Revue Romane, Bind 6 (1971) 1

Articles et négation

PAR

DAVID GAATONE

La comparaison des deux énoncés j'ai des amis / je n'ai pas d'amis fait apparaître dans le second une variation formelle, de (d') au lieu de des, entraînée, du moins dans cet exemple, par la présence de pas. Ce phénomène bien connu de la syntaxe du français pose des problèmes d'interprétation assez complexes. Mais tout essai d'interprétation doit s'appuyer sur une description exhaustive et détaillée de l'ensemble des contextes dans lesquels se produit ou peut se produire la variation formelle en question.

Tout d'abord, si l'on prend comme point de départ la phrase positive,cette variation ne concerne que des syntagmes nominaux à article indéfini ou partitif, c'est-à-dire, en somme, précédés par l'un des mots un{e), des, du, de la.l Une seconde restriction porte sur la fonction du syntagme nominal. Seul, en effet, l'objet direct indéfini est sujet aux variations formelles liées à la négation. Les attributs, en dépit de leur ressemblance avec l'objet direct, sont donc exclus de cette transformation:Ce sont des amis/Ce ne sont pas des amis. D'autre part, les séquencesdes verbes impersonnels (autrement dit, le sujet «réel» du verbe impersonnel de la terminologie traditionnelle) sont à considérer, de ce point de vue, comme des objets directs. Enfin, cette variation est liée non seulement àla présence de ne... pas, mais également à celle de toute une série de termes qui, par là même, peuvent être considérés comme constituant une catégorie de mots négatifs, possédant une caractéristiquesyntaxique commune. Ces mots sont: pas, point, jamais,



1: Spécifions qu'il est nécessaire de faire la distinction entre des, du, de la, prédéterminants et parties du syntagme nominal, et les mêmes mots, formes amalgamées d'une préposition et d'un article (même si, diachroniquement, ces formes sont identiques). Contrairement à ce qu'affirme J. Dubois (Grammaire structurale du français, nom et pronom, Larousse 1965, p. 153-154), il ne nous semble pas que le fonctionnement soit le même quelle que soit l'exploitation sémantique. Par exemple, du point de vue de la substitution pronominale, le syntagme prépositionnel des enfants dans la phrase je m'occupe des enfants ne tonctionne pas comme le byntagme nominal indéfini des enfants dans jp vois des enfants. On aura, pour le premier, je m'occupe d'eux, pour le second, j'en vois.

Side 2

la locution «de -\- article défini ou adjectif possessif -j- vie», plus, guère, nulle part, rien, personne, aucun, nul, pas un, sans (sans que), ni. .. ni. Voici quelques exemples d'emploi de de, chacun avec des mots négatifs, tant dans le cas d'un objet direct proprement dit que dans celui d'une séquence directe de verbe impersonnel:

pas
Simon n'a pas demandé de détails. (L. Aragon, La semaine sainte, Gallimard,
1958, p. 454)

... son cocher le regardant lui demanda s'il n'était pas malade ou s'il n'était
pas arrivé de malheur. (M. Proust, A la recherche du temps perdu. Pléiade,
1954, V. 1, p. 285)

point
II n'en montra point de surprise. (A. Camus, L'exil et le royaume, Gallimard,
1957, p. 129)

Comme jadis, il semble bien qu'il n'y ait point pour cet indifférent de questions
importantes . . . (H. Bazin, La mort du petit cheval, Grasset, 1950
P- 48)

jamais

Jamais je ne lui chante de chansons, dit Anne Desbaresdes. (M. Duras, Moderato
cantabile, Minuit, 1959, p. 19)

Il ne vient donc jamais de Français, chez vous? (J.-P. Sartre, La Mort dans
l'âme, Gallimard, 1949, p. 33)

de + art. défini / adj. possessif + vie

De ma vie, je n'ai donné d'ordre sans rire.» (Id., Les Mots, Gallimard, 1964,
P- 13)

plus

Depuis que je n'ai plus de servante . . . (G. Bernanos, Journal d'un curé
de campagne, Œuvres romanesques, Pléiade, 1961, p. 1058)

. . . si je vais chez vous, il ne me restera plus de temps. (M. Butor, L'emploi
du temps, Minuit, 1959, p. 41)

guère

Tout cela n'avait guère duré de temps. (L. Aragon, op. cit., p. 398)

A cette époque, sur l'action d'Eismont-Tolmatchev, il n'est guère donné
de détails, (id., Histoire de I'U.R.S.S., T.1., Presses de la Cité, 1962, p. 319)

nulle part

.. . et nulle part on ne voyait de drapeaux blancs ... (L. Aragon, La Semaine
sainte, p. 502)

.. . ils allaient se quitter et nulle part il ne subsisterait de lien qui les rattachât
l'un à l'autre. (S. de Beauvoir, L'lnvitée, Gallimard, 1943, p. 132)

A cette liste d'adverbes de négation, il faudrait encore ajouter nullement
et aucunement, mais les exemples sont rares:

Sans doute il y avait dans l'exagération de nos sentiments l'un pour rautre,

Side 3

... un peu de faste, mais nullement d'hypocrisie ... (A. Gide, Si le grain
ne meurt, Gallimard, 1955, p. 169)

rien

Si l'on ne croit à rien, si rien n'a de sens et si nous ne pouvons affirmer
aucune valeur, tout est possible et rien n'a d'importance. (A. Camus,
L'homme révolté, Gallimard, 1951, p. 15)

personne

... personne n'y a attaché d'importance ... (M. Proust, op. cit., V. 11, p. 271)

