Revue Romane, Bind 8 (1973) 1-2La liberté: un thème poétique chez Théophile de ViauPAR JOHN PEDERSEN Depuis longtemps déjà Théophile de Viau n'est plus un poète malaimé, jugé en fonction de deux odes (souvent tronquées, du reste) ou des fameux vers de Pyrame sur le poignard qui rougit.l Les historiens de la littérature ont désormais accepté de voir en Théophile un représentant considérable de la poésie française du XVIIe siècle, et bien des articles ont été consacrés à son œuvre ces dernières années. On distingue, dans ces études, deux courants dominants : l'un traite de de ce qui est parfois appelé la structure poétique, tandis que l'autre s'occupe plus particulièrement des idées philosophiques du poète.2 Il est d'ailleurs certain que le second de ces deux courants reste redevable au grand ouvrage d'Antoine Adam sur Théophile et le libertinage.3 En dépit de l'intérêt que présentent incontestablement ces études, on ne saurait nier que, d'une part, la notion de structure poétique demeure peu precise et que, d'autre part, les études 'philosophiques' risquent de négliger le fait que Théophile fut moins philosophe que poète. Serait-il possible, cependant, de concilier les deux courants pour parvenir à un type d'examen qui s'attache non seulement à constater la 1: Nous pensons aux deux odes La Solitude et Le Matin, citées en partie dans le manuel Lagarde et Michard par exemple, et aux vers qui ont fait rire Boileau et tant d'autres: Ahi voici le poignard qui du sang de son Maistrej'S''est souillé lâchement. Il en rougit, le Traître. 2: Citons pour mémoire H. R. Jauss: «Zur Frage der 'Struktureinheit' altérer und moderner Lyrike» in Germanisch-romanische Monatschrift, juli 1960 pp. 231— 266 et Jacques Morel: «La Structure poétique de 'La Maison de Silvie' de Th. de Viau » in Mélanges d'histoire littéraire (XVIe-XVIIe siècles) offerts à Raymond Lebègue (Paris, 1969) pp. 147-153 ainsi que J.-Ch. Potterat: «Th. de Viau ou l'homme à l'aventure » in Lettres d'Occident, études et essais offerts à A. Bonnard (Neuchâtel, 1958) pp. 91-121 et Richard Mazzara: «The philosophical-religious évolution of Th. de Viau» French Review, aprii 1968 pp. 618-28. 3: Antoine Adam: Th. de Viau et la libre pensée française en 1620 (Paris, 1935).
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présence de certains concepts exprimés dans le texte, mais, ensuite, à élucider leurs fonctions dans l'œuvre poétique? Nous le croyons, et nous proposons pour ces concepts dont, à la fois, la présence et la fonction ont été démontrées, le terme de thème poétique. Il nous semble, en effet, que l'analyse dite thématique, et qui se borne parfois à des réflexions subtiles sur la présence de tel ou tel concept dans l'œuvre, ne mérite une place dans l'étude littéraire que dans la mesure où elle est bien intégrée à l'examen de la 'structure poétique', c'est-à-dire à l'examen des différents éléments qui confèrent à l'œuvre sa cohérence. Plus particulièrement,nous estimons que les études sur la poésie de Théophile trouveraient un complément non négligeable dans cette catégorie de thème poétique que nous venons d'établir. Plutôt que de prolonger ici les considérations théoriques, nous préférons cependant passer immédiatement à l'étude d'un des thèmes poétiques les plus importants dans l'œuvre de Théophile, sinon le plus important, celui de la liberté. Qu'il nous soit permis de revenir, par la suite, aux problèmes qui s'attachent en général au thème poétique. Il est certain que la liberté occupe une place primordiale dans la poésie de Théophile de Viau. Le mot se retrouve de nombreuses fois dans les textes, et comme la liberté est un concept qui se définit essentiellement par rapport à son contraire, il est important de voir dans quels contextes particuliers Théophile y a recours. Quelles sont les situations où le poète estime sa liberté menacée? Une lecture attentive des trois recueils qui forment son œuvre poétique permet de répondre de façon assez précise à cette question.4 On constate, en effet, que dans cette poésie, l'indépendance et 3a liberté personnelle constituent la préoccupation centrale du poète, soit qu'il réfléchisse sur son œuvre ou sur la condition humaine, soit qu'il tombe, une fois de plus, amoureux d'une Chris ou d'une Caliste peu disposée à lui rendre ses sentiments. N'oublions pas, cependant, que la vie de Théophile fut riche en péripéties qui, de manière très concrète, portèrent atteinte à sa liberté personnelle. L'épisode le plus violent, à cet égard, est sans aucun doute la monstrueuseincarcération 4: Nous citerons d'après l'édition présentée par Mme Jeanne Streicher dans la série Textes Littéraires Français, Th. de Viau: Œuvres Poétiques I—II (Droz, 1951-58).
