Revue Romane, Bind 6 (1971) 2

John Pedersen, Ebbe Spang-Hanssen, Carl Vikner: Fransk Syntaks. Copen hague 1970. XXIII + 403 pages.

Sven Andersson

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Le titre de ce nouveau livre sur la syntaxe française est comme c'est d'ailleurs souvent le cas d'ouvrages de ce genre, un peu vague. Dans leur préface, les auteurs précisent qu'il s'agit d'une syntaxe française «moderne», sans dire pourtant de façon explicite ce qu'ils entendent par ce dernier terme. A part les grammaires déjà existantes, dont ils donnent une bibliographie sommaire, ils fondent leur travail sur le dépouille-

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ment d'un grand nombre de textes répartis sur tout le XXe s. (Ils citent d'ailleurs même un ou deux ouvrages de la fin du XIXe.) La langue «moderne» semble donc vouloir dire celle de notre siècle. J'aurais toutefois aimé que les auteurs s'expliquent nettement sur ce point, d'autant plus qu'on peut se demander si la langue du XXe s. est assez homogène pour qu'on n'ait pas à tenir compte de différences d'usage d'ordre chronologique. Pour ce qui est des différences de style les auteurs donnent par contre certaine» indications. Il y a des constructions qui se trouvent seulement dans le style soutenu ou seulement dans la langue littéraire, tandis que d'autres s'emploient surtout dans la langue de la conversation familière, etc. Cela n'empêche pas pourtant que les auteurs n'aient en premier lieu consacré leur intérêt au «bon usage», tel qu'on le trouve dans la langue littéraire. Le but de l'ouvrage est, disentils, de donner les grandes lignes plutôt que d'élucider les problèmes en détail, de donner un guide aux étudiants plutôt qu'un manuel aux professeurs. Sur aucun point, le livre n'a la prétention d'être exhaustif. On peut évidemment discuter le nombre et le choix des détails qu'il faut admettre dans un travail de ce genre. Certains phénomènes, p.ex. l'emploi des temps des verbes, surtout les différences entre l'imparfait et le passé simple, me semblent toutefois avoir été l'objet d'un traitement plus détaillé que d'autres, p.ex. l'emploi des modes. Parfois on s'étonne aussi un peu que, dans une syntaxe de quelque 400 pages, telle ou telle question ait été traitée si sommairement. Chose plus grave pourtant et qui pourrait dérouter les débutants, c'est que parfois les auteurs n'indiquent pas nettement qu'ils ne donnent que des exemples d'une certaine construction et pas l'étendue de son emploi. Au § 116:4 on lit, p.ex., que les verbes d'opinion comprendre, croire, déclarer, dire, écrire, espérer, penser, prétendre, savoir, être certain, sûr peuvent être suivis du subjonctif. Il en est évidemment de même de bien d'autres verbes d'opinion et de perception. La liste donnée au § 138,3 des verbes intransitifs qui se conjuguent avec l'auxiliaire être est elle aussi loin d'être complète. Bien souvent les auteurs font observer que «normalement» on emploie telle ou telle construction ou bien ils donnent une indication de fréquence approximative comme «souvent» ou «le pius souvent». De telles indications peuvent pourtant être trompeuses. Au § 143,4 p.ex., on apprend que, si le sujet est un collectif suivi de de + un substantif au pluriel, le verbe est «souvent» mis au pluriel. De cette remarque on pourrait tirer la conclusion que le choix est libre entre le singulier et le pluriel et que c'est le singulier qu'on emploie dans la plupart des cas. Mais, selon une opinion généralement admise, le verbe s'accorde avec celui des deux substantifs sur lequel on arrête en primier lieu sa pensée.

Il résulte de ce que je viens de dire que, parfois, il peut être difficile de trouver un renseignement précis sur la construction qu'il faut employer dans un cas donné. La critique que j'ai faite sur ce point et sur d'autres n'est pourtant aucunement de nature à éclipser les grands mérites de cet ouvrage, qui suit un plan clair et logique et se caractérise par une grande sûreté dans les détails. Tout au plus pourrait-on faire état de quelques «péchés d'omission». Un des grands mérites du livre est aussi l'aperçu excellent de la terminologie employée, aperçu d'autant plus utile que les connaissances grammaticales des étudiants qui commencent leurs études universitaires laissent souvent à désirer. - C'est donc un tres bel ouvrage et les étudiants danois ont à se féliciter d'avoir à leur disposition encore un excellent travail sur la svntaxe française.

