Revue Romane, Bind 3 (1968) 2

M. HORN-MONVAL : Traductions et adaptations françaises du théâtre étranger, VII : Théâtre scandinave, théâtre flamand, théâtre hollandais ; pays nordiques. Paris, C. N. R. S., 1965, 84 p. (Ouvrage couronné par l'Académie Française ; Prix Saintour 1965).

Francois Marchetti

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Que la France traverse à l'heure actuelle une grave crise théâtrale, nul n'en disconviendra. Crise d'auteurs (Vilar et Planchón sont à peu près les seuls, et surtout le premier nommé, à donner leur chance à de jeunes dramaturges : c'est ainsi que Vilar a révélé Armand Gatti, il y a quelques années) ; crise de qualité des œuvres et du goût du public (témoin le triomphe, la saison écoulée à Paris, de la sagannerie la plus récente) ; crise économique aussi, puisque les directeurs des théâtres privés, de peur de courir à la faillite, préfèrent miser sur une valeur réputée sûre plutôt que de jouer la carte d'un jeune talent inconnu. Disons les choses tout net : si la France théâtrale peut se targuer d'avoir trouvé en' Planchón, Bourseiller, Lavelli de dignes successeurs des Vilar, Barrault et autres Dasté, en revanche elle souffre, en matière d'auteurs d'une pénurie sans précédent.

11 n'est pas de notre propos d'analyser en détails les tenants et les aboutissants de cette pénurie. Constatons simplement que, pendant longtemps, le théâtre français s'est en quelque sorte suffi à lui-même, qu'il a donné plus qu'il n'a reçu et que son prestige à l'étranger lui a valu de dormir sur ses lauriers jusqu'à une époque très proche. Or, cette suprématie, il faut bien avouer qu'à présent elle s'est plus que sensiblement amenuisée et qu'elle a des deux dernières décennies subi l'irréparable outrage. La France, tout en conservant un patrimoine souvent métissé (Adamov, lonesco, Beckett, Arrabal, Schéhadé) a dû s'ouvrir à des influences extérieures qui lui ont été bénéfiques dans la mesure où elles lui ont fait prendre conscience de son déclin : la semi-retraite des « ténors » Montherlant, Anouilh, Sartre ; la disparition prématurée de Camus, dont enfin on attendait la pièce ; l'orientation désastreuse de plusieurs dramaturges de qualité, le triomphe actuel d'un Boulevard niais et prétentieux, tout cela ne plaide pas en vue d'un enrichissement, sinon d'un rajeunissement du théâtre français. Il va de soi que nous voulons parler ici de théâtre digne de ce nom et iiuu pa.a de UiéûUc * digestif - . pour ¿ette dernière catégorie, les bons et mauvais faiseurs n'ont jamais été plus nombreux.

Depuis une dizaine d'années, c'est, en matière de théâtre sérieux, la dramaturgieanglo-saxonne
qui l'emporte. Je ne sache pas qui oserait nier la supérioiité
présente d'un certain théâtre à fleur de peau, qui tend à la névrose, mais épouse