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plus tard. Ce désastre constitue la toile de fond du troisième recueil et en fait un document humain dont l'intensité d'expression nous saisit même aujourd'hui, à travers plus de trois siècles. Le ton du poète est humble et brisé, comme on le voit, par exemple, dans la Requeste au Roy : ... je ne veux (II 109, 306 ss) II ne reste pas grand-chose ici de l'indépendance qui caractérise ailleurs celui qu'on a appelé le prince des libertins. Cependant, et c'est un des aspects captivants du recueil, on y entrevoit de temps à autre l'espoir qui renaît, comme si on assistait à une libération psychique au milieu des horreurs du monde réel qui l'entourent: Et mon esprit tout transporté (II 118, 108 ss) L'effet le plus surprenant de cette libération intérieure est sans doute La Maison de Silvie, une suite de dix odes, inspirées par la duchesse de Montmorency et par le splendide pare qui entoure son domaine de Chantilly. Tl est à peu près certain que Théophile avait déjà commencé cette suite quand il fut arrêté, mais il lui a fallu tout reprendre dans sa solitude forcée, et l'ensemble, tel qu'il se présente dans la première édition de 1624, est un témoignage émouvant de la liberté qui caractérise sa vie intérieure, en dépit des chaînes de la cave humide où il était détenu. L'arrestation du poète constitue le paroxysme d'une longue période pleine d'inquiétude, pendant laquelle il dut se soumettre aux rigueurs de l'exil et à la dureté des Grands. Un poème du premier recueil nous offre des vers qui expriment admirablement l'attitude de Théophile non seulement vis-à-vis de ses maîtres, mais face à une grande partie des problèmes que lui pose l'existence : Je dois aimer mon joug, m'y rendre volontaire, Ft dedans la contraincte obéir et me taire: C'est d'un juste devoir surmonter la raison Et trouver la franchise au fonds d'une prison (I 72, 13 ss)
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Tâcher de transformer la contrainte en liberté, reconnaître, par un acte volontaire, la nécessité d'un frein à la liberté, tel est le mouvement sans cesse oscillant qui donne son ton particulier à la poésie de Théophile. Nous allons voir à quel point ce ton pénètre les différentes pièces des trois recueils, et, plus particulièrement, combien il détermine trois motifs qui sont chers au poète: l'amour, l'inspiration poétique et le destin. L'amour est parfois décrit comme le point culminant de l'existence humaine, qui nous élève et protège, et dans ces cas, les chaînes, symbole traditionnel de l'amour, sont transformées en signe de liberté .. // semble que tes fers estoient la liberté (I 68, 60). En bref, l'amour, vu sous ce jour, conduit au libre épanouissement de la personnalité, et pour le couple, à une réciprocité qui promet le bonheur. Les choses, cependant, ne s'arrangent pas toujours ainsi, il s'en faut de beaucoup. Dans un autre groupe de poèmes, en effet, le concept d'amour entraîne infailliblement celui de contrainte et, pour le couple, la réciprocité se révèle impossible. On assiste, dans ces textes, à une véritable destruction de la raison et de la liberté du poète, et le cri qu'il pousse dans la citation suivante est loin d'être une exception : Prends en pitié, redonne la clarté (I 114, 51 s) Le voilà jeté, semble-t-il, dans un trouble extrême, et pourtant, si paradoxal que cela puisse paraître, on trouve de nombreux exemples où le poète se cramponne à sa 'servitude' humiliante, où il se plaît même à étaler sa crise intérieure: Je veux pour mon plaisir aymer sa cruauté, (II 62, 55 ss) L'amour, qui naît d'un coup de foudre fatal, semble rendre impossible toute explication logique quant à ses conséquences. Privé de sa raison et de sa volonté, l'homme devient un simple pantin, plutôt tragique que ridicule. Cependant, le caractère fatal de l'amour n'exclut nullement sa nature périssable, et le pessimisme dont témoigne l'extrait suivant en fournit une preuve éloquente:
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Mais tu sçavois qu'Amour meurt en la jouissance, Qu'il nous travaille plus, moins il a de licence Qu'en des baisers permis ceste vertu s'endort Et que le lict d'Hymen est le lict de sa mort (I 71, 133 ss) II semble donc que l'épanouissement libre soit aussi néfaste à l'amour que celui-ci l'est à la liberté individuelle. Il convient pourtant d'ajouter que si le lict d'Hymen est le lict de sa mort, c'est peut-être aussi qu'il est souvent considéré comme le symbole de la contrainte plutôt que de la liberté. En tout état de cause, il est certain que les rapports ambigus entre l'amour et la liberté caractérisent, dans une large mesure, la poésie de Théophile. La seule liberté qu'il soit permis au malheureux de souhaiter