Revue Romane, Bind 6 (1971) 1

Cesare Segre: I segni e la critica. Einaudi Paperbacks, Torino 1969, 301 p.

Steen Jansen

Lene Waage Petersen

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Ce volume est un recueil d'articles, douze en tout, groupés en deux parties: on trouve dans la première quatre études théoriques; dans la seconde l'auteur a rassemblé des analyses de huit textes différents. Les articles datent tous - sauf un petit article sur le poète triestin Gioito - des années 1965-1969. Dans chaque partie, il y a un article inédit.

L'auteur présente ainsi le recueil: «La convivenza (alternanza, se si bada ali' ordine cronologico) di saggi teorici e di analisi critiche in questo volume, deriva appunto da uno sforzo di controllo delle teorie mediante l'atto critico, e dei procedimenti critici mediante l'esercizio teorico. Nulla di più lontano da un trattato, con i principi generali in limine e poi uno scelto campionario di esempi; semmai un segmento alquanto ampio e unitario (entro una prospettiva che ha come punto di vista lo struttaralismo e come orizzonte la semiología) di un'attività critica in progresso (p. 8).

Mais cet pose quand même un problème au lecteur: CS consacre une grande partie des quatre études théoriques à la présentation de différentes théories, de sorte que la première partie du volume prend la forme d'une discussion suivie entre CS et un certain nombre - assez grand même - de critiques et de linguistes contemporains. Par contre, il y a très peu d' «illustrations concrètes» des idées ou notions théoriques que propose CS lui-même. Les analyses de la seconde partie ne sont pas là pour servir d'illustrations: l'auteur le dit explicitement dans la citation qui précède. Ailleurs il souligne: «Non stupirà dunque la varietà degli approcci nelle analisi qui raccolte ... Si deve dunque distinguere tra la varietà dei procedimenti e la coerenza, se non l'unità, del metodo» (p. 10); et ce ne sont pas les notions - et les différents procédés d'analyse - de la partie théorique que CS reprend le plus souvent à travers la variété de procédés dans ces analyses.

Il en résulte qu'il est parfois difficile de suivre dans les détails les développements
théoriques de cette partie, qui a pourtant toutes les qualités d'une excellente
«mise au point».

Tels que les quatre articles de la première partie (Critica e strutturalismo, La sintesi stilistica, Verso una critica semiologica et Fra strutturalismo e semiología) sont présentés et rassemblés ici, le quatrième, l'inédit, apparaît comme une sorte de conclusion aux articles précédents.

Cet article traile dVooid (après la citation habituelle de Saussure) des rapports

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récents de deux disciplines nouvelles: la théorie de l'information et l'antropologie culturelle, la première mettant l'accent «sulla serie di dati comuni di conoscenza che permettono a due interlocutori di intendersi» (p. 63), et la seconde cherchant à «reperire quelle invarianti che sono le strutture base di ogni esperienza e conoscenzaumana, indipendentemente dai luoghi e dal tempo» (p. 64). Suit une petite «historique» de la Nouvelle critique en France: CS accepte difficilement qu'elle arrive à une conception où «l'autore e il critico appaiono poco più che i portavoce di un discorso che si sviluppa indipendentemente da loro, solo per loro tramite» (p. 64), et il salue comme une intervention providentielle la découvertedes formalistes russes, dont la méthode est - pour CS - «esclusivamentededuttivo, empirico: ogni racconto ha la sua trama, individuarla equivale a spiegare come il racconte funziona» (p. 65). Enfin l'auteur pose trois distinctions,pour lui fondamentales en ce qui concerne la sémiologie et la critique: 1) celle entre linguistique et sémiologie, où CS tend à subordonner la première à la seconde (la subordination inverse représentant plutôt une tentative illusoire); 2) une seconde distinction entre signe et symptôme: «II segno viene emesso con la precisa volontà di significare qualcosa» (p. 68), «Nel sintomo viceversa ... è l'osservatore che . . . deduce l'esistenza ... di un fatto» (p. 69). «La differenza tra segno e sintomo non sta dunque nel grado di certezza, che può talora esser maggiore nel sintomo che nel segno, ma nella convenzionalità prefissata del segno, di contro alla consistenza puramente induttiva oppure statistica del sintomo»(p. 69), et enfin 3) une dernière distinction entre émetteur et récepteur: «Eliminare la distinzione tra segno e sintomo equivale ad annullare la funzione di uno dei duo poli di ogni messaggio, l'emittente» (p. 70).

