Revue Romane, Bind 6 (1971) 1

JORGEN SCHMITT JENSEN: Subjonctif et hypotaxe en italien. Thèse de Àrhus. 749 pages - Odense University Press, 1970.

Knud Togeby

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Jprger. Schmitt .len^en, professeur de langues et littératures romanes à l'université de Ârhus, décrit dans sa thèse l'emploi du subjonctif italien dans ses grandes lignes et jusque dans ses moindres détails. C'est un travail de pionnier dans un domaine de la syntaxe italienne qui a été déplorablement négligé par les romanistes. Tandis qu'il existe une littérature énorme sur le subjonctif français, on n'a presque rien écrit sur le subjonctif italien. Dans la bibliographie de JSJ, il n'y a que sept études qui y sont directement consacrées, et la première n'est que de deux pages, ce qui montre qu'il a presque tout glané.

D'un seul coup, JSJ nous livre ici un manuel complet du subjonctif italien, où l'on peut trouver des renseignements détaillés à propos de la construction modale de n'importe quel type de phrase en italien contemporain. C'est une véritable mine d'or où les nombreux exemples n'ont pas seulement été enreristrés et classés, mais ont encore été discutés et interprétés. JSJ a soumis un très grand nombre de ses subjonctifs à des Italiens pour savoir s'ils pourraient ou non être remplacés par des indicatifs, éventuellement à condition de changer en même temps d'autres facteurs dans les constructions.

Mais l'ambitieux JSJ ne s'est pas contenté de renouveler la grammaire italienne,il a encore voulu renouveler la grammaire tout court. Il a fait cette expérience,que d'autres ont faite avant lui, que la solution d'un seul problème de la grammaire est inextricablement liée à celle de tuus la, autre.-» problèmes.

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C'est ainsi que JSJ ne discute pas seulement le subjonctif, mais tous les facteurs qui sont attachés à son emploi: conjonctions, accord, rection, types de propositionssubordonnées, prosodie. Les observations sur la prosodie de la phrase sont une des grandes originalités de l'ouvrage de JSJ. Mais il va plus loin encore et discute aussi les pronoms, les cas, les temps, etc. Bref, ce n'est pas seulement une thèse au vrai sens du mot, mais encore le programme d'une théorie grammaticaleoriginale.

Cette théorie, JSJ l'a élaborée au cours des années 60, au début sans connaître la grammaire transformationnelle, plus tard en désaccord convaincu avec elle. Le résultat en a été que, dans son texte définitif, il ne discute pas avec les transformationalistes, mais se contente d'exposer son propre point de vue, qui y est diamétralement opposé. Tandis que la grammaire transformationnelle étudie la production du langage, ou son engendrement comme on dit avec une métaphore curieuse, JSJ regarde la langue du point de vue de la réception du message. Le subjonctif est pour lui un des nombreux facteurs qui assurent la correcte compréhension de la langue, un «filet de secours», ou un syntaxème.

Par syntaxèmes, JSJ comprend les facteurs qui contribuent à créer une situation syntaxique, une construction syntaxique (p. 50), par exemple les parties du discours, les prépositions, les conjonctions, l'accord, le mode, les cas, la concordance des temps, la prosodie. On constate qu'en fin de compte presque tout peut être syntaxème, par exemple les racines de certains mots, substantifs animés, verbes transitifs ou intransitifs, etc., et on se demande si le terme de syntaxème, créé sur le modèle de ceux de phonème et de morphème, y correspond vraiment ou s'il ne s'agit plutôt d'une métaphore, ainsi que le reconnaît d'ailleurs JSJ lui-même (p. 61). Le syntaxème n'est pas l'élément minimum en syntaxe comme l'est le phonème en phonologie et le morphème en morphologie. Le syntaxème de JSJ rappelle plutôt le morphème au sens d'un élément grammatical quelconque selon une terminologie répandue dans la tradition française. On pourrait beaucoup plus simplement parler de facteurs syntaxiques.