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si bien, comme disent les spécialistes, les tribulations de la conscience moderne. Qu'il ait trouvé écho en France, pays dit de la mesure et de la raison, prouverait les facultés réceptives et éclectiques d'un public qui, pour une part plus grande qu'on ne le pense, ne demande qu'à s'éveiller d'une certaine torpeur, pour peu qu'on le sollicite et qu'on lui offre « du neuf, mais du vrai ». Le Français n'est pas aussi chauvin qu'on a voulu le prétendre, et, jamais, le théâtre étranger, même aux plus belles heures des théâtres scandinave et russe (respectivement vers 1890-1900, pour le premier; 1930-1938, pour le second), n'a reçu pareil accueil sur les planches du pays de Molière. Encore faudrait-il, puisque terrain favorable il y a, que cette source soit réapprovisionnée et renouvelée constamment.Le public - pas celui qui va applaudir au Boulevard les ébats débridés d'une vedette sur le retour - est exigeant : certes il veut du nouveau, mais il veut aussi de la qualité, et c'est là qu'intervient le problème du choix et de l'adaptation. Il y a légion d'œuvres traduites ; elles connaissent des fortunes diverses : au gré des contingences de toutes sortes, les unes sont jouées (et bien souvent ce ne sont pas les meilleures en valeur pure, mais les plus « commerciales»), les autres sont condamnées à un sommeil provisoire sinon éternel dans les tiroirs de gens qui, fréquemment, ne se sont même pas donné la peine de les lire. Sans commentaire ! Quoi qu'il en soit, il faut attirer l'attention non seulement des spécialistes mais aussi du plus large public sur l'existence de ces œuvres traduites ou adaptées. Les théâtres des langues dites « impossibles » sont naturellement ceux qui, soit par leur exotisme qui effraie plus qu'il n'attire, soit par la rareté des œuvres offertes, sont les plus exposés à rester ignorés. Et c'est pour remédier à cette ignorance que M. Horn-Monval s'est assigné une tâche de longue haleine : publier en plusieurs volumes un répertoiredes traductions et adaptations en français du théâtre étranger. Travail ô combien ardu et ô combien périlleux, puisque son ampleur même implique les erreurs et oublis inhérents à ce genre d'entreprise. Rendons d'emblée à M. Horn-Monvai ce qui lui revient : d'être le premier à dresser pareil bilan, à tout le moins pour ce qui est de la Scandinavie !

Ce volume, qui répertorie les traductions françaises des théâtres danois, norvégien, suédois, finnois, islandais, flamand, hollandais, estonien, letton et lituanien, est le septième de la série. Il a été précédé de répertoires consacrés successivement aux théâtres grec ancien (1958), latin antique et moderne (1959), italien (1960), espagnol, sud-américain et portugais (1961), anglais et américain (1963), allemand, autrichien, suisse (1964).

Dans ce septième fascicule, c'est le théâtre scandinave (danois-norvégiensuédois)
qui se taille la part du lion.

M. Horn-Monval commence par définir, dans une introduction, les grandes lignes du théâtre scandinave à travers les temps : historique rapide, sans doute, mais où les lignes de forces sont bien établies. Cette préface a, entre autres, le gros avantage d'offrir un tableau chronologique des éditions et des représentationsfrançaises du théâtre scandinave à Paris entre 1890 et 1900, dans la période que l'on est convenu d'appeler « l'Age d'or de la dramaturgie scandinave en France » et qui fit découvrir aux Français Ibsen, Bjornson et Strindberg. Si M. Horn-Monval rend justice à l'œuvre gigantesque d'Antoine et de Lugné-

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Poe, souligne le rôle inspirateur du Comte Prozor (premier traducteur d'lbsen), en revanche, il passe tout à fait sous silence l'apport comme metteur en scène de Herman Bang. Celui-ci, venu à Paris spécialement pour montrer comment il fallait jouer les grands Scandinaves, ne vit pas toujours ses efforts couronnés de succès, mais sut admirablement débroussailler une forêt où nul Français n'avait encore pénétré. Le biographe de Herman Bang, Harry Jacobsen, a, dans un ouvrage en quatre volumes1, analysé avec finesse et pénétration les tourments secrets d'un des plus purs génies danois. Le troisième de ces volumes, intitulé « Herman Bang méconnu : les années perdues », traite abondamment de l'activitédu poète comme metteur en scène à Paris.

