disparition de la déclinaison du britannique, suivie de celle du français, du provençal et du rhétique, ultérieurement suivie de celle de divers dialectes allemands. Ainsi l'élimination des cas en français, en provençal et en rhétique s'acheva comme celle des autres langues romanes (moins le roumain), seulement avec un certain retard.

Cette théorie se vérifie difficilement, ce qui la rend déjà peu satisfaisante. En plus elle se base sur deux facteurs inexpliqués: la tendance romane et celtique à l'élimination casuelle. Dans une certaine mesure la théorie ne fait que déplacer le problème.

Dans le second groupe on cherche les causes de la disparition casuelle
dans l'ancien français même: soit dans l'irrégularité de la déclinaison
casuelle, soit dans les changements phonétiques ou syntaxiques.

L'argument systémologique disant qu'une partie importante des substantifsse
soustrait à la déclinaisonß ne réussit pas, sans l'indication d'un



4: Syntaktische Forschungen . . p. 26 ssqu. Uppsala 1943.

5: Précis de latin vulgaire p. 47, Groningue 1963.

6: sauf dans les noms propres et les féminins de la première déclinaison latine.

7: Togeby op.cit. p. 143, et, dans une certaine mesure, H. Schmid: Zur Geschichte der râtoromanischen Deklination. Vox Romanica 12 H951) pp. 21-81.

8: les noms propres, tous les féminins de la première déclinaison latine, type CAPRA, les indéclinables masculins, type cors, auxqueis s'ajoutent les féminins de la troisième déclinaison latine, type FLOS, qui n'ont jamais eu de déclinaison conséquente, cf. L. M. Skrelina: De l'économie de certains changements grammaticaux en ancien français, La Linguistique 1 (1968) pp. 61-78, L. Foulet: Petite syntaxe de l'ancien français §§ 45-49, Paris 1967, P. Groult: La formation des langues romanes, 3, p. 169 ssqu. Tournai 1947 et F. Brunot: Histoire de la langue française I p. 335, Paris 1966.

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facteur démarreur, à expliquer ni pourquoi le système casuel était maintenu malgré ces irrégularités dont la plupart ont subsisté dès le premier siècle de notre ère, ni pourquoi la réduction a fini par se produire à un moment donné.

Cette théorie nous amène pourtant à mettre en doute l'importance de la déclinaison: on vient de voir que bon nombre des substantifs (selon Foulet9, environ la moitié) échappaient àla déclinaison casuelle. Pourtant ces substantifs ont pu fonctionner aussi bien que ceux qui se déclinaient, pour exprimer soit le génitif sans préposition: Duel dou corrouz sa dame (Graal 24, 8 cit. Foulet), soit le datif sans préposition: La bone dame de Vostel / Dona trop bonfermailacoste . . . (Guill. de Dôle v. 1824-25, Foulet), soit le sujet ou l'objet: Quant la nouvelle oit Vabbaesse I Hault s'escrie .. (Galeran v. 2404-5, cit. Foulet).

Pour comprendre comment la langue a pu maintenir ainsi une fonction casuelle sans marque morphologique, il faut supposer l'existsnce d'autres facteurs susceptibles d'assurer la fonction casuelle. Nous allons regarder de plus près les fonctions de sujet et d'objet: Dans les phrases où un substantif indéclinable est sujet et / ou objet, on trouve les combinaisons suivanteslo: (1) la pucele voient les vaches, (2) les vaches voit la pucele, (3) la pucele aloit menant H plus sages, mais on ne trouve pas une phrase comme (4) la vache voit la pucele, signifiant spontanément aussi bien objet-verbe-sujet que s-v-o. C'est-à-dire que les facteurs qui assurent la compréhension de telles phrases sont: A: le fait que le sujet et l'objet ne sont pas du même nombre (1 +2), B: la combinaison d'un substantif indéclinable et d'un mot déclinable (un substantif déclinable (3) ou un pronom déclinable). Nous pouvons en ajouter d'autres: C: la combinaisond'un substantif animé et d'un substantif inanimé dans une phrase comme: la fille mangea le fruit, et D: la transitivité du verbe. Dans la phrase [il] voit la fille, fille est nécessairement l'objet. L'existence de ces facteurs - et d'autres encore (voir ci-dessous) - est importante pour



8: les noms propres, tous les féminins de la première déclinaison latine, type CAPRA, les indéclinables masculins, type cors, auxqueis s'ajoutent les féminins de la troisième déclinaison latine, type FLOS, qui n'ont jamais eu de déclinaison conséquente, cf. L. M. Skrelina: De l'économie de certains changements grammaticaux en ancien français, La Linguistique 1 (1968) pp. 61-78, L. Foulet: Petite syntaxe de l'ancien français §§ 45-49, Paris 1967, P. Groult: La formation des langues romanes, 3, p. 169 ssqu. Tournai 1947 et F. Brunot: Histoire de la langue française I p. 335, Paris 1966.

9: Les noms féminins et la déclinaison en ancien français, A mise. . . . presented io L. E. Kastner, pp. 264-275, Cambridge 1932, où se trouvent les exemples cités.

10: voir entre autres A. Terracher: Géographie linguistique, histoire et philologie p. 273 ssqu. Paris 1924.

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pouvoir fixer le rôle de la déclinaison casuelle en ancien français.

Une cause souvent avancée pour expliquer la disparition de la déclinaiso nll est celle-ci: l'aniuïssement de Ys final aurait, à cause de son rôle morphématique, amené la désintégration de la déclinaison. Pourtant un fait semble indiquer que cette théorie pourrait être inexacte : l'ancien provençal et l'ancien rhétique, comme l'ancien français, ont perdu leur déclinaison casuelle au cours du moyen âge, mais ils ont tous deux conservé Ys (qui commence seulement à s'amuïr en provençal). Pour contrôler cette théorie, il faudra examiner de plus près Ys final :

Nous voulons d'abord attirer l'attention sur un fait concernant la portée de l'amuïsscment de Vs: l'évolution phonétique n'a pas pu toucher les déterminants qui indiquaient les cas au moyen d'un changement de voyelle: l'article défini (//, le - li, les), les pronoms démonstratifs ((i)cist, (i)cest, (i)cestui - (i)cist, (i)cez; (ï)cil, (i')cel, (i)celui - (i)cil, (i)cels') et les pronoms possessifs atones à déclinaison mixte (mes, mon - mi, mes; tes, ton - ti, tes; ses, son - si, ses).

