Revue Romane, Bind 6 (1971) 2

Le genre et le nombre en français. A propos du livre de Q. I. M Mok

PAR

UTZ MAAS

Un livre nouveau sur les catégories morphologiques du genre et du nombre en français* a autant d'intérêt pour la linguistique générale que pour la linguistique française. Ce qui distingue le livre de M. Mok, c'est l'application rigoureuse des principes du structuralisme classique, tel qu'il a été pratiqué dans les écoles américaine et néerlandaise. Fort de ces principes, M. se borne à la langue parlée, et ses critères résultent de son but déclaré qui est de se demander « quelle est l'information que l'auditeur obtient grâce à l'emploi de l'une ou de l'autre forme, que cet emploi soit automatique ou qu'il dépende du libre choix du locuteur» (26). Mais une pareille entreprise ne contient encore rien de nouveau: un des premiers à fournir une description structuraliste (avant le terme) de la flexion en genre et en nombre du français parlé a été K. Nyrop dans sa thèse de 1385 (Nyrop 1886: 93 ss.).l

Dans son traitement du genre, M. applique au français la théorie aujourd'huiprevalente
sur l'origine2 de cette catégorie et n'y voit qu'un
phénomène de syntaxe, l'accord entre déterminant et déterminé. Mais



* Q. I. M. Mok, Contribution à l'étude des catégories du genre et du nombre dans le français parlé, Mouton, Den Haag, 1968, fl. 26,-.

1: Cf. «Det stumme e spiller i virkeligheden ingen rolle ved hunkonsdannelsen, det talte sprog gor naemlig ikke forskel pâ joli og jolie, tel og telle. . . » (97). Nyrop fournit comme M. des tableaux de flexion, à la différence près que pour lui »adjektivernes hunkensdannelse pâ fransk i virkeligheden i de fleste tilfaelde foregâr ved hjaelp af tilfoJelsen af visse konsonanter til hankonsformen« (98), cf. sa classe Aid: »TilfoJelsen af en konsonant og forandring af endevokalen : bo - bel, fu - fol« (99) - description toujours convertible en celle de M., qui y voit une flexion de subtraction à la suite de Bloomfield et de Nida. Il est d'ailleurs assez surprenant que M. ignore une grande partie des ouvrages qui traitent de ces problèmes, p.e. la très utile confrontation d'analyses parallèles de la langue panec ei écrite de Richer (J964J.

2: Cette théorie est représentée surtout par A. Martinet. II s'agit d'une théorie sur l'origine de ce phénomène et non pas d'une définition générale, c'est ce qui ressort très clairement d'une formulation récente : « L'origine du genre qui, comme dans le cas du féminin indo-européen, ne se manifeste au départ que par raccord de Fudjeciif fl des /jrunutm, iie peut s'explique: que pai une fixation initiale dans les pronoms, où la différenciation a un sens, avec extension paresseuse aux adjectifs correspondants où elle n'en a plus» (Martinet 1967: 130)

Side 170

ce point de vue contraste avec la théorie notionnelle des parties du discours,acceptée par M., qui restreint le genre (et le nombre) aux substantifset ne voit que des phénomènes d'attraction dans la flexion des déterminants.3Comme M. évite toute discussion du problème sémantique des catégories grammaticales, ce qui aurait exigé de sa part une étude des relations genre/sexe, personnel/non-personnel, animé/inanimé,4 la relation entre ces deux niveaux ne devient pas très claire. Il paraît que le problème est relégué à la dérivation (que M. ne traite pas!):» De même que le genre, en tant que catégorie de flexion, ne se présente pas à l'intérieur de la classe des substantifs - boulangère, lionne sont des dérivés de boulanger,lion - de même le genre, en tant que classement, n'existe pas en dehors de cette classe. » (86).

La coïncidence formelle entre la flexion (de l'adjectif) et la dérivation
(du substantif) apparaît donc comme une homophonie fortuite, cf.


DIVL2908

La transposition des deux parties du discours est accompagnée d'une différence entre les structures morphologiques: «L'opposition masculin - féminin des adjectifs est une opposition entre deux mots morphématiques; la même opposition formelle entre deux adjectifs substantives est une opposition entre un mot a-morphématique et un mot morphématique. .. .Tandis que petite et lionne ont, outre leur sens lexical individuel, une



2: Cette théorie est représentée surtout par A. Martinet. II s'agit d'une théorie sur l'origine de ce phénomène et non pas d'une définition générale, c'est ce qui ressort très clairement d'une formulation récente : « L'origine du genre qui, comme dans le cas du féminin indo-européen, ne se manifeste au départ que par raccord de Fudjeciif fl des /jrunutm, iie peut s'explique: que pai une fixation initiale dans les pronoms, où la différenciation a un sens, avec extension paresseuse aux adjectifs correspondants où elle n'en a plus» (Martinet 1967: 130)

3: Cette théorie est bien exposée dans Jespersen (1924). Pour une excellente discussion, basée sur un matériel bibliographique énorme, voir Wienold (1967).

4: Ceci s'applique de la même manière aux chapitres sur le nombre (dénombrabilité - nombre). Une excellente introduction à ces questions se trouve dans l.yons (1968). La discussion fondamentale de ce problème dans la glossématique paraît être ignorée par M.: Hjelmslev (1956) ne figure même pas dans la bibliographie. Cependant il faut noter que Togeby propose une analyse semblable dans sa grammaire récente: »Der opstàr sàledes ordpar, der overfladisk kan minde om en fri genus-bojning, men hvor det er rodderne, ikke bojningen, der gengiver den biologiske virkelighed: bélier - brebis, bouc - chèvre... I andre tilfaelde gengiver sproget disse sexus-modsaetninger ved afledning, der heller ikke bor opfattes som fri flexion. Disse sexus-skifte-suffixer horer til en sœrlig klasse derivativer« (Togeby 1965: 14).