Après l'introduction, ce qui plaît dans ce répertoire, c'est la facilité qu'il y a à le consulter. On y trouve, pour chaque pays, une liste alphabétique des auteurs avec mention explicite de leurs œuvres traduites, accompagnée des éclaircissementsbiographiques indispensables. S'y ajoutent un index des auteurs et des œuvres, et, en fin d'ouvrage, une liste des traducteurs et adaptateurs. C'est ainsi qu'on y lit le nom de véritables pionniers, tel ce Gotthardt Fèrsman qui fut le premier à traduire Holberg en français, et ce dès 1746. Autre bon point à l'actif de M. Horn-Monval, c'est de ne point s'être borné aux seules traductions imprimées, mais d'avoir inclus les traductions manuscrites et les manuscrits radiophoniques. Certaines lacunes étaient inévitables, car l'auteur, si poussées qu'aient été ses recherches et excellente l'aide des spécialistes et des bibliothèques,n'a pu aller prospecter chez tous les dépositaires de manuscrits, souvent fruits d'une passion que la modestie tient en lieu sûr et que certainement nous ne connaîtrons jamais, hélas ! Il y a ceux aussi qui, ignorant la mise en chantier de l'ouvrage ou prévenus trop tard, n'ont pu aviser l'auteur de leurs travaux ou des manuscrits en leur possession. Ceci ne peut que rendre plus vif le souhait de voir paraître à plus ou moins longue échéance une édition augmentée (et corri¿cc,nous verrons pourquoi plus loin) du répertoire de M. Horn-Monvsl Tl n'en reste pas moins - et on le constate avec satisfaction - que les traductions du théâtre scandinave sont relativement nombreuses. Pour ce qui est de la partie danoise, il y a une pièce maîtresse, un véritable monument : la traduction du théâtre quasi complet de Ludvig Holberg (1684-1754), surnommé à tort le Molière danois, car, à plus d'un litre, Holberg est un auteur parfaitement original. Cette énorme somme, qui n'embrasse pas moins de 22 pièces, est due à Judith et Gilles Gérard-Arlberg ; elle a été publiée en 1955. La langue en est sûre, soignée, éminemment théâtrale, ce qu'on ne peut pas toujours dire de ce genre d'adaptations, telles certaines d'lbsen qui ne passent absolument pas la rampe. En dehors de Holberg royalement servi, on déchante assez vite : nombre d'oeuvres répertoriées ont vieilli (celles d'Edvard Brandes, par ex.) et surtout - amère déception ! - des productions capitales sont maigrement représentées.C'est ainsi qu'on cherche en vain les chefs-d'œuvre de Kaj Munk (le



1 . Hdir> Ju^obben . 1. Den unge Herman Bang. H. Rcsigiiationcns Digter. IH. Den miskendte Herman Bang. Arene der gik tabi. IV. Den tragiske Herman Bang. (Hagerup, Kobenhavn, 1958-1967).

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plus grand dramaturge danois avec Holberg), dont seul est répertorié le drame le plus faible : Niels Ebbesen. Enfin certaines œuvres sont totalement absentes : celles de Kjeld Abell et de Knud SOnderby, pour ne citer que deux des plus remarquables dramaturges danois contemporains.

Cependant, un correctif s'impose ici, tout au moins en ce qui concerne Kaj Munk (1898-1944) ; la liste de M. Horn-Monval est incomplète, car nous savons qu'ont été traduits en français : Ordet (« La parole ») par MM. Maurice Gravier et André Var ; Ftpr Cannœ (« Avant Cannes »)2 par M. Pierre Keller ; En Ideatisi (« Un Idéaliste ») et Ka'rlighed (« Seul, l'amour . . . ») par le signataire de ces lignes. Mais, en ce qui regarde les autres Grands du théâtre danois moderne, le constat de M. Horn-Monval n'est que trop exact. Et ce n'est pas le moindre mérite du livre que de nous faire mesurer l'immensité du vide qui reste à combler.

Espérons que l'intensification des échanges culturels entre le Danemark et la France et l'intérêt de plus en plus marqué en France pour les langues et les littératures Scandinaves favoriseront l'éclosion de nouvelles traductions et que, un renouveau du théâtre danois aidant, les hommes de théâtre français n'hésiteront plus à faire bon accueil à une dramaturgie parfois déroutante, mais fort attachante.