Après l'amuïssement de l'i, on pourrait s'imaginer un système casuel fonctionnant au seul moyen de ces déterminants - éventuellement suppléé par les facteurs A, B, C et D qui se sont révélés capables d'assurer la fonction casuelle des indéclinables.

Or, il faut reconnaître que la distinction de nombre aurait été abolie par l'établissement d'un tel système de déterminants, les flexifs verbaux étant presque toujours homophones aux le, 3e et 6e personnesl2. Tl y a donc eu les deux possibilités suivantes: ou bien maintenir la distinction numérale aux dépens de la distinction casuelle, ou bien maintenir la distinction casuelle aux dépens de la distinction numérale. En fait, c'est la première qui s'est réaliséel3.

Il est difficile d'établir une chronologie de l'amuïssement de Ys finall4



11: voir entre autres: L. Foulet: L'extension de la forme oblique du pronom personnel en ancien français, Romania 61 (1935) pp. 257-315, 401-463 et R. 62 (1936) pp. 27-91. G. Millardet: Linguistique et dialectologie romanes, Paris 1923. W. Meyer-Liibke: Historische Grammatik der franzôsischen Sprache I, Heidelberg 1913, § 252 p. 187.

12: li/cist/cil mur(s) tombe - li/cist/cil mur tombe(nt). cf. Foulet: L'extension Romania 61 (1935) p. 275 ssqu.

13: cf. J. Kuryfo\vic7- Ta nature des procès dits « analogiques "», Acta Linguistica 5 (1945-49) pp. 15-37.

14: cf. les dates divergentes chez M. K. Pope: From latin to modem french § 613 ssqu , Manchester 1934 (12f siècle), Millardet, op.cit. p. 151 (13e siècle), etc.

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A partir de l'anglo-normand, il doit pourtant être possible d'en trouver
un terminus a quo :

Lorsque le français fut introduit en Angleterre en 1066, Vs se prononçait encore. Cela se constate à la fois à l'intérieur du mot puisqu'un mot comme tempeste (s — consonne sourde) est transmis à l'anglais avec un s (tandis que Vs s'était amuï devant consonne sonore, type isle, transmis sans s), et à la fin du mot par le fait que la déclinaison casuelle et la conjugaison verbale ont été transmises à l'anglo-normand. En France ramuïssement a donc pu se produire au plus tôt vers 1070.

Les études faites jusqu'icils nous amènent à poser la chronologie suivante pour Vs final : Dans la langue française, Vs devant consonne commence à s'amuïr à partir du lle siècle, tant à l'intérieur du mot qu'à la syllabe finale si le mot est étroitement lié au mot suivant, c'est-à-dire surtout dans la combinaison déterminatif + substantif. L'amuïssement se produit d'abord devant consonne sonore et plus tard (12e et 13e siècles) devant consonne sourde.

Le caractère phonético-syntaxique de ramuïssement fait que celui-ci touche seulement plus tard les verbes; dans la langue parlée, peut-être au 13e siècle, alors que dans les textes on en rencontre les premiers exemples dès le 14e siècle. L'amuïssement gagne ensuite les autres combinaisons pour devenir total au 15e sièclel6.

En anglo-normand, ramuïssement se produit de même à partir du 1 Ie
siècle, mais il aboutit plus tard, sans doute à cause de l'anglais qui conserve
IV7.

Cela revient à dire que, avant le 13e siècle, l'amuïssement a dû apparaître à l'état sporadique et surtout dans les déterminatifs. Ce n'est que lorsque ramuïssement s'est étendu aux substantifs et aux verbes qu'il a pu être fatal. Or, les textes du 12e siècle révèlent la désintégration du système casuellB. Dans cette période les erreurs de déclinaison n'ont pas pu être causées par l'amuïssement de Vs.

Les textes écrits avant le 12e siècle (par ex. Saint Alexis, la Chanson de
Roland) et qui sont transmis en dialecte anglo-normand, présentent une



15: surtout Foulet". L"extension ... et T. Franzén: Etude sur la syntaxe des pronoms personnels sujets en ancien français, Uppsala 1939.

16: cf. P. Fouché: Phonétique historique du français, 3, p. 664, Paris 1966.

17: cf. M. K. Pope: A note on the flexion and thè syntax of thè anglo-normand rhymed Apocalypse, Me'l. Mario Roques 111, Paris 1952, pp. 237-242.

18: cf. L. Foulet: De la valeur de ¡a statistique en syntaxe descriptive, Romania 48 (1922) p. 133.

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désintégration casuelle fort avancée, avant même que l'amuïssement de
Ys ait eu quelque importance.

A cause de ces faits de chronologie, Famuïssement de Ys ne suffit pas à
expliquer la disparition des cas.

G. G. Laubscherl9 accepte la théorie que nous venons de traiter, mais en plus il attire l'attention sur 22 conditions, surtout syntaxiques, qui auraient contribué à la réduction casuelle. Parmi ces conditions les 9 citées ci-après sont considérées comme les plus importantes :

1) le double genre (l'existence de deux formes parallèles: // images - la image,
fi prophètes - fa prophète).

2) l'influence du genre neutre (type: si cum il est devant dit, Layettes du trésor
des Chartes 11, p. 219).

3) le vocatif (biau frère, seignor, au lieu de biaus frere(s), sire, cf. Moigaet,
op.cit.)

4) les constructions absolues (identiques aux constructions absolues latines, type : Baduc dou Castil Perilleus / Qui vient por asanbler a els / Soi dissime de chevaliers, Veng. Raguidel, v. 3217-19). A en juger d'après les discussions de K. Titz, L. Foulet et H. L. Humphreys2o, il semble légitime d'admettre une influence sur l'évolution casuelle des pronoms, mais pas sur celle des noms.

