Revue Romane, Bind 3 (1968) 2

Note sur les constructions impersonnelles du français contemporain

PAR

ANDRÉ ESKÉNAZI

L'énoncé minimal fini comprend en français deux syntagmes nominaux encadrant un syntagme verbal: cet enfant lit un livre; je vais à Lyon; un agneau se désaltérait dans le courant d'une onde pure. Mais, lorsque le syntagme verbal est constitué d'un verbe symétrique, l'expansion manque : le facteur passe; ma montre retarde; un octogénaire plantait. Ces énoncés sont tout à fait tolerables; mais que dire du suivant: une servante qui apportait la lampe entrail Sans le juger particulièrement disgracieux, on peut lui préférer le choix original de Gide: « Une servante entra, qui apportait la lampe. » Moyennant une disjonction - très littéraire il est vrai - de l'antécédent et de la relative, les différents segments du syntagme sujet se répartissent de part et d'autre du verbe de façon à constituer un énoncé rythmiquement équilibré. Un autre artifice permet de rétablir un équilibre rythmique compromis, l'inversion du î»ujel. A la lecture de cette phrase de Maurice Leblanc (La Demoiselle aux yeux verts, Le Livre de Poche, p. 88) « Devant la porte même, un landau fermé, à deux chevaux, stationnait », on est tenté de corriger l'énoncé original en: devant la porte même stationnait un landau fermé à deux chevaux; l'équilibre rythmique de la phrase est alors satisfaisant: le circonstant initial, qui était isolé du reste de la phrase par une pause, fait maintenant partie de l'énoncé, qui se trouve ouvert; le syntagme sujet, inversé, ferme l'énoncé.

Il arrive cependant que l'inversion du sujet soit concurrencée par la
construction impersonnelle. Ainsi, « à chaque fois que se produit un



1: Les linguistes authentiques nous reprocheraient sans doute de mêler ici des exigences très différentes, celles de la langue et celles du discours. Il est pourtant clair que la disproportion des masses rythmiques des segments qui constituent l'énoncé est le plus souvent corrigée par le locuteur; les faits de rythme ont une incidence certaine sur la structure de l'énoncé, et il n'y a pas lieu de les négliger.

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événement important dans l'hémicycle, Burin des Roziers entre chez le président pour le lui raconter » (Paris-Match, 15 avril 1967) est un énoncé acceptable; mais toutes les personnes que nous avons interrogées ont jugé plus probable l'énoncé corrigé: « à chaque fois qu'il se produit un événement important dans l'hémicycle ...» Et il est vraisemblable que l'énoncé suivant: «Dans la grande rue, au coin des ruelles, existe un hôtel, un des plus beaux de la ville » n'a qu'une faible chance de probabilitédans le discours ordinaire2: exister pouvant fournir le noyau verbal d'une construction impersonnelle, il semble que le locuteur adopterait spontanément la réalisation : dans la grande rue, au coin des -uelles, il existe un hôtel, un des plus beaux de la ville.

On voit donc que l'inversion du sujet est un simple artifice de discours: l'élément introducteur sur lequel s'appuie le syntagme verbal et qui, rythmiquement, occupe la place réservée au syntagme sujet, ne prend pas syntaxiquement la fonction de ce syntagme; et le syntagme sujet inversé, qui, rythmiquement, occupe la place de l'expansion du verbe, reste syntaxiquement le syntagme sujet. En outre, l'inversion n'est le plus souvent possible que lorsqu'un syntagme circonstanciel ou une conjonctionde subordination peut ouvrir l'énoncé. Au contraire, lorsque le verbe peut engendrer une construction impersonnelle, l'élément ouvreur des phrases inversives reste généralement sans effet sur la structure de l'énoncé: le syntagme verbal impersonnel se fournit à lui-même son ouverture et son expansion. Aussi *à Londres pleuvent souvent des cordes est-il un énoncé agrammatical. Si, dans certains cas, la phrase inversive et la phrase impersonnelle peuvent apparaître comme en distribution complémentaire, la seule distribution que connaisse la langue est celle de la phrase personnelle (inversive ou non) et de la phrase impersonnelle: fait de discours, l'inversion du sujet est une variante combinatoire de l'énoncé syntagme sujet-syntagme verbal; mais la construction impersonnelleest une ressource syntaxique originale, souvent pertinente. Certainsexemples peuvent laisser supposer que les phrases inversives et les phrases impersonnelles sont à peu près interchangeables, ou qu'elles sont en distribution complémentaire; mais ce n'est qu'une illusion qui disparaîtlorsqu'on entreprend l'analyse syntaxique. A Londres, il pleut souvent des cordes demeure la seule réalisation grammaticale, et les constructions



2: Cette phrase est de Gobineau (Le Mouchoir rouge, Nouvelles, éd. Pauvert p. 122). Son inclusion dans un contexte littéraire la fait paraître acceptable; mais si elle en est extraite, son improbabilité est plus manifeste.

