Revue Romane, Bind 6 (1971) 1

JEAN RYCHNER: L'articulation des phrases narratives dans la Mort Artu. 259 pages. Recueil de travaux publiés par la Faculté des Lettres de l'Université de Neuchâtel 32, Libraire Droz, Genève, 1970.

Knud Togeby

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Jean Rychner, qui a étudié l'art de la composition des chansons de geste et des
fabliaux à partir de leurs unités métriques et strophiques, se tourne maintenant
vers Part de ia prose. Le travail qu'il vient de publier n'est qu'un premier volume
d'une série consacrée à l'analyse de la phrase dans la Mort Artu. C'est ce
que promet J. R. dans son Introduction et en plaçant son étude sous le titre plus
général de «Formes et structures de la prose française médiévale».
J. R. a choisi comme corpus de son étude les cent quinze premiers paragraphes
de la Mort Artu, parce que, dit-il, c'est l'un des plus anciens romans en
prose. On pourrait aller plus loin et affirmer qu'avec les autres parties du grand
roman Lanceiot-Graal dont il forme la cinquième et dernière, il est tout simplement
le plus ancien roman français en prose. Jusqu'à la fin du XIII siècle, le
vers domine totalement la littérature française, la seule exception étant la traduction
en prose des Quatre Livres des Rois de l'Ancien Testament.

La prose française proprement dite naît au début du XIII'" siècle avec les historiens de la quatrième croisade, Villehardouin et Robert de Clari, et avec les mises en prose des romans courtois, y compris le début du Lancelot-Graal, qui par sa suite devient le premier roman original en langue française. On peut

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se demander quels ont été les modèles stylistiques de cette première prose française,et dans le cas du Lancelot-Graal il s'agit, à mon avis, de la Bible. Mais c'est là un problème historique qui ne préoccupe pas J. R., qui s'en tient strictementà la seule description du texte. Dans sa conclusion, il déclare expressémentqu'il a voulu préparer le terrain pour une étude des origines et de l'évolutionde la prose.

Pour étudier l'art ou la technique de la prose, J. R. prend son point de départ dans ce qu'il appelle l'articulation des phrases narratives. Il y a là quelque chose de très caractéristique. Tandis que la grammaire traditionnelle s'est avant tout penchée sur tout ce qui se passe à l'intérieur de la phrase, l'analyse littéraire enregistre plutôt ce qu'il y a au-delà de la phrase, bien que, en principe, le point de vue de la grammaire et celui de l'analyse littéraire soient également applicables à n'importe quel niveau de la langue.

La phrase étant ainsi l'endroit où se rencontrent grammaire et analyse littéraire, elle est tout indiquée comme point de départ d'une analyse littéraire qui veut prendre pour base l'analyse grammaticale. Mais l'intérêt se porte pourtant avant tout sur un problème qui n'a guère retenu l'attention des grammairiens, à savoir sur la liaison entre les phrases, sur la coordination. Or, ce problème de la coordination a toutefois fait l'objet, récemment, de deux thèses importantes, de Gérald Antoine et de Wolf-Dieter Stempel. J. R. ne discute pas leurs résultats et n'y renvoie pas. Il s'en tient à son texte comme s'il était seul au monde.

Par le mot articulation de son titre, J. R. veut dire la façon dont les phrases sont reliées entre elles. Cette liaison se fait, abstraction faite des conjonctions de coordination, qui peuvent paraître partout, par le premier membre de la phrase. C'est ainsi que J. R. peut subdiviser ses phrases d'après ce qu'il appelle leur attaque. Il appelle les phrases commençant par un sujet nominal phrases en sujet nominal, et il se trouve ainsi devant les six possibilités suivantes: phrases en sujet nominal, en sujet pronominal, en complément non temporel, en complément temporel, en proposition temporelle, en adverbe temporel (lors) ou en si.

Quant à la conjonction de coordination et, J. R. peut prouver de façon très convaincante que, paradoxalement, et ne coordonne pas narrativement, mais exprime une opposition, le changement d'un protagoniste à l'autre dans le déroulement de l'action.

Dans sa conclusion, J. R. nous rappelle que l'articulation des phrases présente trois types capitaux. Premièrement la relation temporelle, exprimée par le complément temporel qui souligne le déroulement de l'action. Deuxièmement la relation dramatique, où le protagoniste à la tête de la phrase met en relief l'action et non pas le temps. Et troisièmement la relation predicative, exprimée par la particule si, que l'on rencontre partout: le cheminement obligatoire de thème à prédicat.

L'ouvrage de J. R., qui frappe par sa nouveauté, sera sans aucun doute un
fertile point de départ, non seulement aux études de J. R. lui-même, mais aussi
pour nous autres

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