La théorie des syntaxèmes ou filets de secours implique que certaines fonctions syntaxiques doivent nécessairement être marquées, par exemple !a sub ordination. Mais JSJ prouve lui-même, en discutant à plusieurs reprises une autre fonction syntaxique, que ce n'est pas nécessairement le cas. La distinction entre le sujet et l'objet devrait être évidente dans toutes les langues, et elle est en effet marquée en ancien français par le cas sujet et le cas régime, en français moderne par l'ordre des mots, en espagnol par un a devant l'objet personnel, en roumain par un pe devant l'objet personnel, mais en italien il n'y a pas de syntaxème pour marquer ces fonctions, ce qui représente pour JSJ «une insuffisance assez grave dans la structuration de la phrase italienne» (p. 33). Dans l'exemple Non dimenticano De Gaulle e Mao gli américain (p. 32), le filet de secours qui indique quel est le sujet et quel est l'objet se trouve en dehors de la langue proprement dite: dans le contexte de la situation politique. Il en est de même des propositions relatives, où che ne distingue pas le sujet (fr. qui) de l'objet (fr. que): lo scolare che loda il suo maestro, fonction qu'on pouvait peut-être autrefois préciser par cui (Rohlfs S 483).

Pour JSJ, le subjonctif est un syntaxème qui indique la subordination, exactementcomme
che. Si l'un ne la marque pas, l'autre doit le faire, ainsi que le

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prouvent les exemples credo che viene - credo che venga - credo venga, à l'exclusionde credo viene. JSJ compare cette situation à celle du danois, où on peut également supprimer la conjonction at, la subordination étant marquée par l'ordre des mots. Mais il n'y a là rien d'universel. En anglais, on supprime la conjonction that bien qu'il n'y ait que la prosodie pour marquer la subordination:/ think he is right (p. 57), ce qui aurait donc, en principe, pu être le cas en italien aussi.

Pour JSJ, le subjonctif suffit à marquer la subordination (p. 92, p. 243). C'est trop simplifier les choses. Il a pris comme point de départ l'excellente étude de Hans Nilsson-Ehle sur «Les propositions complétives juxtaposées en italien» (1947), où l'auteur montre que la suppression du che dépend de bien d'autres facteurs que le subjonctif. Che ne marque, en effet, pas seulement la subordination, mais aussi la limite de la proposition, et s'impose de plus en plus à mesure qu'on introduit des mots entre le verbe de la proposition principale et celui de la proposition subordonnée: credo che lui venga - credo anch'io che venga. Le subjonctif ne suffit en général que lorsqu'il y a contact direct entre le verbe régissant et le groupe verbal (y compris les pronoms conjoints) de la proposition subordonnée. Cela semble déjà indiquer que, tandis que che marque la subordination de la proposition entière, le subjonctif n'établit qu'un rapport verbal, une rection morphologique, et non une subordination syntaxique.

L'omission de che n'est pas non plus possible dans les complétives antéposées, malgré la présence, également obligatoire, du subjonctif, ce que JSJ explique ainsi: «Le besoin d'assurer cette situation là où il y a un syntaxème de moins (se. la postposition de la subordonnée), exige que les deux autres soient présents.» Mais la raison en est plutôt qu'une subordonnée antéposée non-introduite aurait le sens d'une proposition conditionnelle: venga domani, lu crederà (p. 382), ou plutôt à l'imparfait: Succedesse a me sarei rovinato (p. 349) = se succedesse . . . On peut donc formuler une règle, ainsi que !e suggère TST lui-même (p. 392), selon laquelle la conjonction zéro d'une proposition antéposée est un se, et la conjonction zéro d'une subordonnée substantive postposée est un che, car on ne saurait omettre le se d'une interrogative indirecte (p. 389). On peut tirer de ce fait plusieurs conséquences. Premièrement, on constate que che s'oppose à se, et que che n'est donc pas un pur subordinateur, mais un élément en opposition avec un autre élément, et ayant par conséquent une sémantique particulière.

Deuxièmement, et c'est ce qui importe surtout, on constate que la conjonction zéro est identifiable: en antéposition c'est un se, en postposition un che. Le zéro antéposé est donc une variante de se, le zéro postposé une variante de che. Mais cela revient à dire que le se et le che sont là, ainsi que le confirme d'ailleurs le fait qu'on peut toujours les mettre à la place de la conjonction zéro. Or, s'il y a toujours une conjonction, la théorie du filet de secours devient superflue. Le secours du subjonctif ne devient jamais nécessaire pour sauver la subordination, puisque la conjonction est toujours présente.

