Revue Romane, Bind 6 (1971) 2

Yves Ch. Morin: Computer Experiments in Transformational Grommar, French I. Natural Language Studies no. 3. The University of Michigan, Ann Arbor, 1969, 98 p.

Ebbe Spang-Hanssen

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L'étude de Monsieur Morin est une tentative extrêmement intéressante de faire générer par un ordinateur des phrases françaises correctes, à partir d'un lexique, d'une grammaire syntagmatique et d'une petite centaine de règles de transformation. Monsieur Morin a utilisé un programme élaboré par le professeur Joyce Friedman (J. Friedman et al. : A Computer Model of Transformational Grammar. American Elsevier Press, 1971); ce programme prend comme données d'entrée une grammaire et un lexique selon le modèle décrit par Chomsky dans «Aspects of the Theory of Syntax», et produit à la sortie des phrases conformes à ces règles grammaticales. Les phrases générées sont en outre pourvues d'indicateurs syntagmatiques, sous forme d'arbres, montrant la stucture initiale de la phrase produite par la grammaire syntagmatique (PSG) et la structure de la phrase terminale après l'application des règles de transformation.



1: La calligraphie de l'abrège d arabe de P. Hoybye ei>t due a M. ldir Brakchi. - IJne édition revue et augmentée avec un grand choix de paradigmes et deux textes du Coran paraîtra prochainement en langue allemande. (N.D.L.R).

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Monsieur Morin n'a donc pas écrit un programme, mais une grammaire française qui peut être acceptée par le programme de Madame Friedman. Ceci présente l'avantage pratique que sa grammaire, quoique très formelle, peut être lue par des lecteurs non initiés à la programmation; il suffit de se munir d'un peu de patience pour comprendre ses formules. D'autre part, les règles données par Monsieur Morin permettent de suivre pas à pas les opérations de la machine, si bien que son étude offre, même aux linguistes qui ne s'intéressent pas particulièrement à la linguistique automatique, le moyen de se faire une bonne idée des possibilités de cette discipline.

Les étapes de l'élaboration d'une phrase sont les suivantes:

1 La stucture profonde: La machine utilise la grammaire syntagmatique, formée de six règles de réécriture, pour générer une «structure profonde». Au moyen d'une procédure aléatoire, la machine choisit chaque fois qu'il y a plusieurs manières de réécrire le symbole qui se trouve à gauche. Citons à titre d'exemple la troisième règle: SV — V (SN) (SN), qui indique que le symbole du syntagme verbal (SV) permet trois expansions différentes : 1 ) le verbe seul, 2) le verbe plus un complément, 3) le verbe plus deux compléments.

2° L'insertion lexicale: La machine choisit dans le lexique des mots dont les traits caractéristiques leur permettent de figurer comme symboles terminaux aux différentes places déterminées par l'indicateur syntagmatique. Si plusieurs mots du lexique conviennent au même endroit, ce qui est normalement le cas, la machine choisit au hasard entre ceux-ci.

3° Les transformations: La phrase primitive, élaborée au cours des deux premières phrases, est comparée tour à tour aux 85 règles de transformation. Chaque règle a comme premier membre une description de la structure à laquelle peut s'appliquer la transformation en question. Si cette description ne correspond pas à la structure de la phrase examinée, la phrase passe à la règle suivante. Si, au contraire, il y a conformité, le deuxième membre de la règle indique les changements à opérer dans la phrase.

Le programme est capable de produire des phrases d'une complexité assez considérable, soi) n;ir exemple une structure initiale comportant 44 symboles et qui, après l'application de 25 règles de transformation donne la phrase «Jean dit aux enfants qu'il les a vus venir» (à vrai dire, il y manque la finition morphophonétique). Monsieur Morin ne nous dit pas quelle est la proportion de phrases sensées et de phrases absurdes générées par sa grammaire: le problème du sens n'est pas posé. La grammaire produira sûrement des phrases incorrectes, et il y a également beaucoup de phrases correctes qu'elle ne produira jamais. Il s'agit évidemment d'une grammaire et d'un lexique extrêmement simplifiés. Mais, dans la plupart des cas, il n'est pas trop difficile de voir comment les règles pourront être améliorées, et, dans l'ensemble, les résultats semblent témoigner d'une réelle efficacité de la méthode algorithmique. Même si on n'arrive jamais à des résultats entièrement satisfaisants par cette voie, il est du plus haut intérêt de voir dans quelle mesure la méthode pourra rendre compte des combinaisons des morphèmes français.

Le programme de Madame Friedman permet en particulier d'étudier l'interdépendancedes
différents phénomènes grammaticaux. L'ordre dans lequel les règles

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s'appliquent est de la plus haute importance pour le résultat final, et, sans la machine il serait probablement impossible, en présence d'une centaine de règles, de constater comment la forme qu'on a donnée à telle ou telle règle se répercute sur l'action des autres règles. On peut être en désaccord avec Monsieur Morin sur la pertinence linguistique de bon nombre de ses règles; il est toujours intéressant de suivre ses raisonnements, surtout parce qu'ils mettent en lumière, d'une façon particulièrementfrappante, l'interdépendance de règles grammaticale;, qu'on se contente trop souvent d'étudier séparément, dans un ordre purement conventionnel.

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