Side 171

DIVL2896

valeur sémantique catégorielle 'de sexe féminin', qui est, à la différence
de ce qui peut se produire pour petite adjectif, une valeur des mots
eux-mêmes et non pas du groupe ou apparaît l'adjectif, petit et lion n'ont
aucune valeur sémantique catégorielle et doivent être considérés comme
des mots a-morphématiques » (75).5
Le point de vue de l'auteur peut être illustré par le schéma suivant,
où les flèches indiquent la direction de la détermination {déterminant sert
ici et dans la suite comme terme pour désigner la classe des pronoms,
articles et adjectifs):

C'est ce qui ressort clairement de certaines remarques de M. telles que celle-ci «Si l'aspect catégoriel 'de sexe féminin' auquel, dans les groupes: [p(9)titkamarad] (petiteÇs) camarade(s)), [gràdkamarad] grande(s) camarade(s)), correspond l'aspect catégoriel de la forme de l'adjectif (cp. [p(s)tikamarad] (petit(s) camarade(s), [grâkamarad] (grand(s) camarade (s)), ne peut pas etre considéré comme un aspect catégoriel du sens de l'adjectif lui-même, c'est qu'il est incompatible avec l'aspect sémantique individuel de eeiui-ei. Celle liieollipdlibijlLe ii CXIStC pllià dCi> que 1 OU considère l'aspect catégoriel 'de sexe féminin' comme un aspect du contenu du groupe dont le substantif, désignant un être sexué, forme le noyau» (16-17). Cette observation nous paraît très juste - et un des résultats de l'étude de M. est d'avoir démontré que le domaine du genre en tant que phénomène deictique6 est beaucoup plus large qu'on ne le soupçonnait, cf. l'exemple cité p. 79:



5: Pour le terme «morphématique» cf. la définition de M.: «Un morphème est un aspect catégoriel de la forme d'un mot qui correspond soit à un aspect catégoriel du sens du mot ou du contenu du groupe ou de la phrase dont ce mot fait partie, soit à une fonction grammaticale. Un mot dont la forme présente un tel aspect catégoriel, que celui-ci puisse être décrit au moyen de phonèmes ou non, est un mot morphématique» (18).

6: Nous employons ce terme dans le sens large qu on lui donne aujourd'hui, comprenant et des références textuelles et des références situatives. Certains auteurs préfèrent le terme «pronominal», cf. p.e. Lyons (1968:288).

Side 172

(Berthe. - Tiens, maman... garde mon éventail). Maurice bas, à Duplan.
Ravissante! Ravissante!7

où l'accord ne se fait pas avec un mot du texte, mais repose sur la référence implicite à une personne présente au moment de l'énoncé (la jeune fille Berthe). Cependant, comme M. se refuse à entrer dans la discussion de la sémantique, on a l'impression qu'il arrive à ces résultats malgré lui (ou plutôt malgré les principes méthodologiques préconisés par lui), cf. ci-dessus la discussion de la référence situationnelle du genre.

Se fondant sur les données positives de l'énoncé, l'auteur est amené à «admettre qu'il existe, à côté des substantifs masculins et des substantifs féminins, une troisième catégorie de substantifs, qui se distinguent des deux autres par le fait que les substantifs qui en font partie peuvent être accompagnés de l'une ou de l'autre forme fléchie en genre de l'article, etc. et que, de ce fait, nous appellerons, par la suite, la catégorie de substantifs agénériques». (66). En fait, ce n'est qu'en cooccurrence avec un substantif agénérique que la flexion de genre du déterminant n'est pas redondante.B Mais on ne voit pas très bien quelle peut être la motivationdu «libre choix» du locuteur dans le cas des lexèmes non sexués (ce sont presque exclusivement des lexèmes sexués qui figurent dans les exemples de M. -ce qui contribue à cacher le problème),9 p.e. si l'on remplace camarade par voile dans l'exemple cité ci-dessus. M. nous expliquequ'il s'agit alors de deux homonymes différenciés par des cooccurrcncesdifférentes. Mais de deux choses l'une: ou bien on reste dans le cadre d'une analyse distributionnelle, et alors il faut admettre deux [kamarad] homonymes, ou bien on se sert de critères sémantiques, ce qui en présuppose une discussion. Il faut ajouter que M. a très bien vu qu'il y a une différence catégorielle (donc sémantique) entre les cas de camarade et de voile quand il dit: «Personne ne niera qu'après avoir entendu [lavwal] (la voile), l'auditeur sait que le locuteur a voulu lui parlerd'une 'toile forte, que l'on attache aux vergues d'un mât pour recevoir



7: Le passage est de Labiche, et M. le reprend à Damourette-Pichon.

8: Pour être précis: cette remarque de même que ¡c schéma ci-dessus s'applique aux procédés de l'interprétation sémantique de l'énoncé - la redondance des marques peut, bien sûr, jouer dans l'interprétation en tant que permettant la corrélation juste des éléments du syntagme, fait éminemment sémantique comme M. le souligne à juste titre, cf. ci-dessous.

9: Cf. dans la conclusion (147): »En cas de non-accord et de désaccord, la flexion en genre correspond à une valeur sémantique; le féminin fait savoir qu'il est question d'un être de sexe féminin, le masculin fait savoir qu'il n'est pas uniquement question d'un être de sexe féminin».

Side 173

le vent et faire avancer le vaisseau' (voile 1), et non pas d'une 'étoffe destinéeà couvrir ou à protéger' (voile 2). Seulement il n'obtient pas cette connaissance parce que la appartient à une catégorie morphologique opposée à celle dont fait partie le, mais parce que le et la constituent avec les substantifs phonologiquement identiques [vwal] les groupes différents [l(a)vwal] et [lavwal] qui lui permettent d'identifier [vwal] soit comme voile 1 soit comme voile 2. En tant que membres de catégories morphologiquesopposées, le et la remplissent toujours auprès des homonymes la fonction syntaxique qui correspond à leur flexion en genre lorsqu'ils sont employés en combinaison avec un substantif à genre fixe» (64).10 Restreint à des critères distributionnels, le phénomène de genre se réduit à quelque chose comme: «le genre (mase, ou fém.) est la flexion du déterminant régi par un substantif marqué pour le trait morphosyntaxique[n'occurrant dans un syntagme qu'avec des déterminants marqués pour le féminin ou le masculin]» - La formulation est la nôtre, et M. nous en fournira peut-être une meilleure; mais elle suffit certainement pour montrer la valeur d'un tel procédé. On ne voit pas trop bien quel peut être l'avantage d'un tel résultat par rapport au traitement traditionnelqui parle simplement d'un substantif marqué pour le genre et avec lequel l'adjectif s'accorde.

