Revue Romane, Bind 8 (1973) 1-2

Sur le «soleil» dans L'Etranger. Psychocritique et analyse formelle

W. Geerts

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Suite à un article récentl paru dans cette revue, il nous semble utile d'approfondir la discussion sur le rapprochement entre la stylistique et la psychocritique. Il se révèle ainsi que l'interprétation psychanalytique limitée à la psychanalyse des personnages, - «(...) le héros tire sur le soleil (plus tard: soleil-père) (...) l'Arabe est peu en cause (. . .)»2 -se trouve déjà inscrite dans le texte au niveau du signifiant. Il s'agit des deux passages suivants, distants l'un de l'autre de trois pages:

1. «Et chaque fois que je sentais son (de la mer) grand souffle chaud sur mon visage, je serrais les dents, je fermais tes poings dans les poches de mon pantalon, je me tendais tout entier pour triompher du soleil et de cette ivresse opaque qu'il me déversait. A chaque épée de lumière jaillie du sable, d'un coquillage blanchi ou d'un débris de verre, mes mâchoires se crispaient.» (1162)3.

2. «Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C'est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver. » (1166).


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Après réduction des deux séquences nous aboutissons au parallélisme suivant:

Ce passage du meurtre - 2. - utilise les mêmes lexèmes ou leurs synonymes que le premier qui dénote la réaction physique contre un ennemi inanimé mais perSOnnifip Ainsi l'pnnivu \pr\rp Hpc £nr>nr£c — « nrpriiratç » fFi/F-.^ — qttf>«tpp spminnf". ment et lexématiquement - instaure une relation associative entre les deux «sujets» différents: la réaction contre le soleil d'une part (Si) et le meurtre d'autre part (S2).

Au niveau psycholinguistique de l'énoncé du locuteur Meursault, l'équivalence des deux énoncés (El/E2) atteste de la part du sujet parlant une association des deux situations (Sl/S2) différentes; il est évident que l'interprétation doit tenir compte de cette association. La perception de celle-ci au niveau de la lecture est une question de «performance», de mémoire.



1: R. Andrianne, Soleil, Ciel et Lumière dans L'Etranger de Camus, Revue Romane VII, 2, 1972, pp. 161-176.

2: id. p. 170.

3: Renvoi à l'édition dans la Bibliothèque de la Pléiade.

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Ce genre d'association à base d'une introduction de contextes équivalents en
des situations différentes se retrouve dans les deux passages suivants de Vïmmoraliste
d'André Gide:

1. «Meubles, étoffes, estampes, à la première tache perdaient pour moi toute
valeur; choses tachées, choses atteintes de maladie et comme désignées par la
mort.» (p. 430) (Ei).

2. «La maladie était entrée en Marceline, l'habitait désormais, la marquait,
la tachait. C'était une chose abîmée», (p. 439) (E2).

Comme dans le cas précédent, l'association est indiquée au niveau des lexèmes:


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En plus, dans la séquence /(...) C'était une chose abîmée. /, appartenant à E2, ce
texte explicite l'association et introduit Si dans S2- En cela, il va plus loin que
l'extrait de V Etranger.

Ce commentaire a voulu montrer qu'une interprétation psychanalytique peut
s'étayer quelquefois d'arguments formels.

ANVERS