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impersonnelles ont une existence linguistique propre. Nous nous proposonsde
la définir.

Les linguistes qui ont étudié les constructions impersonnelles du français ont remarqué que ces constructions présentaient le procès comme un phénomène', il me vient des boutons', il me pousse de la barbe; il sort de Veau de partout; il flotte sur la ville un épais brouillard; il se prépare un orage ; il me vient des idées noires ; il lui échappa un énorme juron . . . M. P. Pieltain, qui propose ces exemples,3 écrit:

On l'aura remarqué, la forme impersonnelle s'emploie de préférence pour exprimer des phénomènes d'origine imprécise, et surtout pour marquer l'apparition, l'existence, la venue, la disparition dans la mesure où on peut les voir procéder d'une sorte de hasard, mais de hasard nécessaire. (Loc. cit., p. 482).

Nous voyons mal en quoi peut consister un « hasard nécessaire »,
mais nous sommes tout disposé à accepter ce commentaire. En effet,
lorsque Figaro dit, dans son monologue (Mariage, V, iii) :

On me dit que, pendant ma retraite économique, // s'est établi dans Madrid un
système de liberté sur la vente des productions, qui s'étend même à la presse,

l'ironie de Beaumarchais est évidente: un système, c'est-à-dire une organisation concertée, est présentée ici, avec une fausse ingénuité, comme surgi spontanément du néant. Mais pourquoi *i7 m'est venu ce bouton est-il improbable? La venue du bouton n'est pas moins spontanée dans cet exemple que dans il m'est venu un bouton. De même, on ne peut dire: quelle trombe! *il se préparait cet orage depuis ce matin. Et pourtant, l'origine du phénomène est tout aussi imprécise que dans /'/ se prépare un orage. Avant de tenter une appréciation sémantique, psychologique ou stylistique des effets de sens engendrés par les constructions impersonnelles du français, il convient donc de tenter une description linguistique. Il est en effet facile de multiplier les exemples d'énoncés qui évoquent des phénomènes spontanés et qui excluent le recours à la construction impersonnelle: nul locuteur ne risquerait, croyons-nous:

*// retentit brusquement un cri dans l'assistance
*/7 s'est subitement effondré un cardiaque dans la rue
*à l'approche des vacances, // se dissipe beaucoup d'élèves.

*// se préparait cet orage est certainement refusé par suite d'une disconvenancede
l'expansion du verbe; */'/ s'est effondré un cardiaque par



3: La cum>lrucliun imper ¿unrieut enfranjáis moderne, Mélanges Dclbouillc, 1964, t. I, pp. 469-487

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suite d'une disconvenance du verbe. Il convient donc d'en venir à
l'analyse syntaxique du syntagme sujet et du syntagme verbal.

D'une façon générale, il apparaît que la langue rejette un modèle impersonnel lorsque la séquence du verbe serait un syntagme nominal pourvu d'un réfèrent. On peut considérer comme interchangeables, ou peu s'en faut,

un accident s'est produit sous ma fenêtre
eî // s'est produit un accident sous ma fenêtre,

mais on est obligé de dire:

Deux voitures sont entrées en collision ce matin; l'accident s'est produit sous
ma fenêtre.

... *// s'est produit Vaccident sous ma fenêtre est impraticable. Le fait est que l'on ne peut séparer le réfèrent du référé; «le réfèrent, écrit M. J. Dubois, suppose une dépendance syntaxique immédiate »4. Faire d'un syntagme nominal muni d'un réfèrent la séquence d'un impersonnel reviendrait non seulement à enfreindre la règle de distanciation minimale mais encore à « escamoter » un syntagme qui se rattache explicitement à un syntagme existant dans l'énoncé qui précède5. Cependant, lorsque le référé suit le réfèrent (qui est alors anticipant), il n'y a pas d'inconvénient à choisir un énoncé impersonnel. On admet donc:

Si vous le faites, // vous arrivera la même mésaventure qu'à mo

Si vous désobéissez, // vous arrivera le désagrément suivant: vous irez au lit sans
souper.