Étant donnée la méthode que M. utilise dans son étude du genre, on est étonné de trouver une discussion de «l'opposition sémantique singulier'-'pluriel' . . dans ... la classe des substantifs» (101), se terminant par oca mois. vXn dehors d'une série fermée de substantifs qui maintien nent l'opposition singulier - pluriel dans toute position, tous les substantifs sont indifférenciés en nombre, quelle que soit la position où ils apparaissent» (108). Dans une étude orientée vers la structure positive de l'énoncé et basée sur des critères formels, on s'était attendu d'après le schéma suivant:



10: Cependant M. met bien en évidence que cette différence est reflétée par des restrictions distributionnelles: «Dans la langue parlée, il n'existe pas plus deux mots /ami/ qu'il n'existe, ni dans la langue parlée ni dans la langue écrite, deux mots esclave, ainsi que le prouve la phrase suivante, qui serait impossible, si l'on remplaçait esclave par voile: Mais les Grecs ils ne s'embarrassaient pas comme ça, ils allaient au marché aux esclaves et ils s'en ramenaient un ou une, comme ça pour le plaisir en laute u/npiicite » Kpb). Dan& celle cilalion de Rochefort, il est évident que l'opposition un ~ une se réfère à une opposition catégorielle, mais il s'agit de l'opposition de sexe et non pas de genre.

Side 174

DIVL2910

L'identité partielle des formatifs de dérivation et de ceux de flexion se
retrouve dans les deux catégories:


DIVL2912

Des considérations de fréquence (le type de substantif agénérique spécifie par la flexion du déterminant étant moins fréquent que celui du substantif anumérique) ne devraient pas entrer en compte. Dans son exposé, l'auteur paraît avoir été conscient de cette différence entre ces deux types, comme le montre le chiasme dans les titres des chapitres respectifs: «IV. Le genre: fonction grammaticale ou valeur sémantique

. . . VI. Le nombre: valeur sémantique ou fonction grammaticale».
Mais faute d'explication nous ne pouvons y voir qu'une inconsistance
méthodologique.ll



11: La découverte d'une «troisième classe» a été faite bien avant M. Ainsi, Jespersen écrit: «In French most substantives, as far as their sound is concerned, are really in the «common number», but adjuncts often have separate forms, henee such constructions as the following: il prendra son ou ses personnages à une certaine période de leur existence ( Maupassant) » (Jespersen 1924: 198 n. 1); pour le phénomène analogue du genre, «common sex», cf. ibid. p. 231 ss. Cf. déjà Nyrop (1917). Une troisième classe apparaît aussi dans la grammaire algébrique. Avec une division de l'inventaire des formes en paradigmes et classes distributionnelles et la notion d'une chaîne, définie par le fait que deux éléments consécutifs appartiennent ou au même paradigme (p.e. puer et puerorum) ou à la même classe de substitution (p.e. puerorum et librorum), on peut construire un algorithme pour les catégories du genre et du nombre. Si l'on choisit £ = homme comme représentant du masculin et r\ = femme comme représentant du féminin «a noun belongs to the masculine grammatical gender if any word of its paradigm may be joined to any word of the paradigm of t, by a chain whose length is at most equal to 3» (Marcus 1967:118) et mutatis mutandis pour le féminin. Plumes est donc féminin, parce que plumes -plume -femme; colins est masculin parce que colins - colin - homme etc. Si un mot ne remplit pas la condition, il est neutre, p.e. on a bon eleve et bonne eleve, mais» non bon Jtmme et bonne femme, petit rnt et petit? rai, mais non petit homme et petits homme, etc.. cas et élève sont donc des neutres.

Side 175

Au cours de sa discussion du rapport entre féminin et masculin, M. essaie de réfuter la théorie jakobsonnienne des marques (97-99). On sait qu'à la suite de la théorie de la phonologie de Prague, R. Jakobson a développé une théorie grammaticale analogue qui ne voit plus dans les oppositions grammaticales des disjonctions logiques mais des relations de participation, de sorte que via signification générale d'une catégorie marquée réside en ceci qu'elle affirme la présence d'une certaine propriété (positive ou négative) A; la signification générale de la catégorie nonmarquéecorrespondante n'avance rien concernant la présence de A, et est employée principalement, mais non exclusivement, pour indiquer l'absencede A. Le terme non-marqué est toujours le négatif du terme marqué,mais, au niveau de la signification générale, l'opposition des deux termes peut être interprétée comme «affirmation de A» / «pas d'affirmationde A», tandis qu'au niveau des significations «rétrécies», nucléaires,on rencontre l'opposition «affirmation de A»/«affirmation de non- A» (Jakobson 1957:185). M. dit: «Sur le plan du signifié, comme sur le plan du signifiant, l'opposition masculin - féminin est une opposition equipollente comportant deux termes marqués. La flexion masculine et la flexion féminine donnent toutes les deux, à travers les mots où elles figurent, une information positive» (99). Loin de contredire la théorie de Jakobson, ce point de vue n'en est qu'une simplification erronée, résultat d'une séparation insuffisante entre critères sémantiques et formels. Il devrait être évident que dans l'interprétation finale (description du detioiuiutu), il ne peut y ¿tvou que masculin cl femmm. Mais les cond:



11: La découverte d'une «troisième classe» a été faite bien avant M. Ainsi, Jespersen écrit: «In French most substantives, as far as their sound is concerned, are really in the «common number», but adjuncts often have separate forms, henee such constructions as the following: il prendra son ou ses personnages à une certaine période de leur existence ( Maupassant) » (Jespersen 1924: 198 n. 1); pour le phénomène analogue du genre, «common sex», cf. ibid. p. 231 ss. Cf. déjà Nyrop (1917). Une troisième classe apparaît aussi dans la grammaire algébrique. Avec une division de l'inventaire des formes en paradigmes et classes distributionnelles et la notion d'une chaîne, définie par le fait que deux éléments consécutifs appartiennent ou au même paradigme (p.e. puer et puerorum) ou à la même classe de substitution (p.e. puerorum et librorum), on peut construire un algorithme pour les catégories du genre et du nombre. Si l'on choisit £ = homme comme représentant du masculin et r\ = femme comme représentant du féminin «a noun belongs to the masculine grammatical gender if any word of its paradigm may be joined to any word of the paradigm of t, by a chain whose length is at most equal to 3» (Marcus 1967:118) et mutatis mutandis pour le féminin. Plumes est donc féminin, parce que plumes -plume -femme; colins est masculin parce que colins - colin - homme etc. Si un mot ne remplit pas la condition, il est neutre, p.e. on a bon eleve et bonne eleve, mais» non bon Jtmme et bonne femme, petit rnt et petit? rai, mais non petit homme et petits homme, etc.. cas et élève sont donc des neutres.

Side 176

tions formelles pour la structure de Yimage de cette description dans la
parole (c'est-à-dire les règles de la langue) sont moins fortes. Cependant
ceci présuppose une théorie du langage moins mécaniste que celle de M.