est celle de l'esprit: (redonne la clarté à mon esprit ..). Il peut espérer, grâce àsa poésie, reconquérir cette liberté, et les vers suivants nous offrent un exemple qui, dans sa franche simplicité, nous paraît fort attachant : Mon ame en me dictant les vers que je t'envoye, Me vient de plus en plus ressuciter la joye, Je sens que mon esprit reprend sa liberté, Que mes yeux desvoilez cognoissent la clarté (II 28, 61 ss) Cette liberté de l'esprit est une des sources les plus riches de son inspiration, et le poète y insiste déjà dans la célèbre Elégie à une Dame, qui ouvre, comme une sorte de manifeste poétique, le premier recueil. Voyez comment Théophile se sert ici d'une formule impressionnante pour caractériser sa propre œuvre et sa problématique : Autresfois quand mes vers ont animé la sceine (I 11, 119 ss) Voilà, admirablement concentré, le problème du poète: comment réconcilierla fureur de l'inspiration poétique avec les exigences de la raison ? Comment rester maître de ses paroles lorsque la ' veine ' se veut souverain absolu ? Il faut estre fol sagement, chercher l'équilibre sans
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trop craindre le vertige. Encore un problème dialectique dans lequel la Quoique la liberté d'expression, pour Théophile, représente un bien inestimable, il parvient cependant à la dompter quand la raison le lui conseille. L'expérience lui a appris une certaine méfiance à l'égard des Grands, et bien qu'il aime s'exprimer 'sans fard et sans respect', il trouve raisonnable de faire preuve de quelque prudence dans les cas douteux. On ne saurait pousser l'idéalisme plus loin que ne le permet le bon sens : Ma liberté dit tout, sans toutesfois nommer (I 91, 51 ss) Nous savons que cette prudence n'était que trop bien fondée, et il est permis de penser que même une extrême prudence de la part du poète n'aurait pas empêché ses adversaires de mener à bonne fin leurs vilains jeux. L'homme est en effet soumis à la loi cruelle du changement. Rien n'est stable dans ce monde, et même les plus sages précautions ne protègent pas contre les coups du Destin, car, comme le poète nous l'apprend dans la Satyre Première, «le plus libre du monde est esclave à son tour» (184, 51). Cette Satyre Première forme, avec la Satyre Seconde, le point central du premier recueil, au moins dans l'édition originale, où les deux pièces étaient placées ensemble. Voici, de la Satyre Première, deux extraits qui montrent combien le rôle du destin y est important : Sçache que ton filet, que le destin ourdit (I 82, 7 ss) Je croy que les destins ne font venir personne, (I 88, 169 ss)
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II est à noter que, malgré les apparences, les deux extraits ne se contredisent nullement: le point de départ du poème est bien une réfutation totale de l'idée de l'origine divine des hommes, mais cela n'implique pas que l'homme soit fondamentalement mauvais, au contraire. Nous avons tous «l'ame assez bonne», mais ce qui nous perd, c'est Y imitation, laquelle, avec sa dépendance des autres, est une renonciation partielle de la liberté. La seule possibilité de maintenir la liberté face au Destin réside dans l'attitude stoïcienne, qui s'efforce, dans la mesure du possible, de faire coïncider la volonté individuelle et le Destin surhumain. La révolte, au contraire, est jugée assez sévèrement, et notamment dans la Satyre Seconde : Cognois tu ce fascheux, qui contre la fortune (I 89, 1 s) S'il est jugé impudent de s'élever contre la fortune, on peut en conclure, en revanche, qu'il ne faut pas voir, dans l'acceptation du Destin, une soumission veule et humiliante. La joie de celui qui a accepté son destin, la joie du jeune Horace désigné pour le combat, se trouve en germe dans les Satyres de Théophile, ce qui devrait suffire pour nuancer considérablement sa réputation trop sommaire de poète épicurien.s On a pu constater, dans les pages précédentes, que la liberté est présente, chez Théophile, à plusieurs niveaux. Dans sa défense désespérée contre les attaques personnelles aussi bien que dans ses réflexions sur sa poésie, sur l'amour ou sur le Destin, le concept de liberté ne cesse de transparaître, directement ou indirectement. La constatation de sa présence, cependant, ne suffit pas pour rendre compte de l'usage qu'en fait Théophile dans sa poésie. Il faudra, en outre, examiner de plus près la fonction particulière de ce concept dans l'œuvre. En étudiant maintenant la composition des trois recueils, nous espérons pouvoir circonscrire la fonction poétique que remplit le concept de liberté dans la poésie de Théophile. Pour ce qui est du premier recueil, M. Adam a discuté, avec beaucoup 5: Voir par exemple Adam op.cit. p. 215. 6: Adam op.cit. pp. 199 ss>.