JSJ veut faire de c7¡t- et du subjonctif deux subordinateurs. Mais leurs domainessont très différents. Che est le subordinateur général de toutes les propositionssubordonnées, non seulement des complétives, mais aussi des adverbiales(perché, senza che, etc.), surtout si l'on y ajoute les conjonctions de la

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même famille: quando, come, se, et encore des relatives: une des thèses de JSJ est justement de voir dans le che des propositions relatives exactement la même conjonction que dans les propositions complétives. Le rôle subordinateur du subjonctif est beaucoup plus modeste. Tl ne marque, d'après JSJ, que la subordinationprimaire, celle qui se rapporte directement au verbe, celle des propositions sujet, objet et attribut, où le subjonctif est en effet fréquent, mais ne marque déjà plus la subordination de la proposition circonstancielle: Mi svegliai che mezzogiorno era già suonato (p. 367), où «la subordination est si faible que le mode subordinateur n'arrive pas à s'y faire valoir» (p. 379) - phrase qui semble indiquer que c'est le subjonctif qui dépend de la subordination et non inversement.Mais si la subordination du subjonctif se rapporte toujours à son verbe, n'est-ce pas simplement parce qu'il y a une relation morphologique entre le verbe régissant et le subjonctif?

C'est une interprétation à laquelle nous invite JSJ lui-même en expliquant l'emploi du subjonctif dans les propositions circonstancielles et dans les relatives par une subordination supplémentaire par rapport à un verbe. Dans une proposition circonstancielle comme Mi piace svegliarmi che tutto sia fatto, «le verbe régissant exprime la volonté ou un désir» (p. 373). Et dans une relative comme preferisce un mondo dove ognuno s'arrangi per conto suo (p. 538), il en est de même. JSJ maintient que le subjonctif ne marque dans ces cas que la subordination, mais s'il dit «une subordination de nature verbale» (p. 93), il reconnaît quand même qu'il s'agit d'une subordination particulière.

La discussion sur la valeur à attribuer au subjonctif dure depuis l'antiquité. La thèse que soutient JSJ du subjonctif comme mode subordinateur est vieille comme la grammaire: le terme même de subjunctivus le dit. Une autre tradition y a opposé la théorie du conjunctivus. L'année dernière, Helge Nordahl, dans sa thèse de Bergen «Les systèmes du subjonctif corrélatif», a rejeté la théorie du sub-junctivus pour soutenir celle du con-junclivus, représentée dans son titre par le terme «corrélatif»: le subjonctif exprime le rapport entre deux facteurs. Maintenant, JSJ rejette la thèse du con- en faveur du sub-. Ne pourrait-on pas réconcilier les parties adverses de cette lutte millénaire en montrant qu'il y a du vrai dans les deux points de vue? Te subjonctif est en effet le mode de la subordination syntaxique: l'impératif n'apparaît que dans les principales, le subjonctif guère que dans les subordonnées, et l'indicatif dans les deux types de propositions. Mais en même temps, le subjonctif est le mode de la corrélation morphologique. JSJ veut à tout prix réunir ces deux fonctions dans une seule formule, mais il semble lui-même reconnaître, par exemple par son emploi du terme «cohésion», qu'il ne s'agit pas seulement de la subordination syntaxique.

Pour JSJ, le subjonctif est un syntaxème vide de sens, un moyen grammatical,rien de plus. Il faut évidemment avant tout étudier les possibilités combinatoiresdu subjonctif, y compris son emploi prédominant dans les complétives, mais dans la description hiérarchique de la langue, on doit bâtir, sur la combinatorique,une sémantique. La combinatorique est primaire par rapport à la sémantique, mais elle ne peut pas la faire disparaître. Le subjonctif doit avoir un sens, très abstrait et difficile à formuler, mais un sens qui ressortisse des cas où deux phrases se distinguent par le seul empioi du mode: dans les propositions principales, dans les propositions complétives comme credo che viene - credo

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che venga ou capisco che viene - capisco che venga. JSJ veut dire que dans ces
cas, le subjonctif ne marque qu'une subordination particulièrement forte, mais
cela aussi a son aspect sémantique.