5) être +le cas régime. Laubscher soutient2l que la réduction des cas serait spécialement avancée dans la construction attributive. Pourtant nos statistiques - sur 18 textes de l'ancien français - montrent que dans tous les textes le nombre de fautes contre la déclinaison des sujets dépasse celui des fautes contre celle des attributs. (Dans Siège de Barbastre, par ex., 375 sujets ont été mis au cas régime, 160 attributs au cas régime.) Il faut d'ailleurs prendre en considération qu'un sujet n'était pas obligatoire, qu'un sujet pronominal était plus fréquent qu'un sujet nominal et que - à en juger d'après des sondages-la construction attributive semble être une des constructions favorites de l'ancien français.

Une opinion tout à fait contraire à celle de Laubscher, à savoir que la
fonction attributive a eu un effet conservateur sur la déclinaison, a été



19: The syntactical causes of case-reduction in old french, Princeton, 1921.

20: La substitution des cas dans les pronoms français, Brno 1926. L'extension de la forme oblique. . . A study of dates and causes of case-reduction in the old-french pronoun, New York, 1932.

21: la même conception chez Moignet, op.cit. et Guiraud (L'expression du virtuel dans le Roland d'Oxford, Romania 83 H962) pp. 289-302), tandis que B. Woledge, J. Beard, C. H. M. Horton et I. Short (La déclinaison des substantifs dans la Chanson de Roi. Romania 88 (1967) pp. 145-174) expriment une opinion plus nuancée.

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avancée par P. Meyer22. (cf. aussi les dialectes rhétiques qui conservent le
cas sujet comme forme d'attribut.)

6) prépositions qui se combinent avec les deux cas. Un complément prépositionnel en fonction de sujet est parfois mis au cas sujet au lieu du cas régime: des i qua trente chevalier / S'erent aie esbaneicr, Marie de France 22323.

7) accusatif + infinitif (type : Tesmongnent lui auoir fait encore enfazon, Li
dialoge Gré. lo Pape p. 39). La construction ne se trouve guire en dehors
des traductions latines.

8) entre - et (type: Et se uint de Nostre Dame entre lui et la roïne, Récits d'un ménestrel de Reims, v. 369.) Des discussions de G. Ebeling, K. Titz et L. Foulet24 sur cette construction indiquent une influence possible de cette construction sur la réduction casuelle des pronoms, mais pas sur celle des noms.

9) la condition syntaxique la plus sûrement fatale à la déclinaison serait la postposition du sujet2s et l'ellipse du verbe. En ce qui concerne le dernier point nous avons constaté des fautes de déclinaison dans ce type de construction (ex: Or elle fut en prison, elle et son mary et leur lignée, Le livre du chev. de la Tour Landry p. 93.) Sur 18 textes, 8 ont des sujets au cas régime (a) dans des propositions à verbe fini, aussi bien que (b) dans des propositions elliptiques. La répartition des fautes est: (a) 519, (b) 65.

L'influence de la postposition sur la catégorie des cas a été examinée dans la Chanson de Roland par l'équipe de Woledge (op. cit.) qui indique qu'on trouve le sujet postposé au cas régime 6,9% plus souvent que le sujet placé avant le verbe. N. C. W. Spence26 constate une différence de 25,8% en faveur de la postposition. A partir des chiffres donnés par l'équipe de Woledge, on peut cependant constater qu'il n'a examiné que la moitié des exemples du type qu'il s'est proposé d'examiner (les sujets déterminés).

Plus tard, une nouvelle équipe27 a démontré que remploi des cas dans



22: Romania 18 (1889) pp. 430-438.

23: selon K. Togeby: Oldfransk § 31,3, Copenhague 1970, on trouve la même construction en latin.

24: Problème der romanischen Syntax pp. 162-175. La substitution des cas . . . L'extension . . . Romania 61 (1935) pp. 413-433.

25: la même opinion chez Foulet, Moignet et Guiraud.

26: Existait-il en ancien français une opposition «actuel »/«virtuel »? Revue de ling. romane 30 (1966) pp. 183-197.

27: B. Woledge, H. M. Erk, P. B. Grout et I. A. Macdougall: La déclinaison des substantifs dans La Chanson de Roland, 2e article, Romania 90 (1969) pp. 174-201.

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le texte dépend du substantif: ainsi 94,3 % des imparisyllabiques, placés devant le verbe, sont au cas sujet, postposés, 88,1 % sont au cas sujet; par contre, 35,6 % des masculins en -e, -es, devant le verbe, sont au cas sujet, postposés, 52,6% sont au cas sujet.

Nos propres statistiques semblent indiquer que l'emploi du cas des sujets ne dépend pas de la position du mot dans la phrase : sur 18 textes, 3 seulement (Le Charroi de Nîmes, Le Miracle de Théophile et La Conquête de Constantinople de Robert de Clari) ont la plupart des fautes dans la postposition. Le total des fautes est: 275 s-v, 196 v-s.

Pour pouvoir évaluer le rôle de la postposition, il faut prendre en considération à quel degré les sujets - au cas sujet comme au cas régime - sont postposés. Nous avons étudié cette question chez Villehardouin et Robert de Clari, qui ont tous deux un nombre élevé de sujets postposés au cas régime.

Selon F. Baulier2B, les sujets nominaux dans les propositions subordonnées
(moins les relatives) se placent de la manière suivante :


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En ce qui concerne les propositions» principales, Baulier donne seulement les chiffres pour les trois chroniqueurs: s-v: 39,42%, v-s: 60,58%. Nos statistiques (basées sur des sondages) confirment cette proportion chez Villehardouin et Robert de Clari: s-v: 32,4%, v-s: 67,6%.

Les fautes contre la déclinaison (Villehardouin s-v: 17, v-s: 16, Rob. de
Clari s-v: 5, v-s: 11) se répartissent de la manière suivante:


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Dans les propositions principales il y a donc 35,7% des sujets au cas
régime placés avant le verbe et 64,3% après le verbe, ce qui concorde



28: Recherches sur iordre des mots dans les œuvres de ir. de Villehardouin, H. de Valenciennes et Rob. de Cluri, Paris 1950.

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avec la répartition de tous les sujets. Dans les propositions subordonnées, les chiffres correspondent également. Nos matériaux ne permettent donc pas d'affirmer une influence sur l'emploi des cas de la position dans la phrase29.

