Revue Romane, Bind 4 (1969) 1

ALBERT HENRY: C'était il y a des lunes. Étude de syntaxe française. Bibliothèque française et romane, Strasbourg. Paris, Klincksieck, 1968. 133 p.

Knud Togeby

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L'amusant titre de cette étude est une citation empruntée à un poème de Saint-John Perse: Histoire du Régent. Albert Henry y donne, ce qui n'avait jamais été fait avant lui, une description détaillée de l'emploi de il y a «préposition temporelle» indiquant la remontée dans le temps. A. H., après avoir rendu compte de l'usage de il y a en français moderne, remonte lui-même dans le temps pour chercher l'origine de la locution.

Il n'y a pas si longtemps qu'elle a été créée. Chose curieuse, et c'est là un des
principaux résultats de l'étude d'A. H., la syntaxe actuelle du il y a «préposition

2: Cf., par exemple, François Masai, Principes et conventions de l'édition diplomatique:
Scriptorium, t. IV (1950), p. 177-193.

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temporelle» ne daterait que du XIXe siècle! Chemin faisant, A. H. attire l'attention sur toute une série de phénomènes passés inaperçus jusqu'ici. Je ne ferai guère que le résumer, mais pour varier un peu, je procéderai dans l'ordre inverse en descendant le temps au lieu de le remonter.

La construction d'un habere impersonnel avec un objet temporel est une création tardive du latin vulgaire: Quia iam multum tempus haber et (Vulgate, Jean 5,6), puisqu'elle n'apparaît pas en roumain. Le français est la seule langue à l'exploiter pleinement. En espagnol ha a été remplacé par hace, en portugais ha et faz coexistent, et en italien il ne reste plus que fa. Comment expliquer cette évolution divergente? On comprend qu'A. H. se soit étonné de la thèse de Louis Hjemslev selon laquelle une transformation structurelle serait due à des dispositions du système en transformation. Si l'on peut expliquer à la rigueur le développement en espagnol et en portugais, où tener a pris dans une large mesure la place de haber, la situation de l'italien n'est guère compréhensible.

Dans l'ancienne langue et jusqu'au début du XIXe siècle, // y a locution prépositionnelle s'employait avec les deux valeurs de «il y a» ponctuel: // est venu il y a longtemps, et de «depuis» duratif: VOMÌ savez il y a longtemps quels sont les devoirs d'un honnête homme (p. 77, lettre de Béranger). La nuance dépend du verbe principal et de sa forme temporelle. Dans la langue moderne, on ne rencontre plus que la première valeur, en combinaison avec les temps passés et les temps composés. Dans l'autre sens, depuis a supplanté il y a au cours d'une longue évolution qu'A. H. n'a pas étudiée, ce qui est d'autant plus regrettable que le peu qu'il nous apprend à ce propos est fort intéressant.

Depuis est assez peu vivant en ancien français. Au XVIIe siècle, depuis peut avoir la valeur de il y a: II a eu des enfants depuis deux ans (p. 77, Madame de Sévigné). Ce qui s'est passé historiquement, c'est donc qu'après une période de confusion, une répartition stricte s'est opérée entre le ponctuel il y a et le duratif depuis. A. H. n'aime pas qu'on appelle depuis duratif (durantiel), mais je ne vois guère pourquoi. Il préfère dire que «depuis fixe.l'attention sur le point initial d'une période lermee» (p. 104). Mais puisqu'il y a période, il y a durée, et qui n'est d'ailleurs pas fermée. C'est le temps composé qui ferme la durée: // a dormi depuis une heure, tandis que le présent la laisse ouverte: // dort depuis une heure.

Il y a a conservé ses deux valeurs originelles dans la construction avec une proposition introduite par que, sens ponctuel avec un temps composé: //y a quinze jours qu'if a travaillé dans cette maison «il a travaillé il y a quinze jours», sens duratif avec le présent ou l'imparfait: II y a quinze jours qu'il travaille dans cette maison «il travaille depuis quinze jours». Une négation complique les choses et donne le sens duratif de depuis: II y a quinze jours qu'il n'est pas allé à l'école.

Pour A. H., le simple ne est synonyme de ne ... pas . . . : II y a dix ans que je
n'ai vu le soleil «je n'ai plus vu le soleil depuis dix ans » (p. 78). Il s'agit peut-être plutôt
d'un ne explétif, puisque après depuis que on peut avoir ne, mais non ne . . . pas
depuis que je ne vous ai vu il s'est passé des événements qui vous regardent (Aicard,
cité par Holger Sten: Níegtelserne i fransk, 1938, p. 77, qui y voit une négation,
comme A. H.). A. H. ne s'attarde pas sur cet intéressant problème: «l'étude de la
proposition négative après il y a . . . que . . . sort de mon sujet» (p. 104). Dommage.

A. H. ne discute pas pourquoi il y a a ¿te conservé avec les deux valeurs devant
une proposition introduite par qui. Mais la raison en doit être que depuis a pu
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remplacer il y a au sens duratif dans son emploi prépositionnel, mais non dans son
emploi comme phrase entière.

Qu'A. H. ne se soit pas intéressé à ce problème est d'autant plus curieux qu'il ne cesse de s'élever contre la confusion entre ces deux constructions, et reproche avant tout à ses devanciers de l'avoir commise. Je reconnais évidemment qu'il faut soigneusement distinguer l'emploi prépositionnel de // y a de son emploi comme phrase, mais je ne vois pas la nécessité de faire de // y a une préposition tout court. C'est le même // y u que nous avons dans les deux cas, construction verbale, employée régulièrement comme phrase, et exceptionnellement en fonction prépositionnelle. Mais cette fonction n'est pas assumée exclusivement par des prépositions. Elle l'est aussi par des adjectifs: sauf, plein, des participes présents: durant, pendant, des propositions à conjonction: si ce n'est.

Dans sa fonction originelle, // y a est une phrase juxtaposée, ajoutée après une pause marquée par une virgule, et contenant le repère de ce/a: Ils étaient à Lyon, il y a deux jours de cela (p. 28, Aragon). En supprimant de cela et par là même la pause et la virgule, on a fait de /'// a une locution prépositionnelle: Ils étaient à Lyon il y a deux jours.

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