Si on est souvent en matière de critique littéraire tenté de supprimer l'émetteur, c'est qu'on ne peut pas dans ce domaine - contrairement à ce qui est possible ailleurs - vérifier si les deux pôles d'une communication concrète, donnée, l'auteur et le critique, s'accordent ou non sur le message communiqué. La solution - quelque peu facile peut-être - que propose CS est qu'à la ««prepotenza», dello scrittore, il critico risponde con pari «prepotenza», proponendo come ultima realtà quella delle sua interpretaziune» (p. 71). Cette présomption n'est pourtant pas sans limites, car l'auteur ajoute que «mentre la versione più mondada della simiologia da un'ulteriore spinta nella direzione della libertà del critico, credo che un confronto e un'alleanza di strutturalismo e di critica potrà aiutare a metter ordine in una materia cosi dibattuta e sfuggente» (p. 71).

Voilà comment CS pose les problèmes qu'il entreprend de discuter, et voici comment, peu avant de le terminer, il résume l'article: «Questa rassegna ... è perciò partita da elementi individuabili in singoli punti del testo, per poi passare a fenomeni deducibili da rapporti immanenti al testo (2.2), indi a situazioni individuate attraverso nessi tra particolari testuali e aspetti della tematica (2.3); ha poi segnalato la possibilità di pasare a un'altra semiología, quella del contenuto (3.1), anche utilizzando eventuali accostamenti comparativi tra le partizioni del contenuto e quelle della trama (3.2)» (p. 83-84).

La partie la plus intéressante nous semble être les paragraphes 2.2, 2.3 et 2.4, où CS (en partant de la notion de connotateur - mais malheureusement sans avoir dit de façon précise comment il conçoit le rapport entre dénotation et connotation) propose l'idée d'une série d'oppositions qu'on doit - telles qu'elles

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sont présentées ici - pouvoir rapprocher. Tous les couples de termes opposés recouvrent ou dénomment une même problématique (une nouvelle antinomie qui remplacera celle entre forme et contenu), mais vue sous différents angles ou à différents niveaux de l'analyse du texte littéraire. Il s'agit des oppositions suivantes: segni vs sintomi, inventività stilistica vs inventivité tematica, elementi formali vs elementi tematici^.), norme vs consuetudine et semiología del sintagmavs semiología del paradigma. Du dernier couple par ex. CS dit qu'il indique«col primo termine quella che interpreta i procedimenti usati in rapporto col loro contesto, col secondo termine, quella che li confronta con la serie di procedimenti equivalenti che avrebbero potuto esservi impiegati, punto per punto» (p. 77-78).

Et cette idée débouche sur une sémiologie de l'innovation: «L'innovazione ha un carattere diverso a seconda che riguardi dei segni o dei sintomi, delle norme o delle consuetudini. Già da un punto di vista informativo si potrebbe sostenire che la natura più schiettamente significante dei segni, simboli e icone, faccia si che un mutamento anche isolato sia interpretabile, se non con sicurezza, con buone probabilità; mentre i sintomi, per la loro natura allusiva rivelano eventuali interventi innovativi solo se raggnippati in serie ... L'autore insomma, nel punto di cui analizziamo la connotazione, deve aver attuato due scelte successive: prima quella delle serie di procedimenti utilizzabili in rapporto col genere o sottogenere cui appartiene l'opera, . . . poi quella del procedimento effettivamente adottato. Nella prima scelta egli sarà stato predisposto dal particolare intento o gusto con cui si sarà inserito nella tradizione del genere ...; nella seconda egli avrà tenuto l'occhio soprattutto alle necessità espressive del contesto» (p. 78).

On remarque l'importance que CS attribue ici - comme il le fait d'un bout à l'autre du volume - à la notion de choix: le plus souvent, il parle des choix de l'auteur (et en fait parfois un synonyme des «intentions» de l'auteur); mais tel quii décru ici ie rùie que jouent ces choix dans «1 activité» de 1 auteur, il est possible d'appliquer la même description - avec les mêmes distinctions - à «l'activité» du critique, ou du lecteur. C'est-à-dire que les notions (et les distinctions) théoriques qu'établit CS peuvent non seulement être utilisées dans la description de ce que (le critique pense que) l'auteur a fait ou a voulu faire, mais elles peuvent aussi - et c'est cela qui nous semble important - contribuer à nous faire avancer vers une plus grande précision dans la description de ce qui, dans un texte, en fait l'objet ou le moyen d'une certaine «activité» spécifique - qu'on peut appeler communication ou production selon le point de vue adopté.