Venons-en, pour conclure, au seul grave reproche que nous osons adresser à M. Horn-Monval, quoique nous sachions les difficultés immanentes à une entreprise telle que la sienne. Qui oserait exiger la perfection, mais ce répertoire a, en l'occurence, reçu la caution du Centre National de la Recherche Scientifiqueet les palmes de l'Académie Française, ce qui devrait normalement lui conférer un cachet de sérieux que les erreurs relevées viennent gravement entacher.Que les lacunes ou les fautes de typographie soient encore excusables (quoiqu'on puisse arguer qu'un travail d'équipe mieux mené eût paré à cet écueil), que des noms soient mal orthographiés (M. Gilles Gérard-Arlberg devient Girari-Aríberg), cela passe encore, bien qu'une simple vérification eût suffi. Mais il est inadmissible que M. Horn-Monval, et dans la préface, et dans l'index, fasse mourir Soya en 1948, alors qu'aux dernières nouvelles le terrible satirique se porte comme un charme et voit plusieurs de ses romans passer avec succès à l'écran et lui assurer ainsi une vieillesse à l'abri du besoin. Ne s'est-il donc trouvé aucun spécialiste pour corriger cette irréparable bévue avant que fût donné le « bon à tirer » ? M. Horn-Monval n'ignore assurément pas que, malgré leur nombre restreint, il est en France d'excellents « scandinavisants ». Quant à H. C. Branner, il aurait, selon M. Horn-Monval, écrit « Les Thermopyles» en 1903. Disons simplement que Branner, disparu prématurément il y a quelque deux ans, est né en cette même année 1903. « Les Thermopyles », nous le signalons à toutes fins utiles, datent de 1958, et furent un grand succès au Théâtre Royal de Copenhague, défendues qu'elles étaient par le grand acteur Poul Reumert. parfait « francisant » et le meilleur interprète du théâtre françaisau



2 : Le texte intégral de cette courte pièce figure dans Y Anthologie Bilingüe de la Littérature' Danoise (Textes réunis et présentés par F. J. Billeskov Jansen. Aubier, Paris, 1964).

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çaisauDanemark.3 Autre erreur de datation relevée parmi d'autres, Poul Knudsen est né en 1889 et non en 1809. Par surcroît de négligence, ces dates font souvent défaut en regard de certains noms : ainsi, comment le profane pourrait-il situer dans le temps les Danois Branner (1903-19664) et Ernst Bruun Olsen (1923- ), le Norvégien Sigurd Christiansen (1891-1947) et le Suédois (d'après M. Horn-Monval, car en réalité il est bel et bien Danois) Wilfred Christensen (1895- ) ? Là encore, il eût suffi de consulter un dictionnaire bibliographique, d'autant plus facile à trouver que les Scandinaves, suivant en cela les Anglo-Saxons, sont friands de ce genre de répertoires. N'ayant fait que parcourir les chapitres consacrés aux théâtres norvégien et suédois dans le petit livre de M. Horn-Monval, nous ne pouvons en donner un compte rendu même succinct. Néanmoins, nous avons, au passage, achoppé sur de nouvelles fautes de nomination et de datation. C'est ainsi qu'il y est indiqué que Strindberg est mort en 1902, mais qu'il a écrit « Le Pélican » en 1907. Là, nous crions casse-cou : Strindberg est un auteur beaucoup trop notable en France pour qu'on laisse passer de telles erreurs. Dans ce cas précis, le Petit Larousse eût permis de contrôler. Ajoutons pour clore ce bilan un peu décevant qu'il est presque impossible de trouver un ouvrage exempt de fautes de typographie, mais que dans le cas présent il serait malhonnête de mettre sur le compte de l'imprimeur ce qui n'est imputable qu'à l'auteur. Pour quelques fautes, pourtant, accordons à ce dernier le bénéfice du doute.

Néanmoins, si perfectible qu'il soit, le résultat demeure. Nous disposons dorénavant d'un répertoire qui est en soi une grande innovation et qui, à ce titre déjà, nous rend redevables à M. Horn-Monval. Voici un éclectisme qui est tout à son honneur, puisque, une fois terminé, cet inventaire embrassera les théâtres de tous les pays et de tous les temps. L'entreprise est suffisamment ingrate en soi, ne payons pas son auteur d'ingratitude !

COPENHAGUE



3 : Poul Reumert, né en 1883, auteur de plusieurs ouvrages, a notamment écrit en frnncrn's de^ article^ *"elntif« rm théntre dont l'un J'infliiPnrp irancfti^c sur l'art dramatique danois, présente un intérêt tout particulier (Voir « Revue Danoise », 1965, n° 26).

4 : C'est nous qui datons.