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active sans qu'il soit possible aujourd'hui de préciser à quel point. En fait, M. Adam semble penser que Théophile n'est pour rien dans le groupement des textes, autrement dit dans la composition du recueil. C'est possible. Mais comme il n'existe aucune preuve ni de cette hypothèseni du contraire, nous nous permettons de rejeter ce problème pourtant captivant. Il nous semble en effet plus intéressant d'examiner, dans la première édition, la succession des textes afin d'y discerner un éventuel principe de composition autre que le principe biographique proposé par M. Adam. La première pièce, Elégie à une Dame, a certainement été placée en tête du recueil par les soins de l'auteur lui-même, (et là-dessus nous sommes en plein accord avec M. Adam). Elle comprend toutes les idées importantes qui seront développées par la suite: notre existence est difficile et menacée, car les hommes sont vilains et le Créateur s'abstient de toute intervention. Or, dans la poésie, le poète est libre de suivre ses propres voies (I 9, 71 ss), et dans l'amour, autre domaine privilégié, l'opposition entre la contrainte et la liberté aboutit à la victoire de celleci. Voilà, très succinctement résumé, le contenu thématique de cette élégie qui sert comme introduction au reste du recueil. En analysant le recueil selon des critères thématiques, nous avons trouvé que le recueil comporte quatre parties fondées chacune sur un thème précis, qui, au demeurant, y est envisagé sous plusieurs angles différents. La première partie, qui s'étend de l'ode Le Matin (I 13) jusqu'au sonnet Les Parques ont le teint plus gai que mon visage (I 33), est constituée par un groupe de poèmes centrés sur l'amour. Les deux premières odes, Le Matin et La Solitude, illustrent les plaisirs et les douceurs de l'amour, tandis que le reste de cette partie est consacré aux amours malheureuses du poète. Y est présentée sans cesse l'inconstance de la bien-aimée, inconstance mise en relief par i'esciavage du poète servant sa 'maîtresse'. La seconde partie du recueil est occupée par les problèmes de l'individu et plus particulièrement par son combat pour la liberté, dans un monde dominé par l'asservissement et l'instabilité. Cette partie va de l'épître Je pensois au repos . . (I 49) jusqu'à l'ode Mon Dieu que la franchise est rare (I 95) et a pour sommet la très importante Satyre Première. Ensuite, on distingue une troisième partie, principalement consacrée
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concrète contre la liberté et l'intégrité du poète. Cette partie se termine La dernière des parties centrales que nous croyons pouvoir distinguer est sans doute moins cohérente que les trois précédentes. Elle s'ouvre par un coup de maître, La frayeur de la mort esbranle le plus ferme (1152 ss)7 et comporte d'autres pièces qui traitent également de l'angoisse ; le thème dominant, cependant, en est l'exil du poète et sa servitude à l'égard des Grands, notamment à l'égard du Roi. Cette dernière partie aborde donc, sous différentes formes, la suppression de la liberté, concept qui reste incontestablement le concept-clé des quatre parties que nous venons de présenter. Ajoutons, cependant, que ce premier recueil ne comporte pas que les Quelles conclusions peut-on tirer de ce qui précède, quant à la composition du premier recueil? Il est évident qu'on peut faire des objections à notre subdivision en quatre parties et aux commentaires que nous y avons apportés; mais nous sommes persuadé que l'idée directrice reste valable: la problématique centrale du recueil est la lutte pour la liberté dans tous les domaines de l'existence. L'insistance sur ce thème est tellement frappante que nous y voyons un argument sérieux pour supposer une composition consciente du recueil. Procédons ensuite à un examen pareil pour le second et le troisième recueil. Dans le second, l'œuvre lyrique est encadrée