Mais il est évident que les syntagmes impersonnels s'accommodent surtout d'une séquence dépourvue de réfèrent. Sans être agrammatical, // est venu les personnes que vous attendiez est moins probable que les personnes que vous attendiez sont venues, tandis que il est venu des gens semble avoir plus de chances d'existence que des gens sont venus. Lorsque l'article partitif désigne une quantité non numerable, on a, en revanche, l'impression que la réalisation impersonnelle s'impose plus décidément: il lui pousse de la barbe; il est venu du monde vont de soi, alors qu'on ne



4: Grammaire structurale du français, Le yerbe, p. 89. L'auteur illustre la règle de distanciation par une analyse remarquable de la construction passive.

5: Mais le syntagme sujet muni d'un réfèrent subit sans difficulté l'inversion: il était cinq heures lorsque s'est produit l'accident. Le discours oppose l'ordre normal et l'ordre inversif; mais, en langue, on a le même schéma: l'inversion est donc bien une simple variante combinatoire.

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dirait pas volontiers, croyons-nous, de la barbe lui pousse, du monde est venu. La faible quantité d'information contenue dans le prédéterminant rend plus difficile l'inclusion de barbe et de monde dans un syntagme sujet, qui doit servir d'étai au syntagme verbal ; du reste, dans du monde, qui est une suite figée, monde n'a pas la même quantité d'information que dans le monde a été créé en six jours, Caroline est venue au monde, ou même cette jeune fille a récemment fait ses débuts dans le monde. On évite à plus forte raison de faire un syntagme sujet, soutien du verbe, d'un substantif dépourvu d'assiette, et, par là-même, désyntaxisé: malheurvous est exclu, et il vous arrivera malheur constitue le seul énoncé possible.

Lorsque l'expansion de l'impersonnel est constitué d'un syntagme non nominal, d'un infinitif ou d'une conjonctive, l'usage d'un énoncé personnelest le plus souvent refusé. // me serait agréable que vous me rendiez visite demeure sans substitut possible6, tout autant que il est honteux de mentir (mentir est honteux, équivalent sans valeur pédagogique et non idiomatique, est pourtant fréquent dans les grammaires latines, mais uniquement là). Lorsque le locuteur renonce à la construction impersonnelle,il ne peut pas la retourner purement et simplement, comme il renverserait il est venu quatre personnes en quatre personnes sont venues : une « retouche » est nécessaire; il est agréable de boire à petits coups a pour substitut boire à petits coups, c'est agréable: l'énoncé est segmenté, et le groupe isolé, boire à petits coups est repris par l'anaphorique c\ qui íonciiüíiiie comme ¡>ujct. Si Ton envisage au contraire une quelconque recommandation hygiénique: il est sain de boire à petits coups, le renversementobtenu n'est pas nécessairement un énoncé segmenté, et il ne comportepas toujours de reprise anaphorique du thème: boire à petites gorgées est sain, pourraient dire un médecin ou un diététicien. Boire à petits coups, c'est sain, n'est assurément pas exclu, mais cet énoncé paraît appartenir à un autre niveau de langue, et il ne revêt pas le caractère gnomique du précédent. Voir les poissons rouges vaut bien un détourl est aussi un énoncé de portée générale, tout de même que « Gémir, pleurer, prier est également lâche »8. Mis à part ces cas particuliers,



6: Votre visite me serait agréable n'est pas la réplique syntaxique exacte du modèle proposé.

7: Modèle emprunté a M. k. logeby, DL -r injinmj, AULce^Atur de l'infinitif substantivé, le Français Moderne. 1957. pp. 1—5.

8: L'exemple est, de surcroit, très littéraire, et teinté d'archaïsme.

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l'énoncé est segmenté9: « C'est si vivant, des ailes! De les voir repliées et froides, ça fait frémir. » (Alphonse Daudet, Les Emotions d'un Perdreau rouge)10; qu'il vienne, cela m'est complètement indifférent, (voilà qui m'est . . .).

N'importe quel syntagme ne peut donc pas fonctionner comme sujet d'un verbe; lorsque la quantité d'information attribuée à un syntagme nominal est inférieure à un certain seuil, la réalisation impersonnelle devient possible, probable, imposée; et quand le syntagme sujet serait un groupe non nominal, la construction impersonnelle est la plupart du temps seule possible.