Delhostal ... se retournait pour voir s'il ne venait personne. (J. Romains,
Les hommes de bonne volonté, V. 11, Flammarion, 1958, p. 247)

aucun

Le général se fit assurer que le groupe A. A. ne faisait de publicité d'aucune
sorte. (Ibid, V. IV, p. 501)

il n'y a d'avenir de puissance pour aucun de nous pris séparément. (L'Express,
no. 769)

nul

Nulle précaution n'a d'efficacité certaine. (H. de Montherlant, Romans,
Pléiade, 1959, p. 1283)

pas un

J'ai fait en trente ans trois romans ... dont pas un n'a eu de succès. (J.
Romains, op. cit., V. I, p. 447)

sans / sans que

Le barman le servit sans faire d'observations. (J.-P. Sartre, L'âge de raison,
Gallimard, 1945, p. 93)

Dans une société idéale, un travailleur devrait pouvoir prendre une poignée
de noix, comme ça, quand il en a envie, sans que ça fn^e d'histoires (1
Romains, op. cit., V. 11, p. 256)

Remarquons, à propos de sans, que de ne précédera jamais le régime de cette préposition, sans l'intermédiaire d'un verbe ou d'un autre mot («sans accent», mais «sans presque d'accent», ex. cité par M. Grevisse, Le Bon Usage, p. 874)

ni ... ni

Ni la disposition des lieux, ni leur orientation, ne fournissait d'indice suffisant.
(A. Robbe-Grillet, Le Voyeur, Minuit, 1955, p. 26)

La locution ne ... que soulève un problème plus complexe. Malgré la présence de ne qui, au point de vue historique du moins, constitue la négation par excellence, ne.. . que n'a pas de valeur négative, ne serait-ce que parce qu'il s'oppose, en français moderne, à ne .. . pas que. Cependant, un syntagme nominal objet direct, intercalé entre les deux éléments de la locution, se comporte, du point de vue de l'article, comme avec un mot négatif:

Side 4

Vous avez tous ici ... une certaine tendance à ne voir d'héroïsme que dans
les armées françaises. (L. Aragon, La semaine sainte, p. 199)

. . . il n'arrivait de mésaventures qu'aux gens ridicules et stupides. (S. de
Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, Gallimard, 1958, p. 53)

Dans les cas où la langue, et en particulier la langue littéraire, autorise
l'emploi de ne seul, sans pas, comme négation, ce ne suffit à entraîner
remploi de de devant le substantif objet direct:

C'était alors comme si une étrangère eût vécu en moi, et je n'aurais de repos
que nous ne nous fussions confondues. (M. Arland, A perdre haleine, Gallimard,
1960, p. 229)

II n'est pas de journal qui ne réserve de rubrique aux problèmes de langage.
(R.-L. Wagner, La grammaire française, SEDES, 1968, p. 59-60)

II est important de noter que l'influence du terme négatif sur le prédéterminant du syntagme nominal peut s'exercer même à une certaine distance du verbe négatif. On rencontrera donc des phrases où le syntagme nominal objet direct d'un verbe à la forme positive se trouve précédé par de négatif, en particulier lorsqu'il s'agit d'un infinitif ou d'une proposition subordonnée, eux-mêmes objets d'un verbe principal négatif:

Ils n'avaient pas la mine à vous faire de cadeaux. (L'Express, no. 868, p. 14)

Pardonnez-moi. L'autre fois, je n'ai pas songé à vous offrir de cigarettes.
(J. Romains, op. cit., V. IV, p. 870)

II a ajouté que son gouvernement ne comptait pas prendre de mesures de
rétorsion. (Le Monde, 30.6. 1963, p. 1)

II ne faut pas que je prenne d'alcool ce soir. (J.-P. Sartre, L'âge de raison,
p. 282)

... puis comme Henry insistait, il en est venu à lui déclarer qu'il ne voyait
vraiment pas qui, dans son entourage, avait pu écrire de livre. (M. Butor,
op. cit., p. 65J

Je ne veux pas qu'il t'arrive d'embêtements. (C. Audry, On joue perdant,
Gallimard, 1946, p. 117)

Je ne pense pas qu'il existe de garçon aussi bien que Pradcllo, ajouta-t-eile
avec élan. (S. de Beauvoir, Mémoires . . „ p. 329)

On ne voit plus comment on pourrait établir de relation significative entre la plus ou moins grande probabilité d'occurence d'une phrase dans les corpus et sa grammaticalité. (N. Ruwet, Introduction à la grammaire générative, Pion, 1967, p. 39)

Avec d'autres mots négatifs:

Je n'ai jamais l'air d'attacher d'importance à ce qu'on dit devant moi. (J.
Romains, op. cit., V. 11, p. 645)

Mais il ne pouvait guère en résulter de désaccord ... (Ibid., p. 1042)
Était-ce seulement parce que son interlocuteur ne s'attendait plus à recevoir

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de réponse? (A. Robbe-Grillet, op. cit., p. 141)

Dans tous les autres domaines, elle partageait les idées de mon père, sans
paraître éprouver de difficultés à les concilier avec la religion. (S. de Beauvoir,
Mémoires ..., p. 41)

Une question l'obsédait sans qu'il sût trouver de réponse satisfaisante. (A.
Vidalie, La bonne ferte, Denoël, 1955, p. 140)

II ressort de ces exemples que la portée de la négation peut déborder le cadre de la proposition où elle se trouve et atteindre des groupes verbaux (infinitifs ou autres) étroitement liés, du point de vue syntaxique, au verbe négatif. Il faut cependant ajouter que l'emploi de de négatif dans les contextes mentionnés ci-dessus ne paraît pas contraignant. Dans toutes ces phrases, les articles indéfinis ou partitifs semblent parfaitement acceptables. Nous reviendrons plus loin sur cette question.

