Revue Romane, Bind 8 (1973) 1-2

La chose la plus dangereuse qui soit c'est la statistique

Knud Togeby

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Helge Nordahl a publié, dans un des derniers fascicules de la Revue Romane (V11,2, 1972, p. 285-96), un article intitulé «La pire riens qui soit c'est maie famme», dans lequel il veut prouver, chiffres en main, que l'emploi du subjonctif après les superlatifs véritables était plus répandu en ancien français (86 %) qu'en français moderne (75%). Dans deux corpus d'étendue égale, il a relevé pour l'ancien français 177 subjonctifs et 29 indicatifs, pour le français moderne 157 subjonctifs et 52 indicatifs. Les détails de sa statistique pour le français moderne figurent dans son article «Le mode le plus fascinanl qui soit» (Revue Romane V,¡, Í970, p. Í06-19).

Je reste sceptique devant la basse fréquence du subjonctif en français moderne. Et ce scepticisme se trouve confirmé par le fait que Lennart Carlsson, dans son ¡ivre «Le type c'est le meilleur livre qu'il ait jamais écrit en espagnol, en itaiien et en français» (Uppsala 1969, p. 24), ait enregistré, dans son corpus du français moderne, 142 subjonctifs et 19 indicatifs (il dit 17, mais cela doit être une faute de calcul), soit 88 % de subjonctif. Je souligne une fois pour toutes que ces chiffres, et toute la discussion qui suivra, valent exclusivement pour les superlatifs véritables (le meilleur, le plus grand), à l'exclusion de seul, unique et de premier, dernier, après lesquels la fréquence du subjonctif est nettement moindre.

Afin de contrôler la statistique de Nordahl pour le français moderne, je vais étudier de près ses 52 indicatifs. Il n'en cite que 19 dans son article, mais il a eu la grande amabilité de me prêter ses fiches pour les 33 indicatifs qui restent, ce dont je le remercie cordialement. Helge Nordahl a d'ailleurs commencé lui-même, à la fin de son article, à montrer comment on peut expliquer un grand nombre de ses

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indicatifs. Je ferai tout simplement un pas de plus, en proposant d'écarter de la
statistique tous les exemples où l'on n'a pas affaire à une proposition relative restrictivedéterminant
un antécédent dont fait partie un superlatif.

1. Il faut tout d'abord éliminer de la statistique les exemples où le superlatif, qui se trouve en effet dans le texte, ne fait pas partie de l'antécédent de la relative. C'est le cas dans 5 exemples, dont Nordahl a lui-même cité les deux premiers: c'était la plus vivante des manifestations auxquelles j'ai assisté (Beauvoir, La Force des choses 462) // aura donc fallu trois ans pour atteindre le plus modeste des objectifs que s'étaient fixés les Soviétiques (Monde Hebd. 1010, p. 4) dans le plus important des camps dont elle s'occupait, il y aurait une grande fête (Peuchemard, La Nuit allemande, 1967, 119) la Compagnie Française des Pétroles . . . est la plus ancienne et la plus importante des entreprises qui font, de la France, l'une des toutes premières puissances pétrolières (Paris-Match 984, p. 104) la fraction . . . la plus caractéristique de la population criminelle que la société réussit à saisir et à punir (ib. 1003, 9).

2. Dans la mise en relief à l'aide de c'est, la relative n'est pas une determinative s'ajoutant à un antécédent, mais plutôt une sorte de sujet réel. On trouve cette construction dans 5 exemples, dont Nordahl a cité les deux premiers dans son article: Ce sont les plus affreuses qui sont les plus malignes (Bazin, Chapeau bas 154) Ce n'est pas la plus belle de mes courses qui vaudra, avant qu'on l'oublie pour toujours, à ma renommée quelques années de plus dans la mémoire de la Steppe (Kessel, Les Cavaliers, 1967, p. 545) et que souvent ce ne sont pas les ouvrages les plus accomplis qui ont été choisis (Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, 1963, p. 85) Ce sont les plus jeunes et les plus déshérités . . . qui sont les plus prompts au geste aveugle (ParisMatch 1012,1) far quelle déformation du patrimoine ne sont-ce pas les meilleures patriotes qui le font? (Montherlant, La Rose de sable, 1968, p. 432).