Si la séquence des verbes impersonnels ne peut fonctionner comme telle que dans certaines conditions, le verbe lui-même n'est pas toujours susceptible de produire un syntagme impersonnel. On peut dire une femme est venue hier ou // est venu hier une femme; mais imitera-t-on M. MD, lorsqu'il dit (21 octobre 1931): il est venu me voir une femme hierl Ou cette phrase extraite de la lettre de Madame E. à Madame A. datée du mardi 27 avril 1915:

« De te parler d'Anne-Marie me fait penser qu'il est venu goûter samedi, au thé
des Alliés, Madame Perrier »?n

Dans ces deux exemples, le syntagme verbal, porteur d'une grande quantité
d'information, ne peut se passer de l'appui d'un syntagme sujet. On
opposera de même: // s'est produit un accident et un accident a eu lieu;

croyons pas possible *// a eu lieu un accident. A première vue,

se produire et avoir lieu sont pourvus de la même quantité d'information,
mais il semble bien, en fait, que le second « dise plus » que le premier:
un accident a lieu ou se produit, mais une fête a lieu et ne se produit pas.



9: M. G. Gougenheim (Y a-t-il des prépositions vides en français? Le Français Moderne, 1959, pp. 1-25 emprunte à Quatre-Vingt-Treize la phrase suivante: « Passer la Loire était impossible à la Vendée ». L'énoncé n'a évidemment rien de gnomique, mais on peut justifier l'usage de la construction personnelle par un désir de décumuler les deux expansions du verbe, ou d'éviter le problème de la hiérarchie des expansions: // était impossible à la Vendée de passer la Loire, il était impossible de passer la Loire à la Vendée.

10: « De la voir faussement éloignée me causait un malaise » (Giraudoux, La France sentimentale), cité par M. G. (ibid. p. 17) est probablement un archaïsme littéraire quine nous paraît pas contredire notre allégation.

11 : Damourette et Pichón traitent des constructions impersonnelles au tome IV de leur Essai de Grammaire.

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Un cas particulier de cette opposition syntaxique qui correspond à une opposition sémantique mérite d'être évoqué ici: celui où le même verbe fonctionne alternativement dans les deux constructions. Comparons le pain manque et il manque le pain. L'analyse du contenu permet d'emblée de gloser les deux énoncés : le premier signifie // y a disette, le second signale simplement que la table est dressée, mais qu'on a omis d'y mettre la corbeille à pain. Dans le pain manque, la quantité d'information attribuée à manquer est plus grande que dans il manque le pain; la différence d'information entre les deux manquer est celle qui distingue la pénurie de la simple absence.

Lorsque la Comtesse ouvrit son coffret à bijoux, elle poussa un cri et s'évanouit
: le diamant rosé qui lui venait de son aïeule manquait.

La commutation avec ... il manquait le diamant rosé ... n'est possible que théoriquement: une nuance sémantique appréciable distingue les deux réalisations, qui pourtant expriment toutes les deux une absence. Mais il manquait le diamant rosé est une constatation faite après inventaire de la totalité des bijoux de la cassette : l'énoncé oppose l'ensemble actuel et l'ensemble antérieur, qui sert d'étalon, et marque un écart entre ces deux ensembles. Au contraire, le diamant rosé manquait implique une référence non pas d'ensemble à ensemble mais une référence de l'élément absent (état présent) à l'élément présent (état antérieur) ; la Comtesse - si Ton peut dire - confronte le degré zéro du diamant et son degré plein; seul le diamant l'intéresse, et il occupe la totalité de son expérience. Eiie n'opère aucune soupir action. clic iic v oit que le diamant, et il manque. Aussi sa réaction est-elle immédiate; elle a constaté l'absence et ne fait pas l'inventaire de la collection. D'un exemple à l'autre, la référence change: dans le premier, il y a référence directe au diamant; la loi de distanciation minimale joue: le diamant manquait; dans le second, il n'y a pas référence directe au diamant, mais seulement à la totalité dont il n'était qu'une partie. La référence est plus lointaine: il manquait le diamant. L'opposition des deux énoncés se justifie donc psychologiquement,mais aussi sémantiquement : le premier évoque un manque éprouvé, le second, un manque constaté, une simple absence. // manquait le diamant est sémantiquement plus neutre que le diamant manquait, où le verbe est pourvu d'une quantité d'information maximale. A la différence des effets de sens correspond une différence dans le choix des constructions employées,et la nuance que l'on discerne justifie la possibilité d'une réalisationen principe refusée: l'expansion du syntagme impersonnel est prédéterminéepar un réfèrent; mais il est vrai que la référence est moins

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impérieuse que dans le premier énoncé. Cette opposition syntaxique peut
être neutralisée, comme dans ce passage du Mariage de Figaro (11, xxii);
il s'agit du sceau qui manque au brevet de Chérubin.