Le fait que la fonction du syntagme nominal objet direct soit marquée avant tout en français par sa position derrière le verbe peut entraîner, par analogie, l'emploi de de négatif devant un syntagme nominal sujet en position d'inversion:

Comme il essayait d'obtenir plus, elle refusa de donner ses lèvres sans
montrer de colère, mais d'une façon résolue où ne semblait pas entrer de
coquetterie. (J. Romains, op. cit., V. 11, p. 42)

Aux variations des prépositions de/du et à/au ne correspond pas de forme
specitique pour les substantifs féminins. (J. Dubois, op. cit., p. 74)

On peut donc se demander si au syntagme substantif ... ne correspond pas
Je signifie désignation dVibjefS de personnes d'idées en rapport avec le
locuteur. (Cahiers de lexicologie, no. 9, p. 17)

Le deuxième vicaire en termine avec un autre baptême: celui d'un braillard
entouré d'un brelan timide où ne figure pas de père. (H. Bazin, Le Matrimoine,
Seuil, 1967, p. 113)

Il existe une espèce de phrase comparative dans laquelle ne se trouve pas
de mot de subordination. (G. Galichet, Grammaire française expliquée, Ed.
Charles Lavauzelle, 1960, p. 288)

Longtemps dans la nuit, ils poursuivirent leur dialogue ... mais sans qu'intervînt
d'élément nouveau ... (R. Vailland, 325.000 Francs, Ed. Corrêa
Buchet-Chastel, 1956, p. 192)

Si cette tendance analogique paraît assez forte, il n'en reste pas
moins qu'il ne s'agit pas d'une contrainte grammaticale:

On a déjà dit qu'à l'analyse syntaxique ne correspondait pas une analyse
du réel ... (Le Langage, Pléiade, 1968, p. 14)

On appellera morphologie ... l'étude de toutes les variations de lorme du
signifiant auxquelles ne correspondent pas des variations du signifié. CTbid..
p. 240)

Side 6

... aucune sélection ne sera pratiquée parmi les bacheliers tant que n'existeront
pas des voies de dérivation. (Le Monde, 26.7. 1968, p. 1)

Au niveau de la langue littéraire, on rencontre l'emploi de de négatif sans qu'il y ait toujours conditionnement syntaxique. Un simple contexte sémantiquement négatif, ou même proche de la négation peut suffire. Mais il est vrai que les exemples en sont très rares:

II ya rarement eu d'édition sans objectifs commerciaux ... (J.-F. Revel, in
L'Express, no. 863, p. 43)

II vit des groupes de valets, ou de gardes, si bizarrement vêtus qu'il paraissait
impossible de leur attribuer d'autre fonction que celle d'étonner les
visiteurs. (J. Romains, op. cit., V. 11, p. 1007)

Quelle fut ma surprise chez Mme Verdurin de le voir s'incliner très bas devant moi, et devant moi seul, et d'entendre, avant même qu'il eût prononcé d'autre parole, les mots de respect ... à moi adressés. (M. Proust, op. cit., V. 11, p. 909)

L'emploi de l'article ordinaire eût été également possible (ou, pour
le premier de ces exemples, l'absence totale d'article).

A quelques rares exceptions près, il se dégage de tous ces exemples que de se substitue aux articles indéfinis et partitifs, sous l'influence, d'une négation formelle et cela même sans contact direct avec cette négation. On a vu (p. 4) que ne seul, utilisé quelquefois dans la langue écrite comme négation absolue, variante littéraire de ne ... pas, peut aussi créer un contexte d'emploi de de négatif. Le ne dit explétif n'est évidemment pas dans ce cas. En dépit de leur identité formelle, ces deux particules diffèrent profondément par leurs propriétés syntagmatiques et paradigmatiques. ne seul, négatif, résulte d'un choix libre2 du locuteur, et son emploi ou non-emploi est donc distinctif. En revanche, ne se trouve avec ne . . . pas en opposition libre, de valeur stylistique (distinguant des niveaux de langue). Il n'en va pas de même pour ne explétif, dont îa présence dans ía phrase est conditionnée par celle de certains termes (mots de crainte, comparatifs d'inégalité, conjonctions telles que à moins que, avant que, etc. . .), dont la suppression, toujours possible, ne change rien au contenu de la phrase (j'ai peur qu'il ne pleuve/qu'il pleuve) et qui se trouve avec ne . . . pas en opposition distinctive (j'ai peur qu'il ne pleuve/qu'il ne pleuve pas).

C'est donc l'article plein qu'on rencontrera devant le syntagme nominal
objet indéfini d'un verbe précédé de ne explétif:



2: Mais libre seulement dans un nombre limité de contextes.

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Tu ne crains pas que si cela vient à se savoir, il n'en résulte des ennuis? (J.
Romains, op. cit., V. 11, p. 501)

Mais si j'ai bien saisi ce qu'ils m'insinuaient, ils craignent qu'il n'y ait des
désordres dans les gares pour retenir les caisses ... (Ibid., p. 526)
Le soir tardif n'est pas très favorable à la vieille ville, dont les boutiques
se ferment, et qui devient trop déserte, à moins qu'on ne cherche des impressions
de solitude nocturnes . . . (Ibid, V. 111, p. 494)

... l'anomalie même de l'histoire' empêche qu'elle n'y attache de l'importance.
(S. de Beauvoir, Le deuxième sexe, Gallimard, 1949, T. 2, p. 49)