3. Le subjonctif est seulement possible si la relative est vraiment determinative ou restrictive, li faut par conséquent écaiter les cas ou eilo oat explicative ou parenthétique, même si elle n'est pas marquée en tant que telle par une virgule: il s'agit de 11 exemples, dont quatre cités par Nordahl. Quant au premier: Pour gagner Belgrade, nous choisîmes sur la carte la route la plus courte qui franchissait la Save (Beauvoir, La Force des choses 317), le contexte montre clairement que nous avons affaire à une explicative: leur but n'était pas de franchir la Save mais seulement de prendre la route la plus courte. Voici les autres exemples: Et cela pour les faits les plus minces de la vie quotidienne, qui s'offraient à mon . . . (Montherlant, Rose 239) série de constructions bouclées en pagode qui s'enferment les unes les autres jusqu'à la plus petite où bat d'un battement presque arrêté un cœur de corne (Daniel Boulanger, La Nacelle, 1967, p. 54) écrit le plus suave, où chaque son tend à l'essentiel (Paris-Match 1022,12) Les plus riches matières ont été utilisées, qu'on a rassemblées dans des harmonies singulières (Robert Siegfried, Sabine, 1967, 39) cette part à la fois la plus profonde et tout à fait superficielle, dont il n'y a rien d'autre à dire (Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, 1963, p. 125) Je l'avais distillée au point d'en faire la force la plus contenue dont personne, avant moi, ne s'était prévalu (Peignot, L'amour a ses princes, 1967, 2»; L'horrible guerre me résumait le plus précieux de mes lecteurs qui avait traversé les domaines de l'horreur et, dans cette matinée fraîche de juin, redisait mon nom ava»t le sien (Cayrol, Je l'entends encore, 1968, p. 96).

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Dans certains cas, le superlatif lui-même est une sorte de parenthèse intercalée entre l'antécédent et la proposition explicative, de sorte qu'on aurait aussi pu placer ces exemples sous notre première rubrique: Alors, une sorte d'espoir lui vint, le plus misérable, le plus lâche dont il ne voulut pas se défaire (Kessel, Cavaliers 144) la très vieille mélodie, la plus vieille peut-être, qui, d'âge en âge, à des cavaliers et caravaniers sans nombre, avaient appris des aventures sans fin (ib. 524) N'étions-nous pas un ordre, peut-être le plus ancien, qui avait sur\écu, qui avait su s'adapter à notre temps (Cacérès, L'Espoir au cœur, 1967, p. 54).

4. Parfois, l'indicatif ne se distingue que graphiquement du subjonctif tandis qu'il n'y a pas de différence audible entre les deux modes. Dans ces cas, on ne peut pas être sûr du mode employé, et il faut par conséquent en faire abstraction. Il s'agit des 4 exemples suivants, dont les trois premiers se trouvent dans le texte même de Helge Nordahl: j'ai visité le camp des Français, c'est peut-être le plus grand que j'ai connu (Peuchemaurd, La Nuit allemande, 1967, p. 199) Oui, vous êtes la dame la plus jolie que j'ai jamais vue (André Couteaux, L'Enfant à femmes, 1967, p. 61) Vous êtes la plus jolie demoiselle que j'ai vue de toute ma vie (ib. 1 12) il poussa dans l'oreille de l'étalon, au creux même, le cri le plus strident, le plus dément qu'il put arracher à sa gorge (Kessel, Cavaliers 99).

5. Dans toutes les statistiques sur l'emploi du subjonctif et de l'indicatif, il faudrait faire une place à part aux temps futuraux, c'est-à-dire au futur et au conditionnel. Puisqu'il n'y a pas de temps futural au subjonctif, le sujet parlant est obligé d'avoir recours à l'indicatif lorsque l'emploi de ces temps lui est nécessaire. Dans le corpus de Helge Nordahl il s'agit des 5 exemples suivants, dont il cite lui-même le premier: Car Lucile, toujours aux aguets, épiait sur le visage de son mari, le moindre signe qui alimenterait son angoisse (Michèle Saint-Lô, La Majesté nue, 1967, p. 263) le pire usage qu'elle pourrait en faire (Paris-Match 1026,7) Je ne me flatte pas d'avoir trouvé une réponse satisfaisante. La meilleure que je pourrais me faire . . . c'est . . . (Le Clec'h, L'Aube sur les remparts, 1967, p. 61) Remercie-la me dit-il, et dis-lui les meilleures choses que tu pourras de ma part (Paris-Match 982, 68) Viens donc, dit-il, que nous allions te les acheter, ces chaussures, les plus belles que nous pourrons trouver (Georges Conchon, L'Apprenti gaucher, 1967, p. 122).