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Voici pour terminer seulement quelques remarques de détail:

§ 43, 4 et 180, 2. Pour l'emploi de l'article défini après en, les auteurs disent au § 43 que normalement l'article ne s'emploie pas, mais que la combinaison en F existe, au § 180 que en ne peut pas s'employer devant le, et que cette préposition se trouve rarement devant les autres formes de l'article défini. 11 aurait fallu faire ici une distinction nette entre, d'un côté, les types en le et en les, depuis longtemps condamnés par les grammairiens et, de l'autre côté, les types en /' et en la, dont l'emploi est en principe admis.

§ 101,1. Pour les pronoms démonstratifs celui-ci, celle(s)-ci, ceux-ci, celui-là, celle(s)-là, ceux-là, les auteurs estiment que les formes avec -là sont les formes les plus fréquentes, celles qui sont employées quand il n'y a pas d'opposition entre deux idées. Je préférerais sur ce point la formule de Grevisse (Le bon usage § 530): «S'il n'y a pas opposition d'une idée à une autre, les démonstratifs prochains [= les formes avec -ci] s'appliquent à ce qui va être dit, à l'être, à l'objet ou aux êtres, aux objets que l'on a devant soi, ou dont on parle, ou dont on va parler; les démonstratifs lointains [ — les formes avec -là] représentent ce qui a été dit, l'être, l'objet ou les êtres, les objets dont on a parlé. » Je voudrais ajouter que les formes celui-ci, celle(s)-ci, ceux-ci me semblent nettement plus fréquentes que les formes correspondantes avec -là, tandis que cela, comme le remarquent les auteurs au § 103,2, est nettement plus fréquent que ceci.

§ 109,9. Le singulier quelqu'un est, selon les auteurs, invariable en genre. On ne pourrait donc pas employer la forme quelqu'une*. Ici encore c'est Grevisse (o.c. § 590) qui donne la bonne règle: «Quelqu'un, pris absolument, s'emploie pour les deux genres et désigne indéterminément une personne». Quand il est évident qu'il est question d'une femme et non d'un homme on emploie toutefois la forme quelqu'une. Ex. (d'après Grevisse): C'est une loi commune Qui veut que tôt ou tard je coure après quelqu'une Benserade; Vous avez l'air de quelqu'une qui ne soit pas loin de pleurer P. Valéry. «Quelqu'un, en rapport avec en ou avec un mot pluriel ou collectif, se dit des personnes et des choses et s'emploie aux deux genres et aux deux nombres ». Voici un exemple avec le féminin du singulier: Quelqu'une de vos compagnes Littré (d'après Grevisse).

S 125,1. L'emploi de l'imparfait clans la subordonnée dans une construction comme il vil qu'elle tombait clan.-, lu rue seiuii., probablement, dû a ia simultanéité des deux actions. A mon avis cet imparfait indique plutôt que l'action de la subordonnée a commencé avant celle de la principale et qu'elle continue encore; l'imparfait indique pour employer une formule de Grevissc (o.c. § 716) «un fait qui était encore inachevé au moment du passé auquel se reporte le sujet parlant; il montre ce fait en train de se dérouler». La chute était donc, pour ainsi dire, en train de se dérouler, quand on s'en aperçut.

§ 148,3,3. Les auteurs font observer qu'on emploie souvent un infinitif sans préposition après les verbes aimer, aimer mieux, compter, désirer, préférer, souhaiter. On pourrait évidemment en ajouter d'autres, mais je voudrais en premier lieu faire la remarque suivante. Le mot «souvent» ne me semble guère à sa place ici. Pour les verbes mentionnés, à l'exception de aimer (qui peut aussi se construire avec à, rarement avec de), c'est sans doute la construction sans préposition qui est la plus courante. Pour aimer mieux et compter, je ne vois d'ailleurs guère d'autre possibilité.

§ 156,1,4. Les auteurs donnent la règle que le participe passé est en général invariable,quand

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riable,quandl'objet direct est une proposition nominale contenant un infinitif, p.ex. // les a fait arrêter. Avec les verbes entendre, voir, envoyer et laisser pourtant, le participe pourrait s'accorder en genre et en nombre avec le sujet de la proposition nominale, si celui-ci précède le participe, p.ex. La jeune fille que fai entendue chanter. Je préférerais dire que le participe s'accorde dans ce dernier cas, parce qu'il a pour objet direct le relatif que, se rapportant à la jeune fille (j'ai entendu la jeune fille qui chantait). Dans une construction comme la chaman que j'ai entendu chanter par contre, où le participe est invariable, le relatif que est plutôt le régime de l'infinitif(j'ai entendu que quelqu'un chantait la chanson). On notera que dans ce derniertype l'infinitif a un sens passif. On peut ajouter un complément d'agent: la chanson que j'ai entendu chanter par cette jeune fille.

LUND