On peut cependant remarquer que, dans la dernière phrase par exemple, l'emploi de de au lieu de de V ne paraît pas impossible. On aurait alors affaire à un cas d'emploi de de en contexte négatif seulement par le sens (voir exemples, p. 4-5). De toute façon, ce n'est pas le ne explétif qui serait responsable ici de cet emploi, puisqu'il peut être omis sans rien changer au sens négatif implicite créé par le verbe empêcher. Voici un autre exemple du même type:

Dans le deuxième (cas), on contraste la langue que l'on suppose affectée par des contacts, avec des segments ou des périodes juxtaposés de cette même langue avant qu'elle ait subi d'altérations. (Le Langage, op. cit., p. 654)

La même analyse est valable dans le cas de mots négatifs employés positivement. On sait que, dans certains contextes, que l'on pourrait définir sémantiquement comme des contextes négatifs ou dubitatifs, des mots tels que jamais, rien, personne, etc. . . apparaissent sans la particule préverbale redondante ne. Dans ce cas, les oppositions ne . . . jamais/jamais, ne . . . rien/rien, etc. . „ en général d'ordre contextuel {ne. .. jamais en contexte verbal, jamais en contexte non verbal), deviennent distinctives (je doute qu'il accepte jamais/qu'il n'accepte jamais). Employés positivement, les mots négatifs n'entraînent pas la substitution de de aux articles:

Mais suis-je un homme à avoir jamais des heures noires? (H. de Montherlant,
op. cit., p. 1303)

Je doute si j'aimerai jamais un homme ... (L. Bellocq, La porte retombée,
Gallimard, 1960, p. 22)

Comment les femmes auraient-elles jamais eu du génie alors que toute
possibilité d'accomplir une œuvre géniale ... leur était refusée? (S. de
Beauvoir, Le deuxième sexe. T. 2. p. s*>B)

Quant à Albertine, je ne peux pas dire que nulle part, au Casino, sur la
plage, elle eût avec une jeune fille des manières trop libres. (M. Proust, op.
cit., V. 11, p. 853,)

Side 8

Cependant, là où le mot négatif apparaît dans une proposition posisive mais en dépendance étroite d'une négation, c'est-à-dire, surtout, avec un infinitif ou un autre verbe subordonné à un verbe principal négatif, l'emploi de de devient possible:

. . . elle était si belle qu'il ne se souvenait pas avoir jamais rencontré de
femme plus belle. (M. Duras, Le marin de Gibraltar, Gallimard, 1952, p. 17)

. .. car il ne soupçonna pas un instant qu'elle eût jamais pu recevoir d'argent
de personne avant lui ... (M. Proust, op. cit.. V. I, p. 268)

A vrai dire, il ne semblait pas qu'il y eût jamais eu d'orage. (M. Aymé, Le
Passe-Muraille, Gallimard, 1963, p. 104)

Mais on recontre aussi l'article plein:

II n'est même pas sûr qu'il ait jamais existé des sourires, des regards
(E. Triolet, Personne ne m'aime, La Bibliothèque française, 1946, p. 92)

Même en contexte formellement négatif, l'emploi de de est encore lié à une autre restriction dont il est nécessaire à présent de faire état. Il faut en effet que le syntagme nominal objet direct soit lui-même visé par la négation, autrement dit, que son existence soit niée par le terme négatif de la phrase. Il n'en est pas nécessairement toujours ainsi: la négation peut ne porter que sur le verbe, ou sur le rapport verbe-objet sans que l'existence de ce dernier soit niée, ou même sur un tout autre terme. Dans ce cas, l'emploi de de devient impossible

Le nouveau siècle n'est pas sentimental. Ce qui n'empèchc pas des formes
d'exaltation supérieures; bien au contraire. (J. Romains, op. cit., V. I, p.
617)

Il y avait bien un peu de cela; car on n'imagine pas des fonctionnaires arrivant
à se préserver de l'esprit de rivalité, d'un amour-propre de bureau.
(Ibid., V. 111, p. 811)

Elle n'évitera pas un index de tôle carminée qui lui donne une chiquenaude.
(G. Jarlot, Un chat qui aboie, Gallimard, 1963, p. 397)

Dans les exemples suivants, la place du terme négatif est sans rapport
avec la portée sémantique réelle de celui-ci:

Cette situation ambiguë est due, pour une large part, au fait que les nations occidentales et la France en particulier n'ont pas adopté une attitude claire en ce qui concerne le rôle de l'État dans la vie économique. (La France d'aujourd'hui, Hatier, 1964, p. 224)

On pourrait paraphraser: la France a adopté une attitude pas claire. L'existence de attitude n'est pas niée, c'est sur claire que porte la négation. C'est encore sur des épithètes de l'objet direct, et non sur cet objet même, que porte la négation dans les exemples suivants:

Side 9

Vivante certes, dans les revues spécialisées, les innombrables plaquettes, les
anthologies, la poésie n'a pas l'oreille du grand public, ce qui est presque
normal, et n'a pas non plus un visage très caractéristique. (Ibid., p. 330)

Les journaux ne font pas une campagne utile. (J. Romains, op. cit., V. 11, p.
528)

Dans la phrase suivante, c'est une autre expansion que l'objet direct
qui est atteinte par la négation:

Une seconde question est celle de la forme exacte du verre: on n'offre pas
du sherry dans une coupe. (A. Robbe-Grillet, La maison de rendez-vous,
Minuit, 1965, p. 124)

Ce n'est pas dans une coupe qu'on offre du sherry. Pour des raisons
du même ordre, on ne trouvera pas non plus de devant un substantif
faisant partie d'une opposition aux termes antithétiques:

Il comprit rapidement que ses disciples ne lui demandaient pas de« critiques,
dont ils n'avaient que faire, mais seulement des encouragements ...
(A. Camus, L'exil et le royaume, p. 148)

N'est-ce point Pascal qui disait que nous n'aimons jamais des personnes,
mais seulement des qualités. (A. Gide, op. cit., p. 357)

Tout se passe en fait comme si de représentait une sorte de prédéterminant
quantitatif (de quantité nulle) du substantif objet direct.