Dans le corpus de Helge Nordahl, les véritables indicatifs se réduisent ainsi au
nombre de 20, qui se distribuent ainsi:

Io Un premier groupe de 8 exemples, contenant le verbe pouvoir, dont Nordahl cite lui-même les cinq premiers: une peti'e religieuse . . . la plus ancrée que tu peux imaginer dans sa foi (Conchon, Apprenti 170). Le moins qu'on pouvait dire d'Anne- Marie était qu'elle réalisait un lieu commun de contradictions (Herbert Le Porrier, La Demoiselle de Chartres, 1968, 178) Cette fermeté était le plus beau cadeau que je pouvais offrir à Adrienne (Jérôme Peignot, L'Amour a ses princes, 1967, 187) Le plus beau cadeau que l'équipe de Matra-Elf pouvait faire aux automobilistes (Paris-Match 986, p. 82) Et les plus beaux récits qu'on a pu t'en faire ne sont rien auprès de ces eaux enchantées (Kessel, Cavaliers 382) // avait atteint le point le plus bas où il pouvait descendre (Montherlant, Rose 480) comme le plus beau présent que je pouvais lui faire (Peignot, Amour 114) J'aimais mieux faire le tour de la cour avec un camarade, le plus vilain et le plus so* que j'avais pu découvrir (Julien Green, Partir avant le jour, 1963, p. 178).

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2° Un second groupe comprenant les 12 autres exemples, les deux premiers étant cités dans l'article même de Nordahl: Les Fruits d'Or, c'est le meilleur livre qu'on a écrit depuis quinze ans (Nathalie Sarraute, Les Fruits d'or, 1963, p. 79) Nous publions ici les lettres les plus représentatives que nous avons reçues (Paris-Match 986, p. 16) rimage la plus haute qu'il se fait de lui-même (ib. 1008, 13) Una des découvertes les plus surprenantes que fait le sociologue à la lecture du «Journal d'un guérillero» concerne les motivations des combattants (ib. 1017, 11) Car dans ces amusements singuliers, comment ne verrais-je pas certaines des tendances les plus fortes qui ont gouverné ma vie? (Green, Partir 31) les troupes allemandes tenaient tête aux assauts les plus puissants que lançaient les unités françaises (Jacques Bauche, Jean-Marie de l'lle de Sein, 1967, 246) Cette prétention fut la pointe la plus avancée que poussèrent jamais les Auligny (Montherlant, Rose 29) Depuis qu'Auligny connaissait le capitaine, les jugements les plus sévères qu'il avait portés sur lui étaient . . . (ib. 453) que je maintiens mon amour au-dessus du néant, le maintiens et le dessine à la fois, du trait le plus dur dont je suis capable (Peignot, Amour 166) Cesi aussi que je me souvenais des meilleurs moments qué nous avions vécus ensemble (ib. 41) L'aimer, c'était ma façon à moi, la meilleure que j'avais trouvée, d'être moi-même et de m'exprimer (ib. 104) Conscient du fait qu'il me fallait prendre garde au moindre mot que je prononçais, je finissais par me taire (ib. 188).

Deux exemples ont dû m'échapper puisque mon total ne fait que 50 indicatifs au lieu des 52 dont fait état Helge Nordahl dans sa statistique. Pour être juste, il faudrait également éliminer du corpus les subjonctifs qui ne sont que graphiques, c'est-à-dire surtout les j'aie et les pût, mais cela m'est impossible puisque je n'ai pas entre les mains le corpus entier. D'ailleurs, ce serait aussi trop défavoriser statistiquement le subjonctif, qui est le mode dominant, mais dont les formes sont assez rarement différentes de celles de l'indicatif. Dans ma version révisée de la statistique de Nordahl, je compterai donc comme subjonctif, une fois les éliminations faite*; fout ce qui n'est pas manifestement indicatif.

Restent ainsi 157 subjonctifs et 20 indicatifs, soit 88,7% de subjonctif.