Les 13 conditions mineures indiquées par Laubschcr sont: 1) la déclinaison défective des noms propres, 2) les constructions appositionnelles (constructio ad sensum, type: Quant il voient mort lor signor / li seneschaus, qui si iert prous, Guill. de Palerme v. 5698-99), 3) l'accord changeant des distributifs et des collectifs, ex: Touz avoirs qui passe parmi la ville de Paris sunt quite, (Boileau, le livre des métiers p. 228 § 23), 4) les verbes impersonnels qui se combinent avec les deux cas (catégorie peu claire chez Laubscher), 5) les verbes à double cas, par ex. avoir (a) non, qui doit être suivi par le cas régime, mais qui - certainement par analogie avec être -se combine souvent avec le cas sujet3o, 6) l'accord changeant du participe passé dans les temps composés3l, 7) la confusion entre le gérondif (indéclinable) et le participe présent (déclinable) (point fort peu clair chez Laubscher), 8) les comparaisons - l'emploi de cas après comme et que^>2, 9) l'exclamation, 10) la double fonction (des nœuds de phrase du type : Car trestols [les anials] li a ja ostés / Cil chevalier que la veés / Armés sor le ceval Gascoing, Veng. Raguidel v. 340-343), 11) l'assimilation (se trouve surtout dans le cas des pronoms démonstratifs qui peuvent assimiler leur cas à celui d'un pronom relatif subséquent), 12) l'anacoluthe (normalement due aux problèmes de traduction de textes latins) et 13) les formules des chartes (qui n'ont pu agir qu'environ 200 ans après les débuts de la désintégration casuelle, étant donné que les chartes étaient à l'origine rédigées en latin).

De ce qui précède il s'ensuit qu'aucune des conditions syntaxiques avancées par Laubscher n'a pu provoquer une désintégration du système casuel de l'ancien français. Elles ont cependant constitué des points faibies de ia déclinaison dès le début de l'ancien français - voire dès le latin vulgaire (no 6 parmi les conditions importantes, no 1 et no 12 parmi les conditions mineures). Elles ne suffisent donc à expliquer ni le maintien de la déclinaison malgré ces points faibles, ni la date de sa disparition.



29: H. L. Humphreys, op.cit. p. 154, p. 157.

30: cf. Togeby: Oldfransk § 31,2.

31: cf. Togeby: Oldfransk § 31,5 et Poulet: Petite Syntaxe § 14.

32: cf. Guiraud: L'expression ... et le premier article de l'équipe de Woledge.

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Le dernier essai d'explication que nous allons présenter est celui-ci: la fixation de l'ordre des mots aurait rendu superflu - et aurait par conséquent éliminé -le système des cas33. Pour contrôler cette théorie, nous présenterons des statistiques sur l'ordre des mots dès les premiers textes jusqu'au 15e siècle. Nous ne citerons que les chiffres relatifs aux propositions principales, ce qui donne une idée plus claire. (Les études consultées ne tiennent pas toujours compte des propositions subordonnées où l'ordre des mots s-v semble dominer pendant toute la période - env. 80-90%.)


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Nous avons établi des statistiques sur les Serments, Eulalie, Alexis et Roland qui confirment ces résultats. Si nous laissons de côté les statistiques contradictoires sur Saint Léger, il nous semble légitime de présumer que l'ordre des mots s-v a constitué environ 2/3 des propositions principales dans les plus anciens textes.



33: voir entre autres E. Bourciez: Eléments de linguistique romane p. 688 § 559 et J. Cada: La déclinaison et la place du complément d'objet direct nominal, Paris 1925.

34: Les statistiques sur les plus anciens textes sont citées d'après L. Wespy: Die historische Entwicklung der Inversion des Subjekts im Franzôsischen . . Z.f.S.L. 6 (1884) pp. 150-209 et B. Vôlcker: Die Wortstellung in den àltesten franzôsischen Sprachdenkmàlern, Franzôsische Studien 3 (1882) pp. 449-504.

35: d'après Wespy.

36: d'après Vôlcker.

37: d'après Vôlcker.

38: cité d'après H. Mort.

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12e siècle :

Les Quatre Livres des Rois, traduction en prose d'un texte latin, ont été examinés - d'une manière assez inexacte - par A. Haarhoff39. Selon elle, l'ordre des mots s-v se trouve dans 80,6 % des propositions principales. J. Herman4o a examiné le même texte plus minutieusement; il conclut que l'ordre s-v occupe 69,2% des propositions principales. (Cada, lui aussi, a établi des statistiques sur ce texte, mais sans distinguer les propositions principales des subordonnées.)

Plusieurs statistiques ont été établies à partir du Chevalier au Lion
(poésie) dont les résultats varient entre s-v: 67%, v-s: 33% et s-v: 62%,
v-s: 38%41.

Nous avons nous-même fait une statistique sur le Siège de Barbastrc
(poésie): s-v: 48%, v-s: 52%.

13e siècle:

Villehardouin : La Conquête de Constantinople (prose) a été examinée par
E. Siepmann42, qui donne des chiffres inexacts et parfois contradictoires.
Elle signale que 60 % des prop. princ. ont l'ordre des mots s-v, 40 % v-s.

Les trois chroniqueurs ont été consciencieusement examinés par Baulier (voir note 27). Il trouve que l'ordre des mots sujet-verbe-divers régimes occupe 39,42% des prop. princ, l'ordre r-v-s: 60,58%. Nos propres statistiques confirment ces chiffres (voir supra).

On trouve plusieurs statistiques divergentes sur Aucassin et Nicolete:
s-v 62 s°/ 68 6°/ 77 s°/ v-s- 37 s°/ 314°/ 22 s°/43
s v. u¿,j /q, uo,u/o, / /,j /o, v a. j/,j/0, Ji,t/O, z.z.,j/o

14e siècle :

L'ordre des mots dans Joinville: Saint Louis (prose) est, selon Bourciez44,
s-v: 75%, v-s: 25%.

Dans Bérinus - texte en prose de la seconde moitié du siècle - la proportion,selon



39: Die Wortstellung in den Quatre livres des Rois, Munster 1936.

40: Recherches sur l'ordre des mots dans les plus anciens textes français en prose, Acta Linguistica . . Hungaricae 4 (1954) pp. 69-94 et 351-382.

41: voir p. ex. J. le Coultre: De F ordre des mots dans Chrétien de Troyes, Paris 1875.