Une comparaison de la solution de M. avec une autre qui se fonde sur la théorie de Jakobson, montre facilement leur équivalence formelle, c'est-à-dire qu'elles décrivent toutes les deux d'une façon exhaustive les phénomènes rencontrés dans l'énoncé. En fait les trois classes logiques de M. sont réduites à deux à l'aide d'une définition basée sur la participation:


DIVL2766

Malgré les protestations de M., la ressemblance apparaît jusque dans la formulation de ses définitions, p.e. «Le féminin précise que ce qui est indiqué par le pronom est nommé dans le contexte ou le texte au moyen d'un ou plusieurs substantifs féminins; le masculin précise (?) que ce qui est indiqué par le pronom n'y est pas nommé exclusivement au moyen d'un ou plusieurs substantifs féminins» (90).12

Afin de bien comprendre la théorie de Jakobson, il faut recourir aux procédés d'analyse sous-jacents, qui correspondent à ceux que Trubeckoj (1939) a codifiés pour la phonologie. Le point de départ de l'analyse est la distinction entre les positions de pertinence («Relevanzstellung») et les positions de neutralisation («Aufhebstellung»). Neutralisation veut dire que les termes de l'opposition ne s'opposent pas dans cette position ce qui a été l'argument de M. pour postuler une troisième catégorie de formes qui apparaissent dans cette position. Le fa.il qu'un des termes apparaisse (comme représentant de l'opposition) dans la position de neutralisation,implique donc par définition qu'il ne signale pas toujours le



12: et passim, cf. pp. 62-63, 91, ainsi «il faut noter cependant que c'est pour des seules raisons de concision que nous avons préféré formuler en termes négatifs la fonction syntaxique correspondant à la forme masculine» (63). Il est remarquable que Nyrop a déjà donné une définition de l'opposition masculin - féminin qui ressemble à celle de Jakobson: »Hankonsformerne ikke blot repraesenterer Hankon, men ogsaa Hunkon, hvorimod Hunkonsformerne udelukkende repriesenterer Hunkon. Hunkonsformerne har saaledes en speciel og begrœnset anvendelse, Hankonsformerne har storre Betydningsomraade og frembyder en mere generel Karakter« (Nyrop 1917:11), cf. surtout sa définition du cas non-marqué: »Hankonsformernes. . . Anvendelse som Fœlleskon« (ibid.). Il cite d'ailleurs une remarque analogue de Vaugelas!

Side 177

contraire de l'autre terme (qui n'apparaît pas en position de neutralisation) .l3 Autrement dit, le phénomène de non-flexion dans le sens de M. est la condition essentielle de l'analyse d'une opposition en termes marqué non-marqué' dans le sens de Trubeckoj et Jakobson. En fait, quand M. dit: «Al et A2 désignant] les possibilités d'emploi offertes par la flexion féminine. (...) loin de signaler ni Al ni A2, le masculin signale toujours (souligné par U.M.) non-Al ou non-A2» (99), la constatation est triviale: elle ne s'applique par définition qu'aux positions de pertinenceou elle correspond aux 'signifiés rétrécis, nucléaires' de J. - les emplois qui sont la condition pour pouvoir poser une signification «générale»,ayant été classés dans une catégorie à part par M. Au lieu d'éluciderles rapports très subtils qui existent entre signification en fonction de l'environnement et signification de la forme,l4 M. se borne à une classification formelle, dont on ne voit pas l'intérêt pour une théorie qui essaie d'expliquer le phénomène de la compréhension dans le langage, et qui en plus ne résisterait guère au rasoir d'Occam: entia non sunt multiplicandapraeter necessitatem. A quoi sert-il de savoir que // dans il pleut n'est ni masculin ni féminin mais est homonyme de // dans il court {le garçon)! Il nous semble plus économique de dire que dans une certaine classe d'environnements, à laquelle appartiennent des verbes comme pleuvoir, le pronom sujet prend toujours la forme masculine, alors qu'ailleurs,il est masculin ou féminin.

Un problème analogue se présente lors de la définition de l'opposition «singulier - pluriel» C129-133): «Nous définissons la valeur sémantique du pluriel comme 'plus d'un individu'. Si nous préférons nous servir de 'plus d'un individu', plutôt que de 'discontinu', pour définir la valeur sé-



13: C'est la définition des termes'marqué - non-marqué, cf. «jenes Oppositionsglied, welches in der Aufhebestellung zugelassen wird, ist vom Standpunkt des betreffenden phonologischen Systems merkmallos, wahrend das entgegengesetzte Oppositionsglied merkmaltragend ist» (Trubeckoj 1939:73). Dans la grammaire generative, cette théorie a été plus formalisée. On n'y parle plus maintenant de marques inhérentes, mais les prédicats 'marqué - nonmarqué' sont des interprétations en fonction de l'environnement, cf. Chomsky - Halle (1968:402 ss.); pour une application à la morphologie cf. p.e. Bierwisch (1967).

14: Un exemple excellent en est la discussion de l'opposition entre N[ominatif] et A[ccusatif] en russe (Jakobson 1936:61). Ils s'opposent comme non-marqué (N) et marqué (A); mais à cheval sur cette opposition, il en existe une autre qui est différenciée par l'emploi normal de N d'^actant» comme non-marqué et celui d'«object» (comprenant le sujet dans les constructions passives) comme marqué, vu qu'il est lié à des conditions spéciales dans l'environnement.

Side 178

mantique du pluriel, c'est .... parce qu'il nous semble qu'en introduisant
le terme individu, nous décrivons plus clairement la nature du pluriel
L'examen des exemples . . . nous interdit évidemment de soutenir que le
singulier, par opposition au pluriel, signale qu'il n'est question que d'un
seul individu. La façon le mieux appropriée de définir la valeur sémantique
du singulier, qui s'applique à ses différents emplois et qui détermine
nettement son opposition à celle du pluriel, est de dire que le singulier
signale qu'il n'est pas question de plus d'un individu» (132). Ce qui rend
la question difficile, ce sont des exemples comme


DIVL2914

qu'on ne peut évidemment pas décrire à l'aide de termes comme 'un - plusieurs'.ls Mais le concept d'individuation ne semble pas non plus expliquer cette opposition, cf. les exemples suivants cités par Grevisse (1964) : «Ceux qui se jugent les plus maîtres d'eux-mêmes» (Daudet) p. 427, « Les juges ne seraient plus que les greffiers d'une sentence à eux dictée» (Chateaubriand) p. 414. La première proposition s'applique distributivement à chacune des personnes mentionnées, en accord avec la définition du pluriel, tandis que la deuxième prononce un jugement sur une classe de personnes, ce qui contredit l'équation 'pluriel — individuaron'.l6



15: Comme M. le remarque à juste titre: i! peut y avoir identité d'interprétation dans ce cas, mais il reste la tâche (linguistique) de rendre compte de la différence formelle (133). Ce problème a été discuté in extenso par Guillaume, cf. ses travaux regardant l'article en français, reproduits en Guillaume (1964:143 - 183), ignorés par M.

