Revue Romane, Bind 3 (1968) 2

JEAN DUBOIS : Grammaire structurale du français. Le verbe. Paris, Larousse, 1967, 218 p.

Gerhard Boysen

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Dans ce livre, suite à la première partie de la Grammaire structurale dont nous avons rendu compte ici-même1, M. Dubois, pour décrire le comportement du verbe français, recourt à la linguistique dans ses aspects les plus récents. La grammaire transformationnelle, dont l'influence se faisait déjà sentir dans le premier volume, a été ici la principale source d'inspiration.



1 : Revue Romane IÍ, 2, 1967, pp. 186 88.

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II en résulte que, si certains des principes généraux restent les mêmes, la manière de description n'en a pas moins subi de considérables modifications par rapport au premier volume. Elle n'y a pas gagné, à notre avis. Nous ne contestons pas le grand intérêt, pratique aussi bien que théorique, de l'application de théories nouvelles sur un domaine pratique, telle la morphosyntaxe du verbe en français. Mais on peut se demander si la méthode qui consiste à partir d'une phrase minimale pour dégager, dans différentes transformations, les mécanismes de la langue, est la mieux appropriée pour rendre compte de structures aussi complexes.

En effet, il semble parfois que la grammaire transformationnelle aboutisse à confondre des choses qui devraient être séparées. Nous n'en voulons pour exemple que le traitement des formes composées. M. Dubois, suivant une longue tradition, fait de la différence entre les formes simples et les formes composées, entre // vient et // est venu, une différence d'aspect, la dernière forme exprimant l'aspect accompli. De même, la périphrase passive // est aimé traduirait l'aspect accompli, par opposition à on raime. Cette distinction est basée sur la critique du point de vue « étymologique », qui a conduit à admettre dans les paradigmes verbaux simples des syntagmes comme « il est aimé », à cause des formes latines synthétiques (amatur). Nous suivons parfaitement l'auteur dans cette critique des systématisations où interviennent des idées préconçues, héritées d'une autre langue. Mais il n'en faudrait pas arriver à méconnaître, comme M. Dubois semble le faire, la variété des fonctions de cette forme composée, dont certaines correspondent réellement au passif latin et traduisent l'aspect inaccompli: le feu est allumé (par la bonne) (par opposition à: le feu est allumé (depuis trois heures)) (pp. 12—14).

Dans les deux premiers chapitres, l'auteur étudie le verbe par rapport à des unités de plus en plus larges: le syntagme verbal (dont il n'est qu'un constituant) et la phrase minimale. Il est ainsi amené à délimiter, dès l'abord, la classe des verbes: « Les verbes, constituants du syntagme verbal, et les substantifs, segments minimaux du syntagme nominal, s'opposent à la fois par leurs environnements et par leurs marques, ceux-ci s'excluant mutuellement. » (p. 10).

A priori, on serait peut-être enclin à considérer comme arbitraire une telle méthode, qui fait de la définition un point de départ et non d'aboutissement. On constate rapidement qu'il n'en est rien: les définitions sont là plutôt en tant qu'hypothèses de travail; l'auteur ne cesse de les mettre à l'épreuve, il fait constamment la navette entre le général et le particulier. De nombreux problèmes de détail en viennent à être résolus ou mieux éclaircis. Citons, à titre d'exemple, la question de la préposition à utiliser au passif devant le nom d'agent. Dans les essais antérieurs, formalistes aussi bien que sémantiques, de formuler les règles rendant compte de la distribution de de et par, on s'est intéressé à la forme du verbe (Karin Ringenson) et à celle de l'agent (Ebbe Spang-Hanssen). M. Dubois montre de façon convaincante qu'on peut aller encore plus loin, en considérant également un troisième facteur, le sujet (de la phrase passive): la préposition de se trouve surtout avec un sujet animé (pp. 106-07).

De même, dans le chapitre sur les transformations négatives, plusieurs observationsexcellentes sont faites. M. Dubois remarque ainsi, à propos de la transformationeffectuée au moyen du préfixe in-, que ce préfixe, dans certains cas, est présupposépar la formation d'un adjectif à base verbale: inlassable, indicible (p. 146)

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(le cas d'increvable nous paraît plus douteux). Il aurait pu ajouter que la même règle semble jouer pour l'adverbialisation des adjectifs par -ment: incroyablement, inévitablement (les formes positives n'existant pas). Ce détail à part, il faut d'ailleurs dire que les pages sur « Les restrictions dans la formation de l'adjectif adverbial », sujet traité généralement d'une façon fort peu satisfaisante dans les grammaires, sont parmi les plus utiles du livre (pp. 206-08).

La minutie qui caractérise partout la méthode de M. Dubois apparaît peut-être le plus clairement lorsqu'il tâche d'instituer, dans le chapitre intitulé « Structure morphologique du français » (pp. 56-79) un nouveau système des conjugaisons. Il examine tour à tour les différents critères de classement traditionnels pour ensuite les rejeter, soit à cause de leur hétérogénéité, soit parce qu'ils sont arbitraires. Nous sommes tout à fait d'accord avec l'auteur dans sa critique de ces critères traditionnels. En effet, il n'est pas nouveau de critiquer la grammaire traditionnelle sur ce point, mais il est rare que la critique apporte des suggestions aussi nettes et originales que le fait M. Dubois. Selon lui, le classement des conjugaisons doit être fondé sur la variation des bases verbales. Il s'agit donc d'un classement à base morphologique, mais, comme le souligne M. Dubois lui-même, fondé non sur la substance mais sur la forme (avec la terminologie de Hjelmslev): «ce qui nous est apparu le plus important, c'est plus la distribution des radicaux et moins la forme qu'ils revêtent » (p. 60). Ainsi, tourner et ouvrir, séparés par la tradition en deux conjugaisons différentes à cause des désinences, appartiendront à la même conjugaison parce que, à travers tout le paradigme, les deux verbes gardent les mêmes bases. De cette manière M. Dubois arrive à un classement en sept conjugaisons, dont la première est formée uniquement par le verbe être, particulièrement riche en bases différentes. Viennent ensuite, à mesure que les oppositions entre les bases sont supprimées, les conjugaisons à 6 et 5 bases (faire, aller, pouvoir, vouloir et avoir), jusqu'aux verbes à une seule base, qui constituent la septième conjugaison (comprenant entre autres presque tous les verbes de la première conjugaison traditionnelle).

Cette classification est intéressante à plusieurs points de vue. D abord, elle part de la racine verbale et non de la désinence, comme c'est le cas le plus souvent. Ensuite, on constate qu'elle coïncide en grande partie avec une classification syntaxique, où être et avoir, verbes auxiliaires, seraient également mis à part (si M. Dubois a placé avoir parmi les verbes de la troisième conjugaison et non parmi ceux de la deuxième, c'est qu'il considère les formes ai et aie comme étant de la même base). D'un point de vue systématique, il est peut-être moins important, quoique significatif, de remarquer, comme le fait l'auteur, qu'elle coïncide également avec un classement d'après la fréquence d'emploi: à une place plus élevée dans la hiérarchie des conjugaisons correspond généralement - mais non toujours - une utilisation plus fréquente du verbe.

La clarté et la précision de l'exposé, l'abondance des vues originales, dont ce compte rendu n'a pu donner qu'une faible impression, font de ce deuxième volume de la Grammaire structurale, comme du premier, un ouvrage essentiel. Même pour ceux qui ne sont pas partisans de la grammaire transformationnelle, il sera une riche source d'inspiration.

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