42: Die IVortste/lung in der Conquête de Constantinople von Villehardouin, Munster 1937.

43: voir p. ex. Wcspy, op.cit.

44: op.cit. § 559.

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portion,selonles chiffres donnés par B. Lewinsky, est s-v: 70,9%, v-s:
29 1 °/45

H. Nissen46 a établi des statistiques sur 300 pages d'un texte en prose
de la fin du siècle. Il trouve l'ordre des mots s-v dans 57,7 % des propositions
principales, l'ordre v-s dans 43,3 %.

D'après des chiffres donnés par G. Price, nous avons calculé que, dans
le 12e tome des Chroniques de Froissart (env. 1400), les proportions sont
s-v 74 B°/ v-s- 25 2°/47
a v. /t,o/0, v a. z,J,z,/o

Nous savons fort bien que les statistiques que nous avons présentées sont insuffisantes, et nous espérons y remédier plus tard. Il doit pourtant être légitime d'en conclure que - pendant toute la période de l'ancien français - l'ordre des mots s-v a constitué 2/3 à 3/4 des prop. princ. Il n'est donc pas possible de prétendre que la fixation de l'ordre des mots ait provoqué l'élimination de la déclinaison casuelle.

Pourtant il faut se rendre compte que ce qui précède ne donne pas une image exhaustive de l'ordre des mots en ancien français. Même si l'ordre des mots n'était pas fixe, cela n'exclut pas qu'il ait pu dépendre de différents facteurs : s'il est possible d'interpréter la combinaison nom + verbe -f nom comme o-v-s aussi bien que s-v-o, il importe peu que l'une des constructions soit plus fréquente que l'autre: on court le risque de confondre le sujet et l'objet; d'autres facteurs doivent donc assurer la compréhension de l'énoncé. Le risque existe dans toutes les constructions: o-v-s:s-v-o, v-o-s:v-s-o, o-s-v:s-o-v, o-v:s-v, v-o:v- Par contre, si tout ordre de mots autre que s-v est provoqué par des facteurs localisables, le risque d'ambiguïté diminue et d'autres facteurs servant à assurer la distinction de l'objet et du sujet perdent de leur importance. Nous allons donc examiner à quel degré l'ordre des mots (autre que s-v) en ancien français a été dirigé par des règles :

1) Après un adverbe ou un complément circonstanciel initial, l'inversiondu
sujet est de rigueur4B. Dès les premiers textes, cependant, on rencontredes
phrases, normalement à sujet pronominal, sans inversion49.



45: Vordre des mots dans Bérinus . . . Gôteborg 1949.

46: L'ordre des mots dans la Chronique de Jean d'Outremeuse, Uppsala 1943.

47: Aspects de l'ordre des mots dans les «chroniques» de Froissart Z.f.R.Ph. 11 (1961) pp. 15-48.

48: cf. R. Thurneysen et F. Lerch Celui-là en donne une explication rythmique (Zur Stellung des Verbums im Altfranzôsischen, Z.f.R.Ph. 16 (1892) pp. 289-307), une explication sémantique (op.cit.)

49: voir Vòlcker, Wespy, Cada, Haarhoff, etc.

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Les statistiques montrent une tendance croissante, vers la fin de la périodede l'ancien français, à maintenir l'ordre s-v après un complément circonstanciel initial. La tendance est d'autant plus prononcée que le complément est plus longso.

2) Un objet initial provoque normalement la postposition du sujet. (Dans les propositions relatives où le pronom relatif est l'objet, l'ordre o-s-v est normal en ancien français ainsi qu'en français moderne.) Comme à 1) on trouve pourtant o-s-v dans des phrases à sujet pronominal dès les premiers textes; cette tendance s'accentue au cours du moyen âge.

Nous constatons donc, plusieurs siècles après les débuts de la désintégration des cas, une tendance vers le maintien de l'ordre des mots s-v après les facteurs qui ont à l'origine provoqué l'inversion. Cette tendance, qui apparaît presque exclusivement dans des phrases à sujet pronominal, ne peut donc être mise en relation directe avec la perte de la déclinaison.

Ayant constaté que les règles de l'inversion étaient valables pour l'ancien français (jusqu'aux environs de 1300), nous allons chercher les raisons pour lesquelles sont placés au début de la phrase les facteurs - surtout l'objet - qui provoquent l'inversion. Car, si la position était déterminée par des règles, l'ordre des mots aurait réduit l'importance de la déclinaison casuelle (voir supra).

Nous voyons diverses raisons sémantiques pour la position initiale de l'objet chez Haarhoff, Baulier et Lewinsky, mais elles sont trop peu sûres. Par contre, nous voyons chez Cada une étude détaillée des constructions ambiguës, établie dans le but de trouver les facteurs formels qui puissent déterminer la position initiale. Cependant, force lui est de renoncer à un établissement de règles formelles, et il doit se limiter à indiquer qu'un énoncé se comprend normalement sans équivoque au moyen de la déclinaison casueîîe ou simplement du contexte (à comparer un exemple comme Lors apele la reine la Dame de Malohaut si li dist . . . Lancelot IV v. 193-194 - v-o-s ou v-s-o?).

De ce qui précède on voit que le seul ordre des mots, en ancien français,
ne suffit pas normalementsl à assurer la distinction du sujet et de l'objet.
Il n'a donc pas pu contribuer à l'élimination des cas.



50: voir des chiffres chez G. Price, op.cit.

51: Dans la phrase: Tierce Jiede Deu Samuel apela (Quatre Livres des Rois 9,8), la règle suivant laquelle l'ordre des mots o-s-v ne se produit qu'avec un sujet pronominal, assure la compréhension univoque: s-o-v.

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Nous croyons donc avoir prouvé qu'aucun des éléments linguistiques présentés comme cause unique (phonétique, morphologique ou syntaxique) n'a pu expliquer l'évolution casuelle. Or, il nous semble probable que la cause consiste en un jeu combiné de ces éléments - et peut-être d'autres encore.