Les cas d'emploi ou de non-emploi de de négatif semblent donc s'ordonner selon des règles bien nettes. Malheureusement, il n'est pas difficile de trouver une foule d'exemples qui viennent déranger cette apparente harmonie. On constate en effet que. dans de très nombreux cas, aucune règle précise ne peut justifier le choix de l'article plein au lieu de de ou vice-versa. Il est clair que l'usage est hésitant. Mais ces hésitations sont elles-mêmes liées à certains contextes. Il apparaît, par exemple, que le non-emploi de de est facilité par l'éloignement dans la phrase du substantif objet direct relativement à la négation:

Si je n'ai pas sollicité un prêt de mes associés, c'est que je ne voulais pas
avoir à leur offrir une participation dans l'affaire ... (J. Romains, op. cit.,
V. 11, p. 639)

Elles n'avaient pas le temps non plus de nouer des relations. (Ibid., p. 798) Les premiers jours, Quinette, bien qu'il n'aime guère introduire des gens chez lui, s'est fait aider ... par une femme du voisinage ... (Ibid., V. 111, p. 345)

Le non-emploi de de semble également plus facile avec des mots
négatifs autres que des adverbes.

Je ne vous dirai pas que je nie sens des droits ;>ui vuus, pai ce que je ne
reconnais à personne des droits sur un autre . . . (Thid., p. 693)

Side 10

Personne n'a des nouvelles de Moravagine. (B. Cendrars, Moravagine, Grasset,
1926, p. 194)

Je suis rentrée, la mort dans l'âme, sans avoir trouvé une solution. (E. Triolet,
op. cit., p. 220)

... elle en vint presque aussitôt, sans se faire aucunement prier, sans chercher
des transitions, au ton des confidences personnelles. (J. Romains, op.
cit., V. 111, p. 938)

La neige était tombée brutalement à la mi-octobre, après huit mois de sécheresse,
sans que la pluie eût apporté une transition .. . (A. Camus, L'exil
et le royaume, p. 102)

A condition qu'il soit bien entendu que sa présence est tout-à-fait exceptionnelle,
et que cela ne crée un précédent ni pour d'autres, ni lui, hein! (J. Romains,
op. cit., V. 111, p. 411)

Sammécaud ... ne trouvait du charme à cette activité de Marie qu'en y
voyant un caprice de grande dame ... (Ibid, V. I, p. 657)

II faut mettre à part l'exemple suivant, assez exceptionnel d'ailleurs,
d'emploi de l'article indéfini pluriel devant le régime de sans, sans
intermédiaire verbal:

Ce n'est pas que je n'aimerais pas voyager, non, mais sans des affections
quelque part dans le monde, qui m'attendraient, je ne pourrais pas le faire.
(M. Duras, Le Square, Gallimard, 1955, p. 31)

L'article indéfini est, en règle générale, omis entre la préposition sans et le substantif indéfini suivant. Sa présence ici s'explique, nous semble-t-il, par l'expansion qui m'attendraient dont le pronom relatif exige comme antécédent un substantif déterminé. L'emploi de de serait ici impossible.

Les hésitations de l'usage sont bien plus fréquentes encore lorsque le substantif objet direct du verbe négatif ne vient pas seul, mais est accompagné d'une expansion quelconque. A rencontre des cas étudiés plus haut, aucune nuance de sens ne peut expliquer la plupart du temps le choix de l'auteur. Les exemples abondent; nous nous limiterons à quelques-uns, en faisant alterner dans la mesure du possible, des exemples assez proches, avec et sans de:

Profitant d'une allusion qu'il avait lancée lui-même, j'ai tâché de le faire

parler de l'un et de l'autre décès ... La manœuvre n'a pas eu des résultats
brillants. (J. Romains, op. cit., V. 111, p. 113)

11 faut enfin noter que les expériences . . . n'ont pas donné de résultats concluants
. . . (Le langage, op. cit., p. 14)

II a même ajouté qu'elle tenait un bureau d'esprit, ajouta mon père impressionné
par le vague de cette expression qu'il avait bien lue une ou deux

fois dans des Mémoires, mais à laquelle ii n'attachait pas un sens précis.
(M. Proust, op. cit., V. 11, p. 150)

Side 11

Autrement dit, le problème de la révolte occidentale ne semble prendre de
sens précis, qu'à l'intérieur de la pensée occidentale. (A. Camus op. cit.,
p. 33)

Les vitraux, auxquels je n'avais pas accordé d'attention particulière cette
fois-là semblaient à peine transparents ... (M. Butor, op. cit., p. 54-55)

Charles Rossett n'accorde pas une attention particulière à ce regard.
(M. Duras, Le Vice-Consul, Gallimard, 1965, p. 104)

Quand on n'a pas des domestiques assez bien stylés pour savoir placer un
vase ... (M. Proust, op. cit., V. 11, p. 217)

A l'Université cependant, les professeurs n'ont pas des préoccupations aussi
terre à terre. (G. Bonnot, Ils ont tué Descartes, Denoël, 1969, p. 15)

Quand le bébé mourut en naissant, je crois que je n'eus pas de véritable
chagrin. (C. Rochefort, Les petits enfants du siècle, Grasset, 1961, p. 14)

Et pas plus que Théodore, ils ne s'étaient trouvé des raisons de le faire.
(L. Aragon, La semaine sainte, p. 529)