16: Soi peut assumer les deux mêmes fonctions, cf. «Ceux qui détiennent l'energie et la probité nécessaires pour exiger des autres un peu moins que ce qu'ils exigent de soi» (Vercel), ibid. p. 427, et «Les gens qui parlent devant le miroir sont encore plus contents de soi que les gens qui dansent devant le miroir» (Hermant), ibid. p. 428. Mais ceci cadrerait avec la théorie de M., qui verrait dans soi un terme anumérique qui peut prendre les deux fonctions selon l'environnement. Cependant, il paraît qu'une 'recatégorisation' du mot soi à l'aide du suffixe même(s) soit possible, cf. les exemples, op. cit. p. 428. En ce qui concerne le terme «distributif», il est intéressant de comparer une langue comme le kalispel, qui ne connaît pas de catégorie de nombre mais de distribution. A une phrase comme «ils travaillent» correspondent, dans cette langue, les trois expressions suivantes: kû?tam «tous font le même travail (collectif)» kw3!kûj3m «ils font des travaux différents, chacun le sien et à un endroit différent», kw3!kù?!3m «ils font des travaux différents, un groupe celuici, un autre groupe celui-là» (Vogl Î940).

Side 179

Comme pour l'étude du genre, un exposé systématique des catégories sémantiques fait défaut chez M. Il se borne à établir trois classes formelles : singulier - pluriel - anumérique. Mais si la réinterprétation de l'opposition'singulier - pluriel' en termes d'«individu» a déjà soulevé des objections,elle ne satisfait pas davantage pour expliquer des cas comme du mouton.ll Le traitement usuel qui admet une catégorie fondamentale de «dénombrabilité» semble donc préférable. Pour une sous-classe de lexèmes, un choix dans la spécification est possible: il boit du vin - les vins de France, ou inversement, elle a beau avoir onze ans, on sent c'est déjà de la femme (Aymé, cité dans Togeby 1965:49).18 M. en dit seulement «on a affaire à l'actualisation d'acceptions différentes du même substantif, sans que celui-ci perde pour cela son identité sémantique» (136). Cependantl'appartenance à cette sous-classe est un fait de la norme et non du système (d'après la terminologie de Coseriu), et on peut donc l'ignorer à bon droit. Beaucoup de problèmes restent encore, dont l'emploi de la forme du pluriel dans la valeur de «continu», cf. ci-dessus les exemples utilisés pour la désignation d'une classe ou des 'partitifs' comme des sables. Même si l'on exclut les pluralia tantum de la discussion, parce que, comme l'auteur le dit à juste titre, «la flexion en nombre de ceux-ci n'ajoute aucun aspect sémantique au contenu du groupe (se. déterminant + substantif)» (137), il reste toujours le fait qu'on se trouve devant un choix entre une forme de pluriel et de singulier. On a donc affaire formellementà une position de pertinence, dans laquelle singulier et pluriel ¿.'opposent, et une pot-ition de neutralisation, dans laquelle la forme du singulier est la seule à apparaître (des notions comme "partitif peuvent suffire ici pour indiquer l'environnement qui détermine la neutralisation). Une définition des deux termes à la Jakobson s'offre donc de nouveau : singulier: non-marqué - pluriel: marqué. La définition de M. revêt clairementcette forme, mais il proteste contre cette ressemblance: «Au lieu de ne pas signaler qu'il est question de plus d'un individu - ce qui serait la condition indispensable pour qu'on puisse parler d'un terme non-marqué - le singulier signale en réalité positivement qu'il n'est pas question



17: D'ailleurs M. ne fait que résumer le traitement de ce problème dans les œuvres de Damourette-Pichon et de Sten. Dans son propre exposé, il n'y fait aucune allusion explicita. Il faut donc supposer qu'il y voit un cas de «pas plus d'un individu».

18: Dans la iheone usuelle, on n'y voit pas de flexion maib part ci'u/ic spcciiicution de cette catégorie dans le lexique, qui admet cependant dans l'emploi une recatégorisation. cf. Lyons (1968:282).

Side 180

de plus d'un individu» (133). Il nous faut avouer que nous ne voyons guère de différence entre cette définition de M. et celle qu'il a réfutée expressément: «le singulier signale qu'il n'est question que d'un seul individu» (132, cf. ci-dessus). En fait, nous croyons avoir montré qu'une définition en termes d'individualité (ou, plus en profondeur, en termes de dénombrabilité) puisse bien convenir à la signification rétrécie des termes, valable en position de pertinence. Comme dans le cas du genre, une définition en termes de participation s'avère plus adéquate aux faits du langage qu'une définition en termes de disjonctions logiques.

Etant donné le principe de M. de «décrire d'une façon non-contradictoire, exhaustive, simple et positive la manière dont les catégories morphologiques du masculin et du féminin s'expriment effectivement dans la langue parlée» (50), on ne peut parler d'une flexion de genre que là où elle peut être observée positivement. Comme les deux termes ne peuvent contraster que par l'occurrence ou la non-occurrence d'une consonne finale ([sot] ~ [so]), il ne peut être question de flexion que là ou cette opposition est possible, c'est-à-dire en position préconsonantique, puisque la position prévocalique fait toujours apparaître la consonne en liaison. De même que du point de vue fonctionnel (cf. ci-dessus), M. est amené à poser trois formes telles que dans le schéma suivant (p. 36), que nous complétons par des indications sur les environnnements déterminants ( C «préconsonantique», - —V «prévocalique»):


DIVL2916

Même si l'on est prêt à suivre l'auteur dans cette argumentation, la
situation est différente dans le schéma suivant (p. 37):


DIVL2918

La première impression que l'auteur de ces lignes a eue à la lecture de
ces pages rappelle un peu celle d'Alice au Pays des Merveilles: «Somehow

Side 181

DIVL2920

it seems to fili my head with ideas - only I dont exactly know what they
are!» Enfin, on voit quels sont les facteurs qui déterminent la distributioncomplémentaire,