Pour pouvoir déterminer le rôle de chacun des éléments linguistiques
dans la désintégration du système casuel, il faut auparavant déterminer
la fonction même de ce système:

Etant donné que diverses expressions prépositionnelles ont remplacé les cas latins, sauf le nominatif et l'accusatif, la fonction principale a dû être de permettre la distinction du sujet et de l'objet (le datif et le génitif absolus, d'un emploi réglé et assez rare, constituent une exception peu importante)s2. Nous avons ci-dessus attiré l'attention sur le fait que cette distinction a pu être maintenue par d'autres moyens que la déclinaison, à savoir les facteurs A, B, C, D (voir p. 244), auxquels nous ajoutons E (l'ordre des mots - cf. note 51)53. Pour constater la fonction du système casuel, nous devons donc examiner le rôle des facteurs que nous avons relevés. A cette fin, nous avons examiné 18 textess4 de l'ancien français. Nous en avons relevé tous les exemples où le système casuel fait défaut, c'est-à-dire des exemples où les facteurs A à E sont seuls à assurer la compréhension de l'énoncé :

/: sujets au cas régime (537 exemples):

1) 52 expressions elliptiques (sorte d'apposition au sujet de la phrase) par ex:
Charroi de Nîmes v. 1258 : Qui sire estoit ... Il et son frère Otran le desfaé.

2) 252 sujets de verbes intransitifs:

a) 121 sujets du verbe être : Alexis 109, v. 543 :le cors an est an Rome la cité t.

b) 25 sujets d'un verbe pronominal: Chastelaine de Vergi v. 844: quant celé
a cui son cuer s'otroie.

c) 106 sujets d'autres verbes intransitifs: Alexis 114, v. 570: Feliz le liu û
sun saint cors héberget\



52: cf. Foulet: Les noms féminins..

53: La conception linguistique de J. Schmitt Jensen est à la base de cette étude (Subjonctif et hypotaxe en italien, Odense 1970), conception selon laquelle divers facteurs linguistiques - nommés syntaxèmes - coopèrent pour assurer une compréhension monovalente d'un énoncé. Seulement nous appliquons la théorie de Schmitt Jensen diachroniquement ; une application synchronique ne nous satisfait pas, ne pouvant pas donner une description exhaustive de la langue.

54: dont deux sous forme de sondage: La Chanson de Roland (éd. Bédier) et Joinviiie: Saint Louis (L'extrait dans A. Henry: Chrestumathie de la littérature en ancien français, Bern 1967).

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3) 170 sujets de verbes transitifs sans objet nominal:

a) 74 objets verbaux:

a) 18 obj. = infinitifs: Siège de Barb. v. 3884: et lor amis ne fine nt tote
jor de plorer.

3) 11 obj. = prop. subord.: Alexis 62, v. 308-9: Et tut le pople par
commune oraisun / Depreient Deu que conseil! lur an duins[t].

y) 45 obj. = discours direct: Villeh. § 16: Et li duc lor respont « .

b) 90 objets pronominaux:

a) 69 obj. = pronoms personnels (déclinables, le facteur B): Roi cliiv,
v. 2042: Mort sunt si hume, sis unt paiens vencut;

3) 15 obj. = pron. relatif que (déclinable, B): Charroi de Nîmes v. 955:
Par le conseil que H baron lor done.

y) 4 obj. =ce (le facteur C) : Joinville \.19: Et je li diz que ce me fe soient
les phisiciens, qui . . (en plus A).

5) 2 obj. = pron. indéfinis (déclinables, le fact. B): S. de Barb. v. 6127: En la premiere eschiele ert H cuens Aymeris J Et Vautre après avrà Guillaume le marchis, / L'arriére garde avrà li rois de seint Denis, (en plus le facteur C).

c) 6 phrases sans objet. Seul de tous les groupes que nous avons traités, celui-ci peut frôler l'ambiguïté puisque les verbes transitifs se construisent rarement sans objet; un substantif au cas régime passerait donc facilement pour un objet: Alexis 66, v. 328: Hoc esguardent tuit cil altre seignors (où les trois pronoms déterminatifs au cas sujet assurent la compréhension). La compatibilité des racines - que nous joignons provisoirement au facteur C - assure la compréhension des quatre exemples suivants: S. de Barb. v. 1970: Que, qant gè t'avrai mort, si savra l'amiré, S. de Barb. v. 5718, Joinville 1.11, 1.45.

Reste S. de Barb. v. 4864: A c? mot regarda Guion le droiturier / De Vautre part de Vost . . . / L'avant garde choisi, où aucun facteur formel n'indique si Guion est le sujet ou l'objet - ce qui apparaît seulement par le contexte.

4) 63 sujets de verbes transitifs à objet nominal. Dans cette combinaison:
cas régime + cas régime + verbe transitif, il doit exister un risque d'ambiguïté,
exactement comme sous 3c).

a) 37 exemples ont la combinaison sujet animé + objet inanimé (le
facteur C). De plus, les autres facteurs jouent un rôle de la façon
suivante: C+E+A 4 fois: par ex. S. de Barb. v. 6149: Païens et

Sarrazin en firent taborie; C^-A, 3 fois; C + E, 20 fois; C seul, 10 fois,
b) dans 21 exemples de la combinaison sujet animé + objet animé, le
facteur primaire du groupe a): C est éliminé. Nous voyons donc que
d'autres facteurs, surtout E, jouent un rôle plus important que sous
a). Ce groupe nous permet d'ailleurs de constater un nouveau facteur
F, certainement inférieur à ceux déjà indiqués: la détermination d'un
adjectif possessif, normalement placé devant Vobjet. Les facteurs se
combinent de la façon suivante: E+A, 9 fois; E^F, 5 fois; E, 4 fois;
F, 2 fois; A, une fois: S. de Barb. v. 5621 : Les puceles avoit Vamirant
adestré.

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c) 4 exemples sujet inanimé + objet inanimé (le facteur C est toujours éliminé). Dans un exemple, la compréhension est assurée par E+F: S. de Barb. v. 6614: Tant chevaus par lor piez lor resnes traînèrent; dans les trois autres, seulement par E. On trouve pourtant d'autres facteurs, par exemple le fait que le verbe et l'objet constituent une locution plus ou moins fixe, cf. S. de Barb. v. 5510: Que escu ne hauberc ne H fist garantage. Nos matériaux limités n'ont pas permis une systématisation de tels facteurs mineurs.

d) un exemple sujet inanimé + objet animé - combinaison rare - dont la compréhension est assurée par la compatibilité des racines (C) et de surcroît marquée par le facteur E: S. de Barb. v. 7079: Icel cop a le conte irié et enbrasé.