Mais, pas plus qu'en biologie, ceci n'implique de profession de foi finaliste.
(Le langage, op. cit., p. 6)

Les mêmes hésitations se retrouvent avec d'autres termes négatifs.
Ainsi, on aura d'une part:

Jamais aucun spectacle n'avait attiré des foules comparables à celles devant
qui défilent les images du cinéma et de la télévision. (La France d'aujourd'hui,
op. cit., p. 374)

D'autant plus que la prononciation en à est souvent purement mécanique ... ce qui revient à dire qu'elle ne supporte plus une fonction distinctive dam tous ces cas. (A. Sauvageot, Français écrit français parlé, Larousse, 1962. p. 155")

Dans l'ensemble cependant, nulle part on ne constate en ce qui concerne l'analyse des sons des langues un véritable progrès qualitatif immédiat qui serait le bénéfice visible de ces activités. (G. Mounier, Histoire de la linguistique, P.U.F., 1967, p. 103)

et d'autre part:

Je n'ai jamais connu de personnes aussi ignorantes, qui n'avaient absolument
rien appris à l'école ... (M. Proust, op. cit., V. 11, p. 846)

N'y voyant pas non plus de sonnette, elle frappe, sans obtenir de meilleurs
résultats. (A. Robbe-Grillet, La maison de rendez-vous, p. 146)

II faut remarquer que cette coexistence de l'article indéfini ou partitif
et de de ne serait plus possible devant un substantif seul sans expansion,
de deviendrait alors obligatoire.3

L'usage est hésitant également dans le cas de questions négatives
(directes ou indirectes). On a ainsi, avec article:



3: Sauf, peut-être, avec certaines négations autres que pas (voir p. 10)

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Vous ne craignez pas une dégénérescence progressive de l'action commune
. . .? (J. Romains, op. cit., V. 11, p. 439)

Avec d'autres n'avais-je pas des causeries plus étendues? (M. Proust, op.
cit., V. 111, p. 497)

et avec de:

Vous ne connaissez pas de maçons? (J. Romains, op. cit., V. I, p. 1036)

Parfois Jerphanion s'est demandé s'il ne ferait pas de politique. (Ibid., p. 91)

Un ami charitable à qui on décrit une jeune fille qu'on a vue au bal, a reconstitué qu'elle devait être une de ses amies et vous invite avec elle. Mais entre tant d'autres et sur un simple portrait parlé, n'y aura-t-il pas eu d'erreur commise? (M. Proust, op. cit. V. 111, p. 564)

Dans ces derniers exemples, les articles indéfinis (ou partitifs) seraient parfaitement acceptables. Il arrive d'ailleurs qu'on rencontre côte à côte, en coordination dans la même phrase, l'emploi de de négatif et celui de l'article plein:

D'autres qui n'ont rien pris au départ dévalisent les estaminets, demandent
à des maisons privées si l'on n'a pas de charcuterie pour eux, ou tout au
moins du pain pas trop rassis. (L. Aragon, La semaine sainte, p. 359)

C'est au contraire une excellente créature qui n'a jamais dit du mal de
personne, ni fait de mal à personne. (M. Proust, op. cit., V. 11, p. 485)

Ces différences d'emploi ne peuvent s'expliquer par des différences de sens. On pourrait, au mieux, alléguer Téloignement du syntagme du pain dans la première phrase, par rapport au verbe négatif, et, dans la seconde, invoquer des raisons d'euphonie (éviter la répétition de de devant et derrière mal). Mais ce qui est important, c'est que ces facteurs secondaires ne peuvent jouer que grâce au relâchement de la contrainte grammaticale imposant l'emploi de de devant un substantif Oujct négatif et inuefini.

Nature de de.

Certaines grammaires d'usage voient dans ce de négatif une réductionde l'article à son élément prépositionnel. Une telle analyse suppose l'introduction d'un critère diachronique: ce n'est qu'en se référant à l'histoire de la langue qu'on peut reconnaître une préposition dans les formes du, de la, des fonctionnant comme prédéterminants. D'autre part, on risque ainsi d'écarter de l'analyse, l'article indéfini (ou le numéral)un(e), qui s'oppose pourtant lui aussi à de dans les phrases:

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j'ai un ami, je n'ai pas d'ami.* La plupart des grammaires conçoivent la substitution aux articles indéfinis et partitifs d'un élément de, comme l'emploi d'une préposition de (qui s'explique à nouveau diachroniquementpar l'origine substantive des mots négatifs pas, point, et la fonctionde complément de nom que remplissaient les substantifs, régimes de ces mots négatifs) suivi de la suppression ou de l'omission de l'article.Ce point de vue nous paraît présenter un inconvénient majeur: il obligerait à considérer le syntagme nominal indéfini objet direct d'un verbe positif comme objet indirect dans une phrase négative, c'est-àdirequ'il faudrait postuler un changement de la transitivité du verbe accompagnant le passage à la forme négative. Cela compliquerait inutilementla grammaire, d'autant plus que ce changement de transitivité ne s'opérerait que dans le cas d'un substantif indéfini (ou partitif) et ne serait pas valable pour un substantif défini. Une autre solution, beaucoup plus attrayante, consisterait à faire de de un élément du groupe (ne) . . . pas de, fonctionnant comme un quantitatif ordinaire. (ne) . . . pas de représenterait alors la quantité nulle dans une série de quantitatifs comprenant peu, beaucoup, assez, trop, combien, etc. . „ dont la variante contextuelle devant un substantif qu'ils déterminent comporte toujours de. On pourrait comparer ainsi:

Je trctVaiiiC pCU — JC yliCj tiaVtiiiiC pâS

Je suis peu travailleur - Je (ne) suis pas travailleur

T;u peu de travail - Te CrTiai pas de travail

Cette description serait valable également pour d'autres adverbes négatifs, tels que point, jamais, plus, guère (et, éventuellement, nullementet aucunement). Il est à remarquer que les groupes peu de, pas de, etc.. . sont à considérer comme de véritables prédéterminants de substantifs, des «articles complexes» comme les appellent J. Damouretteet E. Pichón.s Orientés vers le substantif qu'ils précèdent, ils font partie du syntagme nominal dont celui-ci est le centre. On interpréteradonc différemment, dans les exemples suivants, les phrases de



4: Je n'ai pas un ami est également possible. Mais on a affaire dans ce cas à la négation (ne) .. . pas un = (ne) ... pas un seul. Ou bien, dans un contour d'intonation différent, il s'agirait alors d'une opposition à termes antithétiques: Je n'ai pas un ami. mais plusieurs ("voir p. 9). un porterait alors un accent d'intensité.

5: Essai de Grammaire de la langue Française, d'Artrey, Paiib, ±911-1940, T. 6, p. 218

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gauche, où l'adverbe porte sur le verbe ou plutôt sur le syntagme verbaltout
entier, et celles de droite, où il porte sur le substantif:

Je vois beaucoup les voisins - Je vois beaucoup de voisins

Je (ne) vois pas les voisins - Je (ne) vois pas de voisins

C'est là, sans doute, ce qui explique le non-emploi et même l'impossibilité
d'emploi de de, derrière plus négatif dans la phrase suivante:

Madame, lui dis-je, même en ce monde, il suffit d'un rien, d'une pauvre
petite hémorragie cérébrale, de moins encore, et nous ne connaissons plus
des personnes jadis très chères. (G. Bernanos, op. cit., p. 1158)

Le caractère de prédéterminant quantitatif que peut revêtir pas de
ressort nettement de son emploi dans certains contextes non-verbaux:

Aux cérémonies du mois prochain, aucune délégation étrangère n'a été invitée.
Non seulement pas d'Américains, bien sûr ... (L'Express, no. 774)

Entre nous, je préférerais une femme qui me fasse souffrir à pas de femme
du tout. (H. Troyat, Les dames de Sibérie, Flammarion, 1962, p. 209)

Il y avait là, les uns contre les autres, serrés, presque pas d'espace entre les
épaules, les bras nus, ces hommes de chair . ..
La tenue est kaki, bonnes chaussures, guêtres et pas de chemise. (B. Cendrars,
Trop c'est trop, Denoël, 1957, p. 180)

Notons encore ces deux exemples, tirés d'une langue plus familière,
où pas de se retrouve employé avec le présentatif c'est, mais sans ne:

Ce qui m'attend chez moi, c'est pas de feu et tout seul pour manger mon
pain ... (M. Aymé, op. cit., p. 247)

Je trouve que c'est vraiment pas de veine ... (R. Merle, Week-end à Zuydcoote,
Gallimard, 1949, p. 34)

Cependant, cette analyse de de dans les phrases négatives, comme
élément d'un groupe adverbial quantitatif n'est que partiellement satisfaisante
.6 Elle a en effet pour résultat de dissocier l'emploi de de en



6: Présentée sous une forme quelque peu différente, c'est aussi l'une des solutions suggérées par M. Gross, dans son article «Sur une règle de cacophonie» {Langages no. 7, septembre 1967, pp. 105-118). Il y est proposé d'insérer ne ... pas dans la phrase-source pour effectuer la transformation négative. Cette règle, appliquée à j'ai du pain donnerait *je n'ai pas de du pain, corrigée en je n'ai pas de pain par la règle de cacophonie qui efface les formes du, de la, des (indéfini pluriel et partitifs) derrière la préposition ou selon la formulation de M. Gross: [RC]: de de Artg -*- de). La même règle étant valable pour de nombreux cas autres que celui-ci, la variation formelle de l'article en contexte négatif ne reste pas un phénomène isolé. Mais elle reste inexpliquée dans le cas de l'article indéfini singulier et de phrases négatives sans pas (avec rien, personne, etc. . . .). L'autre solution consiste à insérer ne ... pas et à effacer ensuite l'article générique (le, la, les) second élément des articles partitifs et indéfini pluriel. Mais ce n'est là qu'une autre façon de parler de la réduction de l'article à son élément prépositionnel. Cette solution serait peut-être meilleure, car elle pourrait s'appliquer aussi, à peu de choses près, à l'article indéfini singulier (bien que le cas ne soit pas étudié par M. Gross). En postulant pour cet article une forme sous-jacente un de (ce que fait M. Gross dans sa Grammaire transformationnelle du français, Larousse, 1968, p. 55), forme qui permet entre autres de rendre compte de la substitution par en (j'ai un ami, j'en ai un), on pourrait aisément expliquer la forme de en phrase négative, puisque l'article indéfini singulier comporterait lui aussi un élément prépositionnel. Mais il faudrait utiliser ensuite une règle d'effacement de l'article en général, et non pas seulement de l'article générique (qui ne pourrait effacer de). L'emploi de de avec rien, personne, etc. ... s'expliquerait par l'inveì lion de ut ... pus, avec effacement ulteneui de pas s>oui l'effet d'autres mots négatifs. Il subsisterait cependant encore un problème: comment rendre compte de l'emploi de de à distance du verbe négatif?