II n'y a pas d'opposition dans les environnements du type [fam] ¦ (cf. toujours [ptit] dans V). mais dans l'environnement du type [om] , [nçrmal] s'oppose à [normo] (cf. [ptit] ~ [pti] dans C), donc normah normah (cf. petiti -f petitz): «Alors que [nçrmalj singulier est masculin, [normal] indifférencié en nombre est féminin. Les deux mots, l'un polymorphématique et l'autre monomorphématique, n'ont en commun que le sens lexical individuel et occupent des places différentes dans le paradigme de l'adjectif» (37). La quaternio terminorum est évidente: l'argumentation dans le cas de [pti(t)] se basait sur l'occurrence positive d'indices dans la parole ( V ~ C) - mais rien de positif dans notre cas ne permet une telle distinction, cf. [kôsjçrz nçrmal] [kôsjçrz + nçrmal] <fém.> [kôsjçrz nçrmal] [kôsjçrz + nçrmal +0] <masc, sg.> (les <> indiquent le niveau morphologique). Tout ce qui distingue les deux, est «un réseau associatif», qui a été vivement attaqué par Tctulcur quand il a été avancé par d'autres (p. 34 ad Perrot). Mais peut-être la critique est-elle injuste : concierge est un substantif agénérique pour M., cf. ci-dessus. Dans ce cas, il faudrait une troisième forme normah, qui désigne les substantifs agénériques, donc normah <masc, sg.> ~ normah <fém.> normah <agén.,?>. Le point d'interrogation après 'agénérique' indique l'embarras: ce terme seul ne suffit pas parce que normah se divise en normale <agén., «mase, sg. »> et normal^ <agén., «fém.»>! De plus, la troisième catégorie 'agénérique' n'a rien à voir avec la catégorie X du schéma ci-dessus; d'où quatre catégories, dont deux qui n'indiquent rien mais qui s'opposent!

La définition du nombre, citée ci-dessus, montre que M. refuse, en accordavec son procédé dans le cas du genre, d'étendre la flexion ouverte à plus de quelques substantifs. Dans sa discussion des travaux antérieurs, il met en relief, à la suite de Fouché. que l'expression formelle de la flexion par un z de liaison représente aujourd'hui un niveau archaïque de la

Side 182

DIVL2922

langue et peut donc être exclue de la discussion.l9 Dans les paragraphes ci-dessus, nous avons déjà montré comment M. analyse les oppositions en les ramenant à des contextes où elles peuvent fonctionner. L'exemple le plus clair est présenté par les adjectifs préposés et non-différenciés en genre (dans l'interprétation de M., toujours sous-entendu). Ainsi p.e. p.110:

Nous avons déjà discuté comment M. étend, d'une façon erronée, cette
argumentation à des environnements phonologiquement non-conditionnés.

On voit ainsi un décalage très clair dans l'incidence de la flexion (115):
S[ubstantif] <A[djectif] <Déterminant], ou, en rendant compte de la
manière de la modification:


DIVL2924

(«totalement» et «partiellement» s'appliquent à l'ensemble de chaque
catégorie).

D'après ce qui en a été dit, il est évident que le problème morphologique de la flexion du genre et du nombre est intimement lié au phénomène de sandhi (liaison et elisión). Fn fait, l'interprétation de celui-ci dépasse forcément le cadre de la phonologie. Il est donc significatif que M., en accord avec une théorie structuraliste qui préconise une séparation stricte des niveaux d'analyse, aboutisse, dans une étude antérieure sur la liaison, au résultat quelque peu surprenant: que «[la liaison] ne joue le rôle de source d'information que par raccroc, comme une conséquence heureuse, mais accessoire, de sa fonction essentielle. Cette fonction, nous la découvrons,si nous nous rendons compte que la liaison consiste à utiliser devant un mot à initiale vocalique une variante qui se termine par une consonne,



19: Comme on le sait, la restriction du domaine de l'.v de liaison fut observée déjà par les grammairiens du XVIIe s. Chiffiet (1695) indique clairement qu'on ne fait la liaison que «quand ces mots suivants sont régis par le précédent, qui finit en consonne, autrement non » (Thurot 1966:11,8). Et Hindret ( 1687) donne déjà des exemples comme a-t-oni'averti, de jan inconu (sans-z-!), (ibid. p. 9).

Side 183

DIVL2926

précédée le plus souvent d'une voyelle, plus rarement d'une consonne. Aussi l'emploi de cette variante contribue-t-il à faire alterner les voyelles et consonnes dans la chaîne sonore, et à créer ainsi les contrastes nécessairespour le fonctionnement de la langue comme instrument de communication»(Mok 1966:38). Voilà un beau résultat: il y a des phonèmes afin qu'il y ait des phonèmes - et il y a des phonèmes afin qu'il y ait de^ phonèmes, etc. Le problème survient quand on ne veut pas faire de l'art pour l'art mais expliquer le comportement de l'usager de la langue, d'où la nécessité de reléguer les mécanismes sémantiques à des niveaux toujours plus hauts, c'est-à-dire des niveaux dont on ne rend pas compte dans son étude (cf. genre/sexe incidant à la dérivation seulement chez M.). D'ailleurs une analyse strictement phonologique des phénomènes de liaison aboutirait à une aporie pour ce qui est de la théorie de participationesquissée ci-dessus, cf. le schéma suivant:

Les phénomènes phonologiques prouvent apparemment que la forme du féminin est la forme non-marquée, tandis que ceux de la syntaxe le prouvent pour la forme du masculin (pour le principe cf. ci-dessus). Mais il serait paradoxal de donner aux phonèmes une autre valeur que celle de garantir les distinctions de la «première articulation». Un rapport entre les différents niveaux est donc obligatoire - et les phénomènes de sandhi ont toujours été, depuis les grammairiens indiens, non pas des faits phonologiques mais morphologiques.

Une analyse phonologique exclusivement «descriptive» doit rendre compte d'une pluralité embarrassante d'interrelations de formes. Les classes distributionnelles qu'elle peut former ne permettent guère une corrélation significative avec les types sémantiques dont on sait qu'elles en sont les réalisations, cf. l'arbre suivant et les définitions distributionnelles qui en sont dérivables:

Side 184

DIVL2898

DIVL2928

<TextAlignment type="Center"/><Emphasis rend="italic">grand: grâ <2,4>, grât <I>, grâz <3>, grâd<Sub><s,6,B>,</Sub> grâdz <7> <Linebreak/></Emphasis> <TextAlignment type="Left"/><Emphasis rend="italic">petit: pti <2,4>, ptit <1,5,6,8>, ptiz <3>, ptitz <7> <Linebreak/></Emphasis>

mon: mo <2>, mon <1,5>, ma <6>, me <4,8>, mez <3,7>

jaune:zor\ <1,2,4,5,6,8>, zonz <3,7>

La liste de classes de substitution présentant des idiosyncrasies pareilles peut facilement être allongée. Il paraît invraisemblable que la communication puisse fonctionner d'une façon exclusivement analytique. D'autre part, si l'on parcourt l'arbre dans le sens inverse (de la racine en haut), les syncrétismes sont fortuits et sans importance2". Un ici procédé synthétique caractérise la grammaire generative, cf. p.c. le traitement de ces phénomènes dans Shane (1968).21



20: La 'truncation rule' de Shane n'opère qu'au niveau des morphèmes, ce qui rend une 'final consonant deletion rule' nécessaire. La dernière serait superflue, si l'on inclut la pause dans la classe des consonnes, cf. Weinrich (1961) et Maas (1969: 83 ss.), mais cf. aussi la critique de Ànderson (1965) pour l'application de ce traitement au français. Il est curieux de voir Heger (1968) aboutir à un résultat assez semblable à celui de la grammaire ginérative mais avec des règles bien plus embarrassantes.