Nous pouvons donc conclure que sur les 537 phrases ayant le sujet au cas régime, une seule n'est pas immédiatement compréhensible à partir des facteurs formels de la phrase. Il faut encore signaler que le sujet de cette phrase : nom propre + surnom, sort du système casuel dès le latin vulgaire (cf. note 8). Cela laisse supposer que ce n'est pas la faute de déclinaison qui rend cette phrase - regardée isolément - un peu difficile à comprendre.

II: objets au cas sujet (79 exemples) :

1) et) 4 exemples où l'objet est le sujet d'une nexie, objet du verbe: Charroi

de Nîmes v. 803: Ne verrai mes quatre gent assembler;

h) 7 exemples où l'objet est objet d'un infinitif, objet du verbe: S. de
Barb. v. 625 : Quant Clarion Ventant, le sans cuide chengier.

2) 15 exemples dans des expressions fixes, donc sans ambiguïté :

a) 12 exemples après es (vos): S. de Barb. v. 5050: A tant es H dus Bueves
et sa genz enz entrée.

b) 3 exemples après (il /) a: Villehardouin § 376: Et avoit bien ex. v.
nés .vii. mile home a armes; -

3) 3 exemples où le sujet est un pronom déclinable (le facteur B): Charroi de
Nîmes v. 1443: Se tu creoïes le filz sainte Marie,

4) 25 phrases sans sujet (cf. les sujets 3c). Ces phrases, qui contiennent un nom au cas sujet et un verbe fini, pourraient être extrêmement difficiles à comprendre si le système casuel était seul à assurer la distinction de sujet et d'objet.

a) pourtant, dans les 22 phrases, l'univocité est assurée par la transitivité du verbe, qui ne peut se passer d'objet (le facteur D): avoir (4 ex.), connaistre (2), doner (1), encontrer (1), gâter (1), ocirre (1), porter (1), prendre (1), proiier H), reclamer fi), revoir C2). secorre CI), tenir CI), truver (1), veoir (3). Par exemple Vair Palefroi v. 278: Bien conneiistes mon ancestre: estre. (d'autres facteurs sont en jeu, surtout A - voir l'exemple).

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b) restent trois phrases dont le verbe peut être aussi bien transitif qu'intransitif (élimination du facteur D): 2 exemples avec le verbe morir: S. de Barb. v. 801: Uamoraives ont mort, ja mes ne le verrez, et v. 5524: Trois païens lor a morz et le fiz a Vaufage. Dans les deux phrases, le facteur A assure l'univocité.

Le troisième exemple est S. de Barb. v. 6796: Cil chevauchent seri . . . I Sonent cors et boisines et H grelle menu. Li grelle menu est coordonné avec deux objets dont l'un est indéclinable, l'autre au cas régime. Fis sont tous deux placés après le verbe - ce qui indique la fonction (E), et le sujet (sous-entendu) est exprimé dans le vers précédent. Il n'y a pas d'ambiguïté.

5) 6 objets dans des phrases à sujet nominal (cf. les sujets 4). Comme les 25 phrases précédentes, ces phrases risquent d'être mal comprises; pourtant l'ordre des mots assure partout la compréhension, à quoi contribuent aussi d'autres facteurs de la façon suivante: E + A + C, une fois; E + A, une fois; E +C, deux fois; E+F, une fois; E seul, une fois. Un bon exemple (E +C) est S. de Barb. v. 4972: Gautier li Toulousanz lor ovre li postiz. (postiz est indéclinable, mais la forme a pu contribuer à provoquer l'article au cas régime).

L'examen des sujets au cas régime et des objets au cas sujet nous a permis de constater que la compréhension des 616 phrases - sauf une - a été assurée au moyen des facteurs formels A à F. Il nous reste maintenant à examiner si ces facteurs ont fonctionné de la même façon dans des textes «normaux» où sont mêlées les formes correctes et les formes incorrectes, ou s'ils ont constitué des dispositions d'urgence dans les cas où la déclinaison fait défaut. A cette fin nous avons consulté neuf textes (dans le cas où le texte était assez étendu, nous avons dû nous contenter d'extraits de 100 vers ou lignes). Nous n'avons relevé que les combinaisons: sujet nominal + objet nominal, qui se sont montrées les plus difficiles :

/: les plus anciens textes:

Serments de Strasbourg:

3 ex: 1,2-3: E+A+C: in quant Deus savir et podir me dunat.
1,5-6: E +F.
2,1-3: E + C.

Eulalie:

3 ex: 5, v. 10: C+E: Niule cose non la pouret omque pleier / La polie
sempre non amast lo Deo menestier.
12, v. 23: C 1-E.
14, v. 27: C+!e cas.

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La Passion:

14 ex: 10 ex: animé + inanimé = le facteur C en plus d'autres facteurs: 5 ex. avec E: v. 143: Judas H fel ensennie fait, et 3 avec A. 2 ex: animé + animé: v. 30: Jésus lo Lazer suscitét, v. 133 A +E. 2 ex: inanimé + inanimé: v. 11 E, v. 310 uniquement le cas.

St Léger:

13 ex: 10 ex: le facteur C (en plus E): v. 63: et Ewruins ott en gran dol. 3 ex: animé + animé: v. 179-180: E, les vers 207 et 237 ont l'ordre des mots «dangereux» o-v-s. Ils ne sont compris que par le cas. v. 237 : ranima reciunt Dominedeus.

St Alexis (les vers 263-363):

3 ex: tous animé-j-inanimé = le facteur C. en plus d'autres facteurs, C+E+F dans v. 263-64: Li serf sum pedre, ki la maisnede servent I Lur lavadures H getent sur la teste, v. 273 A4-C4-E, v. 348 seulement C - le sujet en est au cas régime.

Roland (les vers 1952-2052):

2 ex: un ex animé+inanimé = C; en plus le facteur E: cxlviii v. 1987: Li emperere en avrat grant damage, un ex animé + animé cxlviii v. 1978: Rollant reguardet Oliver al visage (le sujet au cas régime; le facteur E).