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liaison avec des adverbes de négation (pas de, plus de, jamais de,
guère de, etc. . . .), de son emploi avec des termes négatifs non-adverbiaux(rien,
personne, aucun, nul, pas un, etc. . .; pour exemples voir
p. 2-3). On aurait alors à rendre compte de deux façons différentes
d'un mot de que le bon sens et la simple intuition nous pousseraient
à considérer comme identique. D'autre part, le fonctionnement des
adverbes négatifs n'est semblable qu'en certains points à celui des
quantitatifs. Les prédéterminants quantitatifs sont compatibles aves des
syntagmes nominaux occupant n'importe quelle fonction dans la
phrase, ce qui n'est pas le cas pour les négations (pas de, etc. . . .), limitées,comme
on l'a vu, aux objets directs. En outre, on a observé
que de négatif pouvait se rencontrer devant un syntagme nominal objet
direct, même à distance de l'adverbe de négation, et en liaison avec
un verbe positif (infinitif ou en subordonnée) dépendant d'un verbe
négatif (voir p. 4). Pareil écartèlement des deux éléments du groupe
quantitatif serait évidemment impensable. En fait, il semble avantageux
de considérer le mot de lui-même comme un véritable prédéterminant
indéfini appartenant à la série un(e), du, de la, des, tous d'ailleurs
aussi quantitatifs, série dans laquelle il représenterait la quantité nulle.
Il ferait donc partie du syntagme nominal au même titre que d'autres
articles, son emploi restant cependant restreint au syntagme nominal
objet direct On comprend mieux. dè« 1or«p cet emploi curieux de de,
avec un substantif en position préverbale, dans les phrases suivantes:



6: Présentée sous une forme quelque peu différente, c'est aussi l'une des solutions suggérées par M. Gross, dans son article «Sur une règle de cacophonie» {Langages no. 7, septembre 1967, pp. 105-118). Il y est proposé d'insérer ne ... pas dans la phrase-source pour effectuer la transformation négative. Cette règle, appliquée à j'ai du pain donnerait *je n'ai pas de du pain, corrigée en je n'ai pas de pain par la règle de cacophonie qui efface les formes du, de la, des (indéfini pluriel et partitifs) derrière la préposition ou selon la formulation de M. Gross: [RC]: de de Artg -*- de). La même règle étant valable pour de nombreux cas autres que celui-ci, la variation formelle de l'article en contexte négatif ne reste pas un phénomène isolé. Mais elle reste inexpliquée dans le cas de l'article indéfini singulier et de phrases négatives sans pas (avec rien, personne, etc. . . .). L'autre solution consiste à insérer ne ... pas et à effacer ensuite l'article générique (le, la, les) second élément des articles partitifs et indéfini pluriel. Mais ce n'est là qu'une autre façon de parler de la réduction de l'article à son élément prépositionnel. Cette solution serait peut-être meilleure, car elle pourrait s'appliquer aussi, à peu de choses près, à l'article indéfini singulier (bien que le cas ne soit pas étudié par M. Gross). En postulant pour cet article une forme sous-jacente un de (ce que fait M. Gross dans sa Grammaire transformationnelle du français, Larousse, 1968, p. 55), forme qui permet entre autres de rendre compte de la substitution par en (j'ai un ami, j'en ai un), on pourrait aisément expliquer la forme de en phrase négative, puisque l'article indéfini singulier comporterait lui aussi un élément prépositionnel. Mais il faudrait utiliser ensuite une règle d'effacement de l'article en général, et non pas seulement de l'article générique (qui ne pourrait effacer de). L'emploi de de avec rien, personne, etc. ... s'expliquerait par l'inveì lion de ut ... pus, avec effacement ulteneui de pas s>oui l'effet d'autres mots négatifs. Il subsisterait cependant encore un problème: comment rendre compte de l'emploi de de à distance du verbe négatif?

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Tout le monde rit du récit de la duchesse et d'autres analogues, c'est-à-dire, j'en suis convaincu, de mensonges, car ¿'homme plus intelligent, meilleur, plus fin, tranchons le mot, plus exquis que ce Luxembourg-Nassau, je n'en ai jamais rencontré. (M. Proust, op. cit., V. 11, p. 539)

Mais de décision, elle n'arrivait pas à en prendre, de peur de m'influencer
dans un mauvais sens et de gâter ce qu'elle croyait mon bonheur. (Ibid, V.
111, p. 14)

De blanchisseuse, un dimanche, il ne fallait pas penser qu'il en vînt. (Ibid.,
p. 139)

II n'est pas impossible cependant que les nombreuses hésitations de l'usage, en particulier avec des termes négatifs non adverbiaux (voir p. 9-10) ou à distance du terme négatif (voir p. 9), aboutissent à la création d'un nouvel état de langue où pas de, plus de, etc. .. soient encore beaucoup plus proches des quantitatifs, dont ils pourraient être considérés commer un sous-groupe. Avec la lente mais sûre disparition de ne préverbal, marque de redondance des négations, on assisterait alors à la dislocation de la négation française en tant que système de mots liés par des caractéristiques syntaxiques communes. Dans la langue parlée familière, ce processus semble déjà assez avancé.

David Gaatone

TEL-AVIV

RÉSUMÉ

Une des règles syntaxiques liées au fonctionnement de la négation est le remplacement par de des articles indéfinis et partitifs déterminant un syntagme nominal en fonction d'objet, et cela même à une certaine «distance» de la négation. D'un point de vue strictement synchronique, il semble bien qu'il faille voir dans ce de un véritable prédéterminant, faisant, au même titre que les articles qu'il peut remplacer, partie intégrante du syntagme nominal. D'autre part les hésitations de l'usage révèlent un relâchement de cette contrainte grammaticale dans certains contextes. Un rapprochement semble s'amorcer entre les séquences formées d'un adverbe de négation suivi de de {pas de, plus de) et des quantitatifs positifs (beaucoup de, peu de).