Lorsqu'il passe à la discussion de ce qu'il appelle la sémiologie du contenu, CS devient moins précis et moins explicite. Il précise d'abord que la distinction expression vs contenu est seulement théorique (mais c'est le cas aussi pour les distinctions opérées dans ce qui précède), et il poursuit «L'inscindibilità reale di espressione e contenuto potrebbe esser teoricamente spezzata mediante un'individuazione del contenuto con metodi trasformazionali o matematici (per esempio con la teoria degli insiemi). In modo ancora più approssimativo, ma qui sufficiente, indicheremo nei contenuto quella parte del discorso verbale che può essere parafrasata (non la parafrasi sissa s'intende)» (p 7Q)

D'ailleurs, comme on le verra aussi dans la seconde partie du recueil, les analyscsdans

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lyscsdanscette direction le tentent visiblement moins; il les considère avec une certaine méfiance, soulignant avant tout le danger que courrait le critique en créant une typologie dans laquelle, ensuite, il ferait entrer par force le texte littéraire, car «La distanza tra il montaggio narrativo d'un opera e le costanti narrative è cosi ampia da non chiedere la lente del critico letterario, ma un telescopio. Compito della critica semiologica ... sarà dunque di indiviuare e di comparare le «unità di contenuto» piuttosto che di determinare le loro matrici» (p. 81). Parlant de ces «unités du contenu», CS dit plus souvent ce qu'elles ne sont pas que ce qu'elles sont. Parmi ses remarques, il y a lieu de relever celle-ci: «la ricerca delle funzioni, o degli attanti, ci porta in una sfera che non è più della logica artistica, ma quella della realtà. 11 rapporto tra questa sfera e quella dell'invenzione narrativa è affine a quello tra il riferimento e il referente in campo linguistico; e il referente, come si sa, non serve per giudicare la legittimitàgrammaticale degli enunciati» (p. 83).

Plus encore que dans la première partie théorique du volume, le penchant de l'auteur pour la «critique stylistique» est évident dans les analyses de la seconde partie. Vue l'importance de la critique philologique et stylistique dans les traditions de la critique littéraire en Italie, il n'y a là rien d'étonnant. Après Contini, CS souligne lui aussi l'importance des résultats que peut apporter une critique dynamique qui cherche à donner une description exhaustive de l'œuvre en suivant les choix successifs opérés par l'auteur, et il préfère étudier des œuvres qui se prêtent à un procédé de comparaison, procédé qui permet justement de dégager ces choix.

Une autre intention de l'auteur, celle-là plus consciente certainement, se dégage de l'ordre dans lequel les analyses de cette partie se succèdent; il ne s'agit pas d'une évolution à proprement parler puisque les huit analyses ne sont pas placées selon le principe chronologique. Les plus récentes sont les analyses de la poésie de Marchado «Sistema e strutture nelle Soledades» (1968) et du grand roman Cien añnos de soledad de l'Argentin García Márquez (analyse inédite). La première ouvre cette partie du volume, la dernière la couronne - et l'on pourrait dire que la première (et explicitement son appendice) représente parmi ces analyses l'exemple le plus nei d'une «¦Stilkriiik/.» structuraliste, tandis que la dernière est celle qui s'avance le plus vers cet «horizon sémiologique» dont parle l'auteur, dans la présentation du recueil que nous avons citée au début.

Notons aussi qu'après la lecture de la première partie, rigoureuse dans l'exposé des idées, mais pleine de notions théoriques, souvent difficiles à saisir vu le manque «d'illustrations», on est d'abord surpris, ensuite charmé par la relative simplicité d'expression que présente la seconde - et la plus longue - partie du volume. Ce qui fait de la lecture de chacune de ces analyses une expérience qui - tout en vous apportant des renseignements très instructifs et des vues nouvelles sur le sujet traité - est aussi très agréable.

Dans l'appendice du premier article, CS décrit sa conception structuraliste de l'étude des variantes en disant qu'il ne faut pas réduire «l'analisi delle varianti a una salmodia in cui il brutto lascia il posto al bello, l'impreciso al preciso, e cosi via. In verità, le varie fasi dell'elaborazione di un'opera sono delle struttureo dei sistemi: la sostituzione d'una forma, d'una parola, d'un episodio a

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quelli precedenti produce solo in rari casi un incremento localizzato di bellezza,
ma più spesso contribuisce all'istituzione d'una nuova struttura o d'un nuovo
sistema» (p. 129).