Il faut maintenant soumettre la statistique de Nordahl pour l'ancien français à un examen analogue. Or il se trouve que les seuls indicatifs à écarter sont quatre exemples mis au futur ou au conditionnel. En revanche, il faut cependant mettre de côté quatre subjonctifs dont l'antécédent ne contient pas un superlatif merveilleuses nonpers trois fois). Reste ainsi un corpus de 173 subjonctifs et 25 indicatifs, soit 87,4 % de subjonctif, donc un résultat légèrement inférieur à celui obtenu pour le français moderne. Il faut souligner que le corpus de Helge Nordahl pour l'ancien français est constitué de textes en prose du XIIIe siècle, donc c'est un ancien français relativement tardif. Nordahl dit lui-même qu'il s'agit de textes en prose du XIIe et du XIIIe siècle, mais la liste de ses textes montre qu'il s'agit exclusivement du XIIIe siècle, ce qui va d'ailleurs de soi puisqu'il n'existe quasiment pas de prose française au XIIe siècle.

Avant de quitter l'ancien français, il nous faut cependant attirer l'attention sur un curieux désaccord entre les résultats enregistrés par Nordahl et une petite statistiqueétablie pour la Mort le Roi Artu par Gérard Moignet dans son «Essai sur le mode subjonctif» (1959, p. 604). Nordahl a dépouillé huit textes, dont La Mort le Roi Artu, ce qui lui a donné un total de 1 73 subjonctifs et 2y indicatifs. Mais dans le seul texte La Mort le Rui Artu, Gérard Moignet a relevé 38 subjonctifs

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et 19 indicatifs, ce qui est deux fois étonnant. D'abord, on constate pour ce texte une fréquence du subjonctif beaucoup plus réduite que pour l'ensemble des textes dépouilles par Helge Nordahl, seulement 67%. Et ensuite, comment est-ce possible qu'il ne reste que 10 indicatifs pour les sept autres textes de Nordahl?

Quoi qu'il en soit, on peut formuler comme une règle générale l'emploi très dominant du subjonctif après le superlatif aussi bien en français moderne qu'en ancien français. Les exceptions sont rares, et presque la moitié d'entre elles contiennent le verbe pouvoir, aussi bien en ancien français qu'en français moderne. On ne comprend pas comment Nordahl peut faire du verbe pouvoir un facteur favorisant l'emploi du subjonctif, puisque sa propre statistique montre clairement que c'est l'inverse qui a lieu, surtout en ancien français, pour lequel Nordahl a relevé 5 exemples au subjonctif, mais 10 à l'indicatif. Cela correspond d'ailleurs mieux au fait que pouvoir est un verbe modal, c'est-à-dire un verbe pouvant remplacer le subjonctif.

Si nous soumettons la statistique de Lennart Carlsson à un examen analogue, nous constatons qu'il a déjà écarté tous les exemples correspondant à ceux que nous avons enregistrés sous 1. le superlatif ne se trouve pas dans l'antécédent, 2. mise en relief par c'est, 3. propositions relatives explicatives ou parenthétiques, mais qu'il n'a pas tenu compte des principes 4. différence non audible entre les deux modes, et 5. emploi du futur ou du conditionnel.

Il y a dans son corpus 2 exemples où l'indicatif n'est pas attesté pour l'oreille:
Dany Robin est la meilleure Marceline que/''ai vue (Jours de France, Carlsson p. 32)
J'ai tiré du chaos le plus que j'en ai pu (Bellocq, ib.).

Et 5 exemples contenant un futur ou un conditionnel, dont il ne cite cependant que deux: Le morceau le plus coriace que nous aurons à enlever (Paris-Match, Carlsson p. 75) le pire acte d'accusation que des catholiques auraient jamais dressé contre l'Église romaine (Peyrefitte, ib.).