//: des textes plus récents, en prose

Robert de Clari (1- liv, 1.10):

4 ex: 2 ex animé-f-inanimé = C. En plus le facteur E. lii, 8-9: - si en
fisent si ami molt grant feste et molt grant goie . .
2 ex animé + animé: liii,l: les facteurs A+E, lii, 31: F-\-le cas:
puis en fisi li empereres sen maistre bailliu . .

Villehardouin (§ 245 - § 254, 1.4):

4 ex: tous animé+inanimé (C), en plus d'autres facteurs: C+A +E une
fois, C+A une fois et C+E deux fois, ex: § 247: En cele nuit . .
ne sai quels genz .. mistrent le feu entr'aus et les Grex.

Joinville (éd. Henry, pp. 310-313):

3 ex: un ex. animé + inanimé — C (lin. 7): Le saint roy ama tant vérité
(en plus E)
un ex animé+animé, 1.4-5 (E): que un Escot venist d'Escoce et
gouvernast le peuple.
un ex inanimé+inanimé, 1.95 (E): neis au nommer le rendre escorchoit
la gorge par les erres qui y sont.

Cet examen nous enseigne que le cas peut être seul à assurer la compréhensiond'un
énoncé (La Passion v. 310, St Léger v. 207, v. 237), mais
que le plus souvent le cas se combine avec un ou plusieurs des autres facteurs,cf.

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teurs,cf.St Léger v. 179-180, où le cas et l'ordre des mots coopèrentss.

Le fait que seulement trois exemples sont assurés par la déclinaison casuelle, nous semble prouver que les facteurs A à F ne sont pas des dispositions d'urgence, mais que ces facteurs ont coopéré avec le système casuel pour assurer la compréhension univoque. Le domaine restreint de la déclinaison (voir p. 243) nous montre que le système casuel n'a pas pu être un facteur supérieur aux facteurs A à F, mais que le cas n'a été qu'un facteur comme les autres pour assurer la distinction du sujet et de l'objet.

Partant de cette nouvelle conception des facteurs assurant la compréhension des rapports casuels de l'ancien français, et prenant en considération les éléments linguistiques (phonétiques, morphologiques et syntaxiques) relevés dans la première partie de cette étude, nous proposons cette analyse de l'évolution casuelle:

1) Nous présumons que le système des cas a fonctionné de la façon que nous avons montrée: comme un facteur parmi d'autres (A à F), jusqu'aux environs de 1100. Cette fonction explique pourquoi même les premiers auteurs ont pu sacrifier la déclinaison casuelle aux besoins du rythme, de l'assonance ou de la rime: ex: Roi. xci, v. 1160: {Cors ad mult gent, le vis cler e riant. / ) Sun cumpaignun après le vait sivant, où la forme correcte : ses compain fausserait la mesure, (cf. J. Bédier, Commentaires, p. 247.)

2) Alors commence l'amuïssement de Ys final. Nous avons déjà vu qu'il a un caractère phonético-syntaxique et que, par conséquent, l'amuïssement se produit d'abord dans la combinaison déterminatif + nom (par ex. Roland iii, v. 44: lé chefs). A cause de l'évolution phonétique, le système casuel commence à perdre de sa valeur de facteur assurant la compréhension des rapports casuels. (Cf. ia quantité des fautes de déclinaison dans les textes du 12e siècle, sauf chez Chrétien de Troyes.)

3) Le maintien de la déclinaison casuelle au 13e siècle et chez Chr. de Troyes (moins de fautes qu'au siècle précédent), sauf en anglo-normand, est souvent expliqué par la tradition littéraire. Pourtant d'autres conditionspourraient être considérées: dans la France du Nord et du Nord- Est, Ys final s'amuït plus tard que dans le reste de la Frances6. Au 13e



55: Cette coopération se retrouve en français moderne, cf. M. Nojgaard: L'objet direct et l'ordre des mots en français moderne, Le français moderne 36 (1968) pp. 1-18, 81-97.

56: G. Paris: compte rendu de: Das S vor Consonant im Franzosischcn. Romania 15 (1886) pp. 614-623.

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siècle, le centre littéraire se déplace vers le Nords7, et la plupart des textes sont marqués par des traits dialectaux venant du nord (picard essentiellement),parmi lesquels il faut certainement compter la conservation de Vs final et - par conséquent - la possibilité d'une sauvegarde plus ou moins factice de la déclinaison casuellesß.

4) L'évolution phonétique poursuivant son cours, elle provoque au 13e siècle - toujours plus tard vers le Nord et le Nord-Est -la forte réduction de deux facteurs pour assurer la distinction du sujet et de l'objet : le cas et le nombre (le facteur A)59. Cela nécessite un renforcement et une meilleure utilisation des facteurs qui restent: /: il faut sans doute y rattacher la tendance croissante vers l'ordre des mots s-v après les compléments provoquant l'inversion (le facteur E). //: L'effacement des flexifs verbaux a stimulé l'emploi des sujets pronominaux, ce qui facilite la distinction du sujet et de l'objet (emploi étendu du facteur A et surtout du facteur B). ///: A cette évolution verbale correspond une évolution nominale: l'extension de l'emploi de l'article défini et l'apparition de l'article partitif qui rétablissent la distinction de nombre, presque perdue (substitution du facteur A).

L'emploi réduit du système casuel dès avant l'amuïssement de Vs explique
pourquoi les possibilités d'un nouveau système casuel furent négligées
pour permettre le rétablissement d'un système numéral -

Les faits linguistiques semblent donc appuyer notre conception de l'évolution casuelle de l'ancien français: la déclinaison des cas était un des facteurs assurant la distinction du sujet et de l'objet, dont la réduction, suivie de celle d'un autre facteur (le facteur A), rendit nécessaire un affermissement de la distinction casuelle. Cet affermissement se produisit par le renforcement des facteurs existants - sans introduction de nouveaux facteurs.

Arrêtons ici notre étude, qui ne prétend être que la présentation
générale d'une théorie, dont la systématisation et l'établissement d'une
hiérarchie feront l'objet de nos recherches ultérieures.

Lene Schúsler

ODENSE



57: Cf Togehy Oldfranvk § 168

58: Cf. C. Régnier: compte rendu de C. Gossen: Petite grammaire de l'ancien picard, Romance Philology 14 (1960-61; pp. 15b-lil.

59: Cf. supra pp. 245.