par les Fragments d'une histoire comique, placés tout de suite après la préface, et la tragédie Pyrame et Thisbé qui clôt le volume. Nous nous en tiendrons ici aux poésies, qui dominent du reste l'ensemble du recueil. Serait-il possible d'y trouver une 'architecture intérieure', un principe fondamental selon lequel les pièces ont été groupées. Mme Streicher a indiqué un ordre «chronologique ou dramatique: les Amours de Cloris, les Amours parallèlesde Cloris et Caliste, le Triomphe de Caliste» (II 3). Il nous paraît cependant nécessaire d'ajouter que c'est là une division qui reste 'à la surface' et qui ignore tout des motifs et de l'orientation générale du recueil. Car il n'y a pas un Théophile devant «Cloris» et un autre devant «Caliste»; il y a, dans tous ces textes, l'expression d'une attitude très 7: Nous avons analysé ce poème dans un article intitulé «Description et Interprétation» in Baroque n° 4 (Montauban, 1970) pp. 59-65.
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complexe face à l'amour. Voilà pourquoi nous n'attachons que peu d'intérêt aux problèmes concernant l'identité réelle des Cloris et des Caliste; l'essentiel n'est pas là, mais dans les conflits intimes du poète, tels qu'il les exprime dans sa poésie. Ces conflits émanent le plus souvent de l'opposition entre, d'une part, la liberté et la raison, et de l'autre,la «volupté frénétique» et la «fureur». Nul texte ne le montre mieux que l'ode Cloris pour ce petit moment (il 75), qui est la dernière pièce avant Pyrame, et qui, à notre avis, réunit les éléments principaux qui contribuentà la cohérence des pièces groupées dans ce recueil. Quant à la troisième partie de l'œuvre poétique, le recueil de 1625, il est évident que Théophile n'a pas pu s'y occuper personnellement de l'ordre de présentation des textes. Les pièces forment quatre groupes: des requêtes aux Grands, des épîtres aux amis, La Maison de Silvie et la Lettre à son Frère. Une fois de plus, il nous paraît évident que la 'tension' du recueil provient de Fopposition entre, d'une part, la liberté avec toutes ses implications et, d'autre part, les dangers qui menacent cette liberté. Nous pouvons donc constater, à travers l'ensemble de l'œuvre poétique, une problématique centrée sur le concept de liberté. La contrainte sociale, en effet, y est parfois compensée par l'amour, qui parvient, de temps à autre, à créer une atmosphère de liberté. Cet état, cependant, est menacé par le joug des passions, joug dont seule la raison peut nous délivrer, au moment où l'esprit aura 'reconquis sa liberté'. On a vu que la création littéraire rend possible une telle reconquête, et c'est précisément ce jeu dialectique, dans la poésie de Théophile, entre la liberté et ses différents pôles contraires, qui nous a servi ici de fil conducteur. Dans les pages qui précèdent nous avons essayé de montrer, à ir aver sî'ëtude de la liberté dans la poésie de Théophile, l'utilité d'une catégorie littéraire appelée ici thème poétique. En quoi cette catégorie diffère-t-elle de celles relevant d'études thématiques plus traditionnelles? Avant tout en ceci qu'elle invite le critique littéraire à ne pas ignorer la fonction pour s'en tenir à la simple présence de quelques concepts dans le texte littéraire. Le thème poétique, tel que nous le concevons, oblige le critique à intégrer ces concepts dans l'étude des structures poétiques; on évitera ainsi les réflexions trop libres, voire gratuites, sans rapport avec le contexte poétique. Le thème poétique, donc, ouvre sur un examen 'binaire', qui ne doit
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poésie de Théophile pour souligner combien la liberté y reste, à plusieurs niveaux, un concept fondamental: explicitement traitée, et étroitement liée à d'autres thèmes majeurs, celle-ci ne révèle sa fonction principale qu'à l'étude de la composition des trois recueils qui forment l'œuvre poétique.
John Pedersen COPENHAGUE |