Dans les propositions complétives, le subjonctif est, selon JSJ, le mode de base, le mode neutre, le mode zéro, tandis que l'indicatif n'apparaît que régi par certains verbes (p. 120). C'est une vue à laquelle invite certainement l'étude de certaines subordonnées italiennes, par opposition par exemple aux subordonnées du français. Mais il faut quand même aussi tenir compte des propositions principales et construire une théorie modale qui puisse rendre compte des deux types de propositions. Du point de vue des propositions principales, c'est évidemment l'indicatif qui est le mode neutre, et non pas le subjonctif. Et prendre comme point de départ les propositions subordonnées est mettre la charrue avant les bœufs.

Pour JSJ, c'est la même conjonction che qui introduit les propositions relatives: l'uomo che conosco è venuto, que les propositions complétives: dico che conosco l'uomo, la seule différence étant que les propositions relatives s'attachent à un «membre commun» qui joue un rôle syntaxique à la fois dans la principale et dans la subordonnée: l'uomo est le sujet de è, et l'uomo (et non pas che]) est en même temps l'objet de conosco. Cette théorie du membre commun donne à la syntaxe de JSJ une complication dont il est difficile de voir l'utilité. JSJ est plein de sarcasme pour l'épreuve traditionnelle de la grammaire italienne qui consiste à remplacer le che d'une proposition relative par un il quale: l'uomo il quale conosco, mais elle exprime quand même très bien que dans l'uomo che conosco, le che remplit deux places, celle du membre introducteur et celle d'objet, tandis que dans dico che lo conosco, le che n'est qu'introducteur. Il s'agit en effet du même che dans les deux propositions, mais ce rhp y a deux fonctions différentes, y remplit deux places ou zones différentes.

Cette théorie du membre commun. JSJ l'a empruntée au grammairien danois Paul Diderichsen. Elle peut en effet être naturelle en danois, et en anglais, où le pronom relatif peut être omis: manden jeg hender - thè man I know «l'homme que je connais», mais il faut souligner que, de même que dans le cas de l'omission du che dans les complétives italiennes, il s'agit d'une suppression facultative: on peut tout aussi bien dire manden som jeg kender — the man thaï I know. Mais la théorie devient beaucoup moins naturelle en italien, où le che est obligatoire. En italien il n'y a jamais un membre commun réduit à un seul mot, mais toujours deux mots: l'uomo che. Quoi de plus naturel que de laisser le che être le représentant, dans la proposition relative, de l'antécédent l'uomo? D'autant plus que che est de la famille des pronoms interrogatifs-relatifs, et que la fonction fondamentale des pronoms est de représenter d'autres mots.

Qui plus est, JSJ veut appliquer la même théorie au français, où la différence
entre qui et que marque clairement qu'il s'agit d'un sujet et d'un objet: l'homme
qui vient - l'homme que je connais. JSJ se tire d'affaire par une analyse astucieuse,mais
désespérée: qui serait en réalité un que conjonction + un -i qui
marquerait la place du sujet Cp. 56-57). Tl reconnaît d'ailleurs par là que qui
occupe à la fois la place d'un introducteur et celle d'un sujet, exactement ce
que je viens de proposer pour le che italien. JSJ compare ce -i sujet au il
provisoire: // fit \cnu des invites (p. 708), mais il ne peut y avoir là qu'une

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comparaison, et non une identification, car le il sujet provisoire est un pronom
conjoint au verbe, tandis que qui s'en laisse séparer: l'homme qui, plus tard, est
venu.

La théorie du membre commun est d'ailleurs en soi insoutenable. Car il n'y a jamais un membre qui soit vraiment commun à deux propositions. Dans l'uomo che conosco è venuto, JSJ veut faire de l'uomo (et non pas de che) l'objet de la proposition relative, et en faire en même temps le sujet de la proposition principale. Or, le sujet de celle-ci n'est pas l'uomo, mais l'uomo che conosco.