LE COMTE regarde son papier // n'y manque rien\
LA COMTESSE, bas à Suzanne Le cachet.
SUZANNE, bas à Figaro Le cachet manque.

L'enchaînement précipité des répliques restitue la réalisation syntaxique
normale: cachet dans la réplique de la Comtesse entraîne l'écho le cachet
manque: la règle de distanciation minimale est respectée12.

L'examen d'une autre opposition permet de constater la même répartition syntaxique, selon le degré de quantité d'information du verbe: son fils lui reste/il lui reste son fils. Dans le premier cas, la personne dont il est question éprouve la satisfaction de voir son fils lui demeurer; l'énoncé suppose que tous ses proches l'ont abandonnée, à l'exception de son fils. Dans le second, il y a, comme pour manquer, confrontation de deux ensembles: cette personne a perdu tous ses proches, à l'exception de son fils; il n'y a là qu'une constatation. L'opposition de ce qui est constaté et de ce qui est éprouvé explique l'usage fréquent que les énoncés statistiques font des constructions impersonnelles:

il se consomme tant de millions de tonnes de viande par an en Argentine;
il naît tant de milliers <Tenfants chaque année dans le département du Nord;
il est mort l'an passé vingt-quatre centenaires . . .

Les énoncés statistiques constatent, mais n'apprécient pas: les chiffres ont leur sécheresse. Il est peu probable que le simple particulier use de constructions impersonnelles pour évoquer les usages ou les événements de sa vie personnelle : il se consomme beaucoup de viande dans ma famille; il est né une fillette dans le foyer de mon ami; il est mort un de mes voisins paraîtraient quelque peu incongrus: les verbes qui désignent des procès qui nous concernent personnellement sont plus « étoffés » sémantiquementque les verbes des énoncés statistiques13. Les constructions personnelleset



12: La langue courante trouve un expédient pour neutraliser l'opposition: elle étoffe le syntagme verbal : Pierre manque à l'appel résoud le problème du choix entre Pierre manque et // manque Pierre.

13: Mais mourir de faim, pourvu d'une quantité d'information plus grande que celle de mourir ne peut fournir qu'un énoncé personnel: « Dix mille personnes meurent chaque jour de faim dans le monde » (Le Monde, 30 avril-2 mai 1967). Nous ne sommes pas sûr qu'un énoncé comprenant se suicider, variante étoffée de mourir puisse revêtir la forme d'une construction impersonnelle. Les énoncés gnomiques, dont le verbe est partiellement privé de quantité d'information font eux aussi usage de la construction impersonnelle. Chérubin, dans La Mère coupable énonce cette vérité générale: « // s'introduit souvent de grands fripons dans les maisons. » (11, xxii). Un fait divers, relatant une circonstance précise, ne s'intitulerait pas volontiers: /'/ s'introduit deux voleurs dans une maison déserte; deux voleurs s'introduisent . . . paraît être la rédaction la plus probable.

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nellesetles constructions impersonnelles se distribuent ici suivant les
niveaux de langue.

La distribution suit également assez bien l'opposition de l'animé et de l'inanimé. L'être inanimé n'agit pas vraiment; il n'est donc pas nécessaire que le verbe soit pourvu de toute la quantité d'information qui peut lui être attribuée pour désigner les procès où l'animé est impliqué. On opposera donc:

il est survenu une complication dans sa maladie et
survint un troisième larron;

il court des bruits fâcheux sur son compte et
des athlètes courent sur la cendrée;

« dans ce procès, il circule des foules de choses, des rumeurs, des sous-entendus »
(Me Naud au procès Ben Barka, in /'Humanité, 11 mai 67) et
sur le trottoir circulent des passants;

« il paraît un livre par mois » (publicité d'éditeur)14 et
il sonna; la porte s'ouvrit et un valet parut;

il nous est arrivé hier soir une aventure peu banale et
un ami nous est arrivé hier soir.ls