21: Le terme de 'fortuit' n'est pas tout à fait correct. Les exemples donnés montrent bien qu'une analyse factorielle des classes distributionnelles est possible; ainsi c'est le vecteur -'1,2,4,5,6,8 ~.- de jaune qui est réparti dans les types plus complexes, p.e. et -1.5,6,8,- pour petit. Pour le procédé cf. les chapitres 2.2.-2.3. dans Maas (1969).

Side 185

La discussion sur les «morphèmes porte-manteau» montre la rigidité gratuite de M. Peu importe l'interprétation formelle d'une forme telle que du comme résultat de de + le (p.e. en l'analysant en d + u, d- variante de la préposition de, et -u variante de l'article lé) ou comme monème unique - ce qui importe, c'est, comme l'a démontré Frei (1960), que du entre dans un paradigme qui rend nécessaire son interprétation composite22. Mais ceci, de même que les procédés des protagonistes du structuralisme américain Bloomfield, Harris et Hockett, est trop mentaliste pour M. Ils commettent tous le péché d'«imposer un système aux faits» (117). Nous revenons donc toujours au même problème de la réalité des faits linguistiques qui force M. à faire bande à part. En fait, M. justifie son principe d'une linguistique «positive» par le fait que l'auditeur est restreint à ces données positives dans son interprétation. Nous avons déjà montré ci-dessus ce qu'une telle argumentation a de fallacieux.23

Le formalisme rigoureux de M. paraît résulter d'une équation erronée des méthodes d'analyse (« discovery procédures ») du linguiste et des procédésd'analyse (interprétation) de Y interlocuteur pendant l'acte parlé.24 La façon dont un contenu est exprimé, dépend de la situation. Il faut attendre une linguistique des textes pour pouvoir en dire davantage sur la mise en œuvre de ces procédés; mais on peut, au moins, esquisser un principe d'économie: l'expression n'utilise pas plus de moyens qu'il n'est nécessaire pour exprimer effectivement le contenu - 'effectivement' en considération d'une interprétation possible de la part de l'interlocuteur.2s



22: Frei (1960:322) parle d'un «syntagme endocentrique subordinatif où de est le déterminé. . . et le le déterminant».

23: C'est-à-dire, qu'il faut recourir dans l'analyse de renonciation aux règles de son engendrenent. C'est l'«analysis by synthesis» des grammairiens génératifs, cf. p.e. Matthews (1965).

24: Hockett (1961:221) met déjà en garde contre ce malentendu: «This (c'est-à-dire, analysant une phrase seulement après l'avoir entendue entièrement) would put the hearer on a par with the grammarian, in the sensé that the parsing done by either would be based on ail the information the sentence contains.. . This version of thè assumption is almost certainly false.» Cet article est très intéressant pour le problème parce qu'il est écrit par un adversaire de la grammaire generative.

25: Ce principe ne doit pas être sur-interprété. Des facteurs stylistiques, sociologiques, etc. y jouent leur part. Mais notre intention n'est pas d'élaborer ici une théorie nouvelle. Dans un travail en préparation, nous reprendrons cette question, ainsi que le problème typologique traité ci-après, dans !e cadre d'une grammaire du basque.

Side 186

DIVL2900

De là vient l'occurrence de tant d'ellipses, anacoluthes, phrases interrompues,etc., familières à quiconque travaille avec des enregistrements de conversations spontanées. Chaque fois qu'une interprétation n'est plus possible pour l'interlocuteur, celui-ci peut la restituer en demandant au locuteur les précisions nécessaires. On comprend que c'est seulement dans le cadre d'une telle théorie, qu'on peut parler d'une forme formellementidentique mais différenciée par des significations diverses. On obtient donc une équivalence entre les deux représentations: A [ilmâzdepom] et B [ilzâmâz] de la phrase suivante (on ne fournit que des abréviations arbitraires à titre d'illustrations):

Les conditions mêmes qui règlent le choix entre A et B garantissent aussi
leur interprétation équivalente.

Dans le cadre d'une telle théorie, le problème de la fonction sémantique ou syntaxique du genre (cf. ci-dessus) ne se pose pas. Le «choix du locuteur» n'est qu'un pseudo-critère: au moins, il serait absurde de le prendre au pied de la lettre, de sorte que le locuteur choisisse d'abord ami, spécifié p.e. comme <être humain, en relation amicale avec qn.>, et examine après si les déterminants doivent être spécifiés en singulier ou pluriel et en masculin ou féminin: le ou la, généreux ou généreuse, etc.; le choix est fait une fois seulement pour le syntagme entier, quelle que soit sa structure interne :


DIVL2902

Dans l'engendrement, une transformation (obligatoire) distribue ces marques
aux éléments que domine le nœud:


DIVL2904
Side 187

Les procédés morphonologiques présentent une idiosyncrasie, et certains des lexèmes et morphèmes ne sont pas compatibles avec une représentation ouverte des traits morphosémantiques; p.e. dans le cas de l'article, le pluriel est incompatible avec l'expression du genre. C'est alors que la question des morphèmes zéro (dans un modèle algébrique : des éléments d'identité) entre en compte. Ici il faut faire la différence importante entre un zéro comme résultat de procédés morphonologiques, qui tient lieu d'une opposition ouverte ailleurs, comme p.e. en français z -» 0 / C, et un zéro déterminé par la morphosyntaxe, comme le cas du genre pour l'article au pluriel, mentionné ci-dessus. Le dernier cas peut aussi bien être baptisé «non-flexion».26 Pour l'auditeur, la situation est inverse. Tl n'obtient l'information sur la spécification du syntagme qu'à partir du premier morphème ouvert qui la représente - peu importe s'il s'agit, dans le cas du groupe nominal, d'un article, d'un adjectif ou d'un substantif à l'intérieur du groupe, ou d'un élément du prédicat: les concierges ne sont pas bonnes.