JSJ se heurte à des difficultés particulières dans le cas des propositions complétives en fonction d'épithète: la storia che ripeta sempre «l'histoire selon laquelle il répète toujours», qui s'oppose à la construction relative la storia che ripete sempre «l'histoire qu'il répète toujours» (p. 279 ss). Dans les deux cas on a en effet, selon JSJ, un che conjonction, et dans les deux cas ce che introduit une proposition épithète, donc une construction à membre commun: la storia. Ce membre commun est l'objet de ripete dans le second exemple, mais dans le premier il serait le sujet d'une phrase nominale dont che ripeta sempre serait l'attribut: la storia (che è) che ripeta sempre. JSJ voit donc dans cette construction le croisement d'une proposition épithète et d'une phrase nominale. Nous verrons par la suite que c'est une idée favorite de JSJ d'avoir recours à de tels croisements syntaxiques. Mais est-ce que cette analyse s'impose vraiment au détriment de celle de la tradition, selon laquelle on a en effet dans les deux cas une proposition épithète, mais dans le premier une proposition substantive sans accord avec l'antécédent, de même qu'un substantif épithète ne s'accorde pas avec le substantif auquel il s'ajoute: una sedia Rinascimento.

La théorie du membre commun devient encore plus discutable dans le cas des autres propositions relatives. JSJ laisse très vite de côté les très intéressantes propositions relatives attribut: Pin ora è solo che aspetta, sans nous dire quel est le membre commun d'une phrase telle que Era lì che con un paio di lire consumava i miei pasti all'impiedi (p. 524), où l'analyse traditionnelle peut quand même se tirer d'affaire en faisant de che, qui est pour JSJ seulement une conjonction, le sujet de la proposition relative.

Que JSJ n'ait pas prêté attention à ces propositions relatives attribut est d'autant plus curieux qu'il aurait pu en avoir besoin pour l'analyse des propositions à relief du type sono io che ho parlato (p. 606-14). JSJ rejette avec raison l'explication de Sandfeld, selon laquelle il s'agirait d'une proposition relative indépendante: c'est lui qui est venu — qui est venu esi lui. En italien, l'emploi de che, et jamais de chi, prouve en effet qu'on a affaire à une proposition adjective et non substantive. JSJ, lui, a encore une fois recours à un croisement syntaxique, entre une proposition adjective et une proposition complétive attribut: è lui (che [è]) che ha parlato. Mais ne serait-il pas beaucoup plus naturel d'y voir une proposition relative attribut, analyse à laquelle invite presque JSJ luimême (p. 606)? Pour Sandfeld (Les Propositions subordonnées, § 95), il y a une différence entre la proposition à relief contenant selon lui une proposition relative indépendante: c'était le mari - qui montait, et l'emploi d'une proposition relative attribut: c'était - le mari qui montait. Mais cette différence, ne pourrait-on pas la réduire à l'emphase qui frappe l'antécédent dans la construction à relief?

Cette même emphase doit aussi suffire pour caractériser en général ces antécédentsqui,

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cédentsqui,pour JSJ, sont employés «matériellement» (p. 608-09). Et elle pourraitpeut-être aussi expliquer l'emploi particulier de essere sans attribut, fait qui a amené JSJ à faire de io, dans sono io «c'est moi», l'attribut, et non pas le sujet, comme le veut l'analyse traditionnelle. Mais puisque sono io peut signifier aussi «je suis moi», où io est manifestement attribut, il semble tout indiqué de faire de io le sujet dans sono io «c'est moi», analyse à laquelle invite aussi l'ancienne contruction française ce suis je.

Dans les propositions relatives indépendantes du type Chi mi ama, mi segua (p. 589-605), JSJ voit également des constructions à membre commun. Mais ici c'est encore plus difficile que dans les propositions relatives ordinaires de comprendre où est ce membre commun. Pour l'analyse traditionnelle, chi est le sujet de la proposition subordonnée, mais le sujet de la proposition principale est qui mi ama et non pas chi, donc il n'y a pas de membre commun. Pour JSJ, chi est composé de la conjonction che, qui ne représente rien, et d'un élément substantiveur -/. Mais ce -/ ne peut quand même pas non plus avoir une fonction syntaxique dans les deux propositions. «De par les places qu'il remplit, chi est un morphème complexe» (p. 590), dit JSJ - oui, mais pourquoi est-ce que che ne pourrait pas remplir les mêmes places, ce qui simplifierait tellement les choses?

