Revue Romane, Bind 4 (1969) 1

FREDERIC DELOFFRE: La nouvelle en France à l'âge classique. Paris, Didier, Orientations, 1967, 130p.

O. Stig Johannesen

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De tous les genres littéraires, celui de la nouvelle est manifestement le moins traité
en France, il existe une tradition poui décrire b roman dans ses diverses phases à
travers les siècles, tandis que, à tous égards, la nouvelle est mal partagée.

Que quelqu'un ose enfin s'aventurer dans cette contrée si mal exploitée doit d'autant plus attirer l'attention sur l'aboutissement de ses recherches. Or, M. Frédéric Deloffre a eu l'heureuse inspiration d'essayer de contribuer à la description de la nouvelle en France. Son petit livre s'intitule La nouvelle en France à rage classique et a paru chez Didier, dans la collection « Orientations «, ce qui est à souligner, l'ouvrage ne dépassant pas les limites d'une orientation. De ce fait, il y a une légère déception chez le lecteur, car le titre promettait davantage. Reconnaissons pourtant à l'auteur d'avoir, dès l'avant-propos, émis ses restrictions, en précisant notamment:

Le présent ouvrage n'est pas une histoire systématique et suivie du genre de la
nouvelle de ses origines françaises jusqu'à 1715. Une synthèse de cette espèce n'est
pas encore réalisable, dans l'état actuel de nos connaissances. (!) (p. 5).



1 : La préédition d'un texte consiste a ajouter a certaines entités du texte des. codes particuliers, par exemple un .v pour marquer un substantif, un astérisque pour marquer le début d'une phrase, etc.

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Et plus loin :

. . . une autre difficulté réside dans l'imprécision de la matière à étud'er. Il vient
un moment, à l'époque classique, où la nouvelle n'est plus nouvelle, sans être tout
à fait roman. Le phénomène doit être signalé et étudié, (p. 5).

M. Deloffre ne sera pas plus explicite. Ce qui ne fait qu'aviver nos regrets. Il nous semble, en effet, que le manque de système soit un assez gros défaut de cette étude tout au moins dans la mesure où elle aura été conçue comme une orientation et une introduction à l'usage des étudiants de français.

Outre l'avant-propos, la conclusion, les commentaires, la bibliographie, l'index et la table des matières analytique, le livre est divisé en six chapitres. Le premier porte en titre «Les origines de la nouvelle en France» et, comme l'avant-propos le signale déjà, «rapelle seulement dans ses grands traits l'histoire de la nouvelle jusqu'à la fin du XVIe siècle. »On aurait pu souhaiter un chapitre introductif moins bref, moins sommaire: pour la bonne compréhension des chapitres suivants ainsi que de toutes les questions qui se posent, une description plus minutieuse de l'histoire de la nouvelle aurait été d'un grand profit. L'auteur a sélectionné des extraits caractéristiques des Cent Nouvel/es nouvelles, de l'Heptaméron et du Printemps (d'Yver!). Au nombre des autres auteurs cités, on aurait pu désirer voir figurer un extrait des recueils de Noël du Fail qui fait bande à part, se distinguant ainsi des autres nouvellistes de la Renaissance. L'aspect particulier, le réalisme paysan, qu'il a introduit dans ses contes, tient, dans ses Propos rustiques mentionnés par M. Deloffre, plus de place que les thèmes conventionnels.

Dans les chapitres suivants, c'est avant tout des problèmes techniques et de quelques solutions trouvées par les auteurs qu'il est question. Le sujet traité au deuxième chapitre est l'influence espagnole grandissante au seuil de l'âge classique, ceci par l'intermédiaire de Sorel, de Segrais, de Scarron, et des traductions. Comme conclusion à ce chapitre, il aurait pu être fait brièvement mention des traits distinctifs des quatre auteurs principaux, si l'on inclut Boisrobert. On voit apparaître chez eux les premiers symptômes d'un changement de goût qui ira bientôt en s'accentuant. Ils annoncent le réalisme classique.

Au chapitre 111, intitulé «La ruine du roman», on arrive, en passant par La Princesse de Montpcnsier et les Lettres Portugaises à la subdivision dite «La nouvelle historique». Cette partie, si importante dans l'évolution de la nouvelle, est traitée assez cavalièrement, M. Deloffre se bornant à une courte synopsis de deux pages, ce qui est nettement insuffisant. N'oublions pas, en effet, que la nouvelle devient historique avec Segrais, celui-ci - il faut le dire - ayant opéré la fusion de la nouvelle et de l'histoire. Et c'est dès ce moment-là que la nouvelle a été considérée comme «une forme de l'art narratif qui permet de réagir contre les invraisemblances du roman héroïque des générations précédentes.»1

Hormis quelques remarques liminaires sur la nouvelle et le petit-roman, le
quatrième chapitre est exclusivement consacré aux Sentiments du Sieur du Plaisir.