Cependant, la manière dont se réalise cette information est d'un intérêt typologique. Dans l'abstraction, deux types sont possibles (pour simplifier, nous ignorons ici la question de la position respective des éléments, c'està-dire la différence entre aB et Ba :27


DIVL2906

Le cas I, avec une distribution redondante de marques, est caractéristique des langues comme le bantu, cf. avec le préfixe vi- (pluriel de la 'classe des choses') \ïtabu hi\i vidogo niliwyovinunua wimepotea «les petits livres que j'ai achetés sont perdus» (-tabu «livre», hi- «ceci», -dogo «petit», ni- «je», -nuna «acheter», -potea «être perdu»; les autres morphèmes



26: Cf. Saporta (1964) et l'excellente étude de Haas (1957).

27: Un schéma correspondant se trouve déjà chez Jespersen (1922:351). Hjelmslev (1956b) a montré qu'une redondance des marques du déterminant est empêchée par des syncrétismes différents du déterminant et du déterminé dans Hes langues comme le français.

Side 188

sont: // [passé], o [relatif], me [parfait]). Le préfixe du singulier correspondantest
ki-, d'où kìtabu hiki k'idogo nilichok'wunua kimepotea «le
petit livre . . . . » (ki + o => cho [co], vi + o => vy0).28

La situation 11, avec la 'flexion de groupe', se trouve dans des langues comme le basque (dans certains cas, à l'exception du «verbe» qui est incorporant), cf. etche hori ederrena duk «cette maison est la plus belle» (alloc. «tu, mase»), a est un morphème déterminant, correspondant souvent à l'article défini; il est affixé à l'attribut eder «beau», etche «maison», etchea «la maison», etche ederra «la belle maison»; gizon aditu, zuhur eta gurbila zen «c'était un homme instruit, sage et distingué » (gizona l'homme»). Le français paraît donc avoir subi un changement typologique dans le cours de son évolution du latin au français parlé d'aujourd'hui. Le latin appartient au type I (///um bonum dominum), le français appartient au type II (la / le fam normal); on remarque que le français écrit représente toujours le type I (les femmes normales: la femme normale).!®

Nous voilà loin du livre de M. Mais si nous avons critiqué les principes de M., et si nous sommes arrivé à des résultats parfois contraires aux siens, il nous faut reconnaître que c'est la rigueur avec laquelle M. a mené son travail qui nous a mis en état de le faire.

Utz Maas

BERLIN

RÉSUMÉ

Cet article est une discussion de quelques-uns des problèmes généraux que soulève le livre de Mok sur l'accord en français. Il y est démontré que la théorie émise par Mok d'une troisième classe sans flexion à côté des classes à flexion (de genre et de nombre) est erronée et d'une rigidité gratuite dans l'application des méthodes du structuralisme classique («taxinomique»). La critique de la théorie de la participation («marqué» - «non-marqué») aboutit à une discussion de ces méthodes.



28: Cf. Ashton (1969).

29: Cf. Lafitte (1962:417 ss. et 120 ss.).

30: En ce qui concerne le type I, cf. aussi l'attraction dans le cas de plusieurs «adjectifs»: la fenêtre est restée toute grande ouverte, qui était de règle en ancien français: et li soleus iert clerz ¡uisanz, cf. encore chez Montaigne on les prendra pour fantaisies pures humaines. Les exemples sont pris à la très utile discussion de Nyrop (1917:70 ss.).

Side 189

L'article se termine par des considérations typologiques qui montrent que le français
appartient à des types différents (illustrés par le bantou et le basque) sous ses
formes écrite et parlée.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

S. Andersson (1965): La phonologie des pauses dans le discours, Studia linguistica 18:
37 ss.

E. O. Ashton (1969): Swahili grommar, Londonl4.

M. Bierwisch (1967): Syntactic Features in Morphology. General Problems of socalled
Pronominal Inflexion in Germán, To Honor Roman Jakobson, Den Haag, I,
239-270.

N. Chomsky - M. Halle (1968): Sound Patterns of English, New York.

H. Frei (1960): Tranches homophones (à propos de Varticle partitif du français),
Word 16: 317-322.

W. Haas (1957): Zero in linguistic description, Studies in linguistic analysis, Oxford,
33-53.

K. Heger (1968): Die liaison als phonologisches Problem, Festschrift W. von Wartburg,
Tübingen, I: 467 ss.

C. F. Hockett (1961): A grammar for the hearer; Proceedings of symposia in applied
mathematics, vol. 12, Providence (Rh.l.), 220-236.

L. Hjelmslev (1956): Animé et inanimé, personnel et non personnel, T.C.L.C. 12
(1959), 211-249.

— (1956 b): Sur l'indépendance de Vépithète, T.C.L.C 12 (1959) 199-210.

G. Guillaume (1964): Langage et science du langage, Paris.

R. Jakobson (1936): Beitrag zur altgemeinen Kasuslehre, T.C.L.P. 6, 240-288.
yVJZI). Shificrs, Verbal catégories, and the Russhm Vcrh, Harvard, cite dV-iprèv
la trad. frç. dans Essais de linguistique générale, Paris 1963, 176 s»s.

O. Jespersen (1922): Langage, London.

P. Lafitte (1962): Grammaire basque (Navarro-Labourdin littéraire) Bayonne2.

U. Maas (1969): Untersuchungen zur Phonologie und Phonetik der Mundart von
Couzou (Lot), Freiburg i. Br.

S. Marcus (1967): AlgebraicLinguistics; Analytical Models, New York and London.

A. Martinet (1967): Réflexion sur les universaux du langage, Folia linguistica l,
125-134.

G. H. Matthews (1965): Analysis by synthesis in the light of récent developments in
the theory of grammar, Kybernetika (Prag).

Q. I. M. Mok (1966): Le rôle de la liaison en français moderne, Lingua 16, 27-39.

E. Richcr (1964). Français pariti français écrit, Bruges Paris.

S. Saporta (1964): On thè use of zero in morphemics, Proceedings of the 9th International
Congress of Linguistics, Den Haag, 228-230.

S. Shane (1968): French Phonology and Morphology, Cambridge (Mass.).

A. Thurot (1966): De la prononciation française depuis le commencement du XVIe
siècle, d'après les témoignages des grammairiens, Genève (repr.).

K. Togeby (1965): Fransk Grammatik, K.obenhavn.

H. Weinrich (1961): Phonologie der Sprechpause, Phonetica 7, 4-18.