Restent comme indicatifs authentiques 12 exemples, dont trois contiennent le verbe pouvoir: Le plus grand service que vous pouvez nous rendre, à nous comme à vous, c'est d'être calme, très calme (Romains, Carlsson 49) Père, faites-le courir encore. Le plus vite qu'il peut (Kessel, p. 52) // a eu une catastrophe épouvantable, la pire qui pouvait s'abattre sur lui (Simenon, p. 65).

ut voici huit des neuf autres: La plus haute montagne que j'avais gravie, par le funiculaire, était le Pic du Ger, à Lourdes (Guth, p. 41) C'est par lui que j'ai d'abord entendu parler des faits les plus corsés qui sont allégués dans ce rapport (Romains, p. 52) Qu'il trouve une sainte, puisque c'est le moins qu'il lui faut! (Rochei'ort, ib.) Le plus grand reproche qu'il faisait «au progrès» était . . . (Renoir, p. 65) Enfin, était exaucé le désir le plus profond qu'elle nourrissait pour le bien de sa fille (Kessel, ib.) Un des liens les plus solides qui s'établirent entre nous fut celui de maître à élève (Beauvoir, p. 71) Parmi les modifications, la plus importante que nous réalisâmes fut la suppression de la tourelle centrale arrière (Paris-Match, ib.) Ce fut le plus triste dîner que je pris de ma vie (Figaro, ib.).

Si nous écartons 7 indicatifs, le corpus de Lennart Carlsson se réduit à 142
subjonctifs et 12 indicatifs, soit 92% de subjonctif.

Si nous additionnons les résultats de Carlsson et de Nordahl pour le français
moderne, nous obtenons un corpus total de 333 exemples, dont 299 subjonctifs et

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34 indicatifs, soit 90 % de subjonctif. Les indicatifs sont rares, et surtout liés à
l'emploi du verbe pouvoir: 11 exemples sur 34.

Helge Nordahl a mis en exergue à son article sur le superlatif du français moderne une phrase d'un grammairien anglais: «The use of thè subjunctive in clauses depending on a superlative has been variously but never satisfactorily explained». L'emploi du subjonctif après le superlatif est en effet un phénomène tout à fait isolé dans la grammaire française. Presque partout ailleurs, qu'il s'agisse de propositions introduites par la conjonction que ou de propositions relatives, l'emploi du subjonctif s'explique par l'influence d'une série de facteurs nettement circonscrite. L'usage du subjonctif est favorisé par un contexte exprimant la volonté, le sentiment, la négation, l'interrogation ou la condition. Mais le superlatif ne semble appartenir à aucune de ces catégories.

Helge Nordahl et Lennart Carlsson, à la suite de Magnus Ulleland, ont tenté d'expliquer l'emploi du subjonctif après le superlatif par l'existence dans la relative d'un élément généralisateur tel que l'adverbe jamais. Or, si le subjonctif est le mode normal après le superlatif, c'est quand même sur le superlatif lui-même qu'il faut concentrer l'intérêt.

D'un point de vue sémantique on pourrait être tenté de voir dans le superlatif une expression de sentiment, un élément subjectif qui gouvernerait le subjonctif à l'instar deje m'étonne que ou je suis content que. Mais c'est là une analogie purement psychologique. Si l'on prend pour base les constructions grammaticales, il faudrait plutôt assimiler le superlatif à la négation. Déjà l'emploi de l'adverbe jamais après le superlatif est une preuve de ce que le superlatif est une espèce de négation. Cette idée n'est d'ailleurs pas nouvelle (voir Carlsson, p. 81).

On peut aussi prouver l'étroit rapport qui existe entre la négation et le superlatif par l'analogie qui existe entre le seul et ne ... que . . . : II n'est qu'une morale que Vhomme absurde puisse admettre (Camus, Sisyphe 94), et entre le superlatif et i aüjectií rare: un des rares uvres qu'il au possédés (Figaiu Lui. i—9—69, p. 9j.

Enfin, en ce qui concerne l'ancien français, il est frappant qu'on puisse trouver après le superlatif le ne «ni» qui remplace ou dans les contextes négatifs, interrogatifs et conditionnels: Des plus riches et des plus chieres Qui en mer ne en terre soient (Perceval v. 3236).

On pourrait peut-être aussi alléguer le fait que le superlatif se combine très rarement avec une négation. Cela n'est le cas que dans un seul des exemples cités par Nordahl, et c'est une mise en relief par c'est: Ce n'est pas la plus belle de mes courses qui vaudra, avant qu'on l'oublie pour toujours, à ma renommée quelques années de plus dans la mémoire de la Steppe (Kessel, Cavaliers 545).

Je propose donc, jusqu'à nouvel ordre, de considérer le superlatif comme une
négation gouvernant le subjonctif. L'indicatif, mode non marqué, peut s'employer
pour neutraliser cette négation et la remplacer par une affirmation.

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