1 A.-K. Varga: Pour une définition de la nouvelle à l'époque classique. Cahiers de
rAssociation Internationale des Etudes françaises, (1966), p. 56.

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Cette œuvre fort peu connue n'est autre qu'une vraie théorie du bâtard littéraire:
la nouvelle-roman appelée «petit-roman»:

Tandis que de nouvelles variétés de récits brefs apparaissent sous le nom d'aventures
ou d'historiettes, un genre nouveau se constitue, qui, du point de vue
technique, contient en lui tout l'avenir du roman français, (p. 44).

De ces Sentiments sur les Lettres et sur /'Histoire, c'est le dernier point qui a fait l'object d'une analyse consciencieuse et qui, selon M. Deloffre, doit être regardé comme le mélange littéraire qualifié de «petit-roman». Du Plaisir y aurait inclus et l'histoire véritable et la nouvelle galante.

Dans l'avant-dernier chapitre, M. Deloffre aborde «le problème de l'illusion et la crise de conscience du genre» surtout chez les trois écrivains suivants: Le Sage, Hamilton, Marivaux. Par le choix des textes étudiés: Le diable boiteux de Le Sage; Les Mémoires du Comte de Gramont de Hamilton; Les effets surprenants, La voiture embourbée et Télémaque travesti de Marivaux, il nous semble que M. Deloffre ?, jusqu'à un certain point, dépassé les frontières invisibles qui séparent la nouvelle du roman. Rappelons ce qu'il notait dans l'avant-propos: «II vient un moment, à l'époque classique, où la nouvelle n'est plus nouvelle, sans être tout à fait roman. » Ainsi a-t-il déjà envisagé les problèmes, mais reste à savoir quelle conception il a de la nouvelle. Quels sont les traits essentiels, les signes distinctifs qui caractérisent d'une part la nouvelle, de l'autre le roman, et qui en font deux genres différenciés?

La conclusion du livre nous définit (p. 101): «... les traits du roman (dimensions et complexité) et de la nouvelle (suite de récits séparés, ton naturel, intrigues contemporaines)»^! Ces traits typiques fort vagues, et dont la vraie place est à la première et non à la dernière page, ne suffisent pas à bien distinguer les œuvres des trois derniers auteurs cités. Nous inclinons à croire que l'imprécision de la terminologie est due à l'absence d'une théorie précise et détaillée de la nouvelle en France. Il faut se référer à des théories étrangères (allemandes notament), où les problèmes ne sont pas toujours les mêmes que ceux auxquels la littérature française se trouve confrontrée. Or, M. Deloffre ne s'est pas attaché de plus près à ces implications, ce qui est regrettable, mais, sans chercher à savoir, au moyen de discussions approfondies et pénétrantes, s'il s'agit de romans, de romans burlesques, de nouvelles ou de nouvelles intercalées, il analyse les œuvres d'une manière qui révèle le fin connaisseur de cette époque.

Dans l'ultime chapitre, c'est «la restauration du genre romanesque» qui est étudiée. L'auteur se penche sur les Illustres Françaises de Robert Challe, mettant en évidence, entre autres, le problème de la vérité et l'encadrement ingénieux de l'œuvre - ce dernier point excellemment représenté par un schéma de quatre cercles figurant les personnages.

Les traces de réalisme et de psychologie sont nettement visibles dans plusieurs des œuvres analysées - et on en arrive ainsi au réalisme classique. On est alors en droit de se demander si 1) la psychologie, 2) l'illusion du réalisme, et 3) le réalisme ont été conçus comme fils conducteurs du travail de M. DeloftVe.

Toute cette étude porte avant tout l'empreinte d'une des œuvres que l'auteur
signale dans sa bibliographie: le n 18 des Cahiers de rAssociation Internationale des
Etudes Françaises intitulé "La Nouvelle en France jusqu'au XVIIIe siècle», étude

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qui - c'est du moins ce que nous pensons - a servi de base à M. Deloffre et lui a été
une importante source d'inspiration.

La bibliographie vaut par son étendue et ses informations précieuses. Aux titres
mentionnés pour le premier chapitre, on pourra ajouter, pour ce qui est d'une
introduction plus générale, les deux ouvrages suivants:

K. Kasprzyk : Nicolas de Troyes et le genre narratif en France an XVle siècle
(Varsovie, 1963) p. 278-329,

et P. Toldo: Contributo allo studio della novella francese del XVe e XVIe secolo
(Roma, 1895), ouvrage déjà ancien, mais encore fort utile.

Après toutes ces remarques, quelque peu restrictives peut-être, constatons avec plaisir que l'étude de M. Deloffre est d'un abord facile et nous donne un aperçu sur bon nombre des problèmes que recèlent les genres brefs. L'auteur cherche à nous guider dans la véritable jungle qu'est la nouvelle à l'âge classique et nous présente quelques solutions possibles avancées par divers auteurs. Le débutant sera bien inspiré de ne pas s'y risquer sans vade-mecum.

COPENHAGUE