Le second article «Invito alla Farfalla di Dinarol» est une présentation du volume de prose de Montale. En y relevant le grand nombre d'éléments autobiographiques (qui n'en font pourtant pas une simple autobiographie) il dit qu'il faut le mettre «a fuoco tra la poesia di Montale e Montale stesso» (p. 135) et compare certaines expressions et thèmes des pièces en prose avec des éléments analogues tirés des poésies. Si les rapprochements sont souvent très féconds et témoignent d'une oreille très sensible, les conclusions de cette analyse stylistique nous semblent pourtant être un peu trop hâtives.

Dans le quatrième article, qui traite d'un récit de Bacchelli sur la vie de Saint François d'Assise, CS utilise le même procédé de comparaison, lorsqu'il confronte l'œuvre de Bacchelli avec sa principale source, une étude récente sur la vie du saint. On y sent la joie du philologue à la recherche des termes spécifiques du moyen âge, et on remarque la structuration très méthodique de ¡'exposé: choix sur le plan du lexique, ensuite sur le plan de la syntaxe, choix des épisodes, originalité de la psychologie des personnages. La confrontation avec la biographie de Fortini lui sert surtout au niveau de l'étude stylistique, tandis que les rapprochements avec les légendes nées autour de Saint François lui servent au niveau de l'analyse du contenu. Il en résulte une étude très complète et solide du roman de Bacchelli.

En analysant les romans de Pizzuto (UHypnopaleonemachia di Pizzuto), CS cherche à définir l'évolution du lexique et de la syntaxe en opposition aux structures statiques des contenus; il conclut que Pizzuto, à cause de l'incompatibilité entre sa vision du monde (classique) et son univers formel (moderne) se trouve dans une impasse. Nettement sensible est ici, de la part de CS, «la spinta da una curiosità intellettuale» (p. 10). à laquelle se substituera «l'adesione ideale» dans le dernier article du volume, sur García Márque7.

Nous avons dit plus haut que CS semble s'intéresser davantage aux analyses stylistiques qu'aux analyses de contenu. Aussi, ses tentatives dans cette direction restent-elle, pour la plupart des articles de cette seconde partie - exception faite du dernier - plutôt timides, ou prudentes. Qu'on voie par exemple les remarques sur le temps historique et le temps subjectif dans les romans de Pizzuto (p 213-214); il en est de même pour l'article sur Le voyage sentimental de Chklovski, excellent là où CS fait montre d'une grande capacité d'observation en ce qui concerne «gli artifi formali», à travers lesquels il dégage «le strutture della pietà», qui sont les structures caractéristiques du «roman».

Dans «II tempo curvo di García Márquez», la brillante étude qui termine le volume, CS dégage, à travers une analyse des personnages et de leurs rapports mutuels, les trois facteurs constitutifs du roman: magie, mémoire et temps, pour y relever ensuite le thème fondamental: La soledad. Déplaçant le centre d'intérêtde l'analyse stylistique à la recherche des structures narratives, vues ici surtoutdans le jeu des parallélismes et des oppositions entre les personnages, CS semble avoir élargi les possibilités de sa méthode critique. L'évolution vers ce quii appelle une critique sémiologique est sensible aussi dans le soin qu'il prend de placer l'œuvre dans son contexte historique - préoccupation qui manifeste

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aussi, mais d'une façon moins convaincante, dans l'article sur Chklovski; elle est
en tout cas mieux intégrée dans «II tempo curvo».

Dans «l'aggiornamento» de la critique littéraire en Italie, Cesare Sègre représente de toute évidence une des personnalités les plus importantes, à côté de critiques comme Maria Corti, avec qui il vient de publier un volume sur / metodi attuali della critica in Italia (Torino, 1970), d'Arco Silvio Avalle (Analisi letteraria in Italia - 1970) et Umberto Eco (La struttura assente - Milano 1968). Cesare Sègre n'est peut-être pas le théoricien le plus original, mais avec / segni e la critica il nous a offert une bonne mise au point personnelle de certains problèmes actuels, et quelques études qui nous le montrent comme un critique très sensible et pragmatique, autrement dit soucieux de ne pas sacrifier l'individualité de l'œuvre à la théorie tout en soulignant que celle-ci est nécessaire au critique littéraire.

Cesare Sègre est bien placé pour réaliser le vœu (puisqu'il faut (encore) se résigner à accepter qu'il s'agit d'un vœu et non d'une constatation) qu'il exprime à la fin de la première partie du volume: «II critico non è posto perciò davanti a un bivio tra lettura violentatrice, in cui l'opera è pretesto per la sua interpretazione, il ricevente si sostituisce all'emittente, e lettura filologica, in cui all'opera si faccia dire, per quanto possibile, quello e solo quello che l'emittente ha voluto» (p. 91).

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