JSJ fait d'ailleurs disparaître toute différence entre propositions relatives adjectives et propositions relatives indépendantes, puisqu'il fait de colui che ... et de quello che ... des propositions relatives indépendantes, bien que ces constructions contiennent manifestement des antécédents. «Colui che est une variante de chi», dit JSJ, mais ajoute après un tiret: «avec la valeur spécifique que donne l'élément démonstratif» (p. 590), ce qui veut dire que colui che n'est donc pas une variante de chi. Je ne vois pas quel intérêt il peut y avoir à confondre ainsi les propositions proprement relatives (ayant un antécédent) avec les prositions indéfinies (sans antécédent) puisque l'emploi de chi dans ces dernières marque une distinction formelle très nette. La syntaxe modale confirme d'ailleurs ce point de vue: «Les propositions relatives întioduiles pai quello clic et culai dit suivent probablement, dans leur mode, les relatives adjectives ayant un antécédent muni de l'article défini: elles sont assez rarement au subjonctif» (p. 600). Mais il faut reconnaître que l'analyse de JSJ correspond bien à sa théorie modale en général. Les propositions relatives indépendantes n'étant plus des propositions subordonnées primaires comme les propositions complétives, il est logique, pour JSJ, qu'elles n'aient pas le subjonctif comme mode de base.

Le chi réunit au contraire les propositions relatives indépendantes aux propositions interrogatives. C'est ce qui a amené JSJ à interpréter, de façon vraiment astucieuse, l'interrogation partielle directe comme une relative indépendante subordonnée à la réponse présupposée qui complète la construction: Chi viene? - (Ê) Paolo. On voit que, pour JSJ, l'indicatif n'est pas celui d'une principale, mais d'une subordonnée secondaire, d'une relative à membre commun.

Les choses se compliquent encore dans les propositions interrogatives indirectes, que JSJ veut analyser comme des complétives nominales où la proposition relative indépendante est l'attribut de la réponse non-exprimée: So chi verrà = So [che] [e] [réponse non exprimée] chi verra (p. b43j. On voit encore une fois que cette analyse a l'avantage, dans le système de JSJ. d'expliquer l'emploi de l'indicatif par le fait que la subordination n'est pas primaire, mais secondaire.

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11 est plus difficile de le suivre dans son interprétation des interrogatives totales. Dans Verrà? - Si! on a quand même deux propositions principales. Cette principale interrogative totale se transforme en une complétive introduite par se: Non sa se verrà, mais j'ai du mal à voir comment cette interrogation indirecte devient une subordonnée secondaire, ce qu'implique la théorie modale de JSJ.

JSJ déclare à plusieurs reprises au cours de son livre qu'il n'y a qu'un seul che en italien: «che est che» (p. 60, p. 93). Mais à propos des propositions interrogatives il se met tout à coup à en distinguer plusieurs, de façon qu'on s'attend presque à le voir déclarer que «che è tre». A côté de la conjonction che il fait état de l'interrogatif substantif che: che vuole? et de l'interrogatif adjectif che: che cosa vuole? tout en soulignant que le che conjonction est contenu dans les deux dernières formes (p. 632-45). Il faut des raisons sérieuses pour distinguer ainsi des homonymes, il faut surtout que leur distribution soit très différente. Or, ce n'est pas le cas ici, puisque le che reste toujours un introducteur, qui, lui, il est vrai, a plusieurs fonctions. Pour JSJ, le che des propositions complétives et des propositions relatives est exclusivement conjonction, tandis que le che interrogatif est aussi sujet, objet, attribut. Mais puisque le che interrogatif peut avoir ces fonctions substantives, pourquoi le che des propositions relatives ne le pourrait-il pas aussi, ainsi que le veut la tradition?

A vrai dire, pour JSJ, il ne s'agit pas d'homonymes, mais de deux che phonétiquement différents: le che conjonction des complétives et des relatives n'a pas d'accent, tandis que le che interrogatif en a (p. 632). Mais ne serait-il pas plus simple de voir dans cet accent l'emphase qui peut frapper n'importe quel élément d'une phrase pour le mettre en relief, par exemple, justement, dans les propositions à relief: sono io che ho parlato (p. 608). De toute façon, l'existence de cet accent devient discutable dans les interrogatives indirectes: Sorpreso, le domandai che avesse (p. 658). Ici la différence d'accent n'est guère sensible entre le che interrogatif et le che conjonction, ce qui a justement eu pour résultat que les interrogatives indirectes avec che sont devenues relativement rares, che étant en général remplacé par che cosa pour éviter cette confusion (p. 644), exactement comme en français ce que a pris la place du que inîerrogatiî clans les suboruonnecs.

L'emploi du mode dans les interrogatives indirectes pose plusieurs problèmes. JSJ dit que «L'antéposition de la subordonnée semble renforcer le subjonctif» (p. 651), mais n'est-ce pas trop peu dire? Il ne donne en tout cas lui-même aucun exemple d'un indicatif, et de toute façon il y aurait eu intérêt à traiter dans un chapitre spécial ce type de propositions et à ne pas citer les exemples d'interrogatives antéposées indifféremment à côté des interrogatives ordinaires (p. 660, 664, 671).

Dans les interrogatives indirectes, le subjonctif est beaucoup plus répandu à l'imparfait qu'au présent (p. 647), phénomène qu'on aurait pu mettre en rapport avec la syntaxe modale des conditionnelles introduites par se, qui est aussi l'introducteur des interrogatives indirectes: se ho, darà - se avessi, darei. JSJ dit que cette syntaxe italienne des interrogatives indirectes, où le présent du subjonctifest plus faible que l'imparfait du subjonctif est tout à fait contraire au développement du français (p. 676). Or, ces deux phénomènes ne sont pas comparables:en

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parables:enfrançais, le présent du subjonctif prend la place de l'imparfait du subjonctif sans que la syntaxe modale en soit affectée. A la rigueur, on pourrait dire au contraire qu'en français aussi c'est l'imparfait qui favorise le subjonctif,à savoir dans les constructions conditionnelles: il l'eût fait s'il l'eût pu.

JSJ attire l'attention sur le curieux effet qu'ont certains facteurs rythmiques sur la syntaxe modale des interrogatives indirectes, par exemple l'emploi de certains adverbes: Se tu sapessi corno loro trattino severamente la loro gente! (p. 645). On trouve des observations analogues dans une étude qui a échappé à l'attention de JSJ: Fritz Strohmeyer, Der Konjunktiv im indirekten Fragesatz im Italienischen (Romanistisches Jahrbuch 3, 1950, p. 298-314).

JSJ a subdivisé son étude du subjonctif des subordonnées italiennes en cinq livres. Les deux premiers sont consacrés aux propositions primaires, c'est-à-dire subordonnées directement au verbe de la principale. Le premier livre traite des complétives, qui sont en effet sujet, objet et attribut, le second des circonstancielles. Parmi ces dernières on trouve évidemment et d'abord celles introduites par le seul che ou par se, mais on y trouve ensuite celles introduites par une conjonction composée, où la subordonnée proprement dite, c'est-à-dire introduite par che, ne peut pas être considérée comme primaire, puisqu'elle ne se construit pas directement avec le verbe principal, mais tantôt avec une préposition: dopo che, dacché, acche, senza che, perché, tantôt avec un adverbe: a meno che, appena che, prima che, ancorché, benché, non che, tantôt avec un participe: amesso che, supposto che, visto che, posto che.

Dans le troisième livre, JSJ traite des propositions secondaires, ce qui veut dire, pour lui, les propositions relatives, d'abord des relatives adjectives, ensuite des relatives indépendantes et en dernier lieu des propositions à relief (sono io che ho parlato), ce qui paraît illogique, puisque celles-ci sont, justement d'après le raisonnement Je JSJ, des relatives adjecîives et non «übstantives. Après un quatrième livre consacré à d'«autres propositions non primaires», le cinquième et dernier livre traite des propositions interrogatives indirectes, ce qui paraît encore une fois illogique, non seulement du point de vue de la tradition, qui y voit des propositions primaires, mais aussi d'après la propre théorie de JSJ, qui en fait des propositions relatives indépendantes. Pourquoi ne les a-t-il donc pas placées dans un chapitre voisin de celles-ci?

Pour rendre vraiment compte d'un ouvrage aussi grand que la thèse de JSJ, il faudrait plusieurs dizaines de pages. Je me suis contenté de discuter ce qui saute le plus aux yeux, c'est-à-dire la révolution d'analyse grammaticale que propose JSJ. Son œuvre fera sans doute naître des discussions grammaticales qui porteront des fruits partout dans le monde. Mais je voudrais terminer en conseillant aux lecteurs de ne pas s'en tenir là, mais d'aller jusqu'aux exemples et aux détails de ce livre qui est une véritable mine d'or de syntaxe italienne.

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