13: Mais mourir de faim, pourvu d'une quantité d'information plus grande que celle de mourir ne peut fournir qu'un énoncé personnel: « Dix mille personnes meurent chaque jour de faim dans le monde » (Le Monde, 30 avril-2 mai 1967). Nous ne sommes pas sûr qu'un énoncé comprenant se suicider, variante étoffée de mourir puisse revêtir la forme d'une construction impersonnelle. Les énoncés gnomiques, dont le verbe est partiellement privé de quantité d'information font eux aussi usage de la construction impersonnelle. Chérubin, dans La Mère coupable énonce cette vérité générale: « // s'introduit souvent de grands fripons dans les maisons. » (11, xxii). Un fait divers, relatant une circonstance précise, ne s'intitulerait pas volontiers: /'/ s'introduit deux voleurs dans une maison déserte; deux voleurs s'introduisent . . . paraît être la rédaction la plus probable.

14: A 1; opposition lexicale parution/apparition semble donc correspondre mie distinction syntaxique. Il convient en outre de remarquer que la transformation courir/la course, circuler/la circulation, arriver/l''arrivée n'est possible que dans les énoncés personnels que nous proposons.

15: // m'arrive est, semble-t-il, presque infailliblement suivi d'une séquence telle que une aventure, un malheur, une catastrophe. On nous a objecté /'/ nous est arrivé un casse-pieds; un cousin de province. Mais ces énoncés paraissent - surtout le premier - dépréciatifs. La phrase de Balzac si souvent citée, d'après Damourette et Pichón: « -Qu'arrivera-t-il de tout ceci? dit le bonhomme épouvanté. -// vous arrivera Mademoiselle Flore Brazier ... » le montre bien. Le « bonhomme » attend une catastrophe (« (2«'arrivera-t-il ? ») La réplique inattendue d'Hochon, qui introduit dans la séquence un nom de personne, assimile « Mademoiselle Flore Brazier » à un malheur. On trouve un jeu de ce genre dans Mon Isménie, de Labiche (se. iii) : « Et, un beau matin, // vous arrive par le chemin de fer un Savoyard que vous n'avez jamais vu ». Le choix de la construction évoque l'assimilation du prétendant à un paquet, ce que confirme la suite: «J'avais demandé Le Canllonneur de Bruges pour piano, et l'on m'a envoyé un autre objet, plus lourd » (ihîd. se. iv). L'usage de la construction personnelle semble bien réservée à l'être animé dans ce cas.

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II apparaît donc que les constructions impersonnelles sont plus probables dans les cas où le verbe, partiellement privé de quantité d'information, peut se passer de l'appui d'un syntagme sujet. Or, avec l'inanimé, les verbe sont en emploi figuré; ainsi peuvent se justifier les oppositions que nous constatons.

La disparition de l'impersonnel // est est un fait connexe. On sait que
cette forme est d'emploi littéraire:

« // est un air pour qui je donnerais

Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber ...»
«il est nuit; la cabane est pauvre, mais bien close.»

Pourquoi /'/ est impersonnel a-t-il disparu, après avoir été très tôt remplacé par des substituts? Sans doute parce que, de tous les verbes, être est celui qui a la plus petite compréhension, comme dit Gustave Guillaume16, c'est-à-dire la plus petite quantité d'information. Guillaume appelle subductifs les verbes qui « descendent, dans la pensée, au-dessous des autres verbes, auxquels ils apparaissent idéellement préexistants ». Or, être préexiste à tous les verbes : « Ne faut-il pas « d'abord » être pour pouvoir « ensuite » se mouvoir, aller, venir, marcher, manger, boire, dormir ... ? »17»17 Pourvu d'une très petite quantité d'information, être ne saurait davantage tomber au-dessous de lui-même. Il conserve toute la quantité d'information qui lui est attribuée dans l'être est et le non-être n 'est pas. Mais avec un syntagme substantival dépourvu de réfèrent, c'est la construction impersonnelle qui apparaît18: le verbe être perd de sa quantité d'information; mais la quantité d'information qui lui est attribuée est si faible que cette subduction l'épuisé. La charge sémantique tend vers zéro, ce qui entraîne la disparition du signe; // est se trouve suppléé par des verbes de sémantisme plus étoffé: avoir avec qui il est souvent en distribution complémentaire19, exister, parfois se trouver et faire :



16: Temps et Yerbe, p. 48.

17: Théorie des auxiliaires et faits connexes (Langage et Science du Langage, pp. 73-86, spécialement pp. 72-73).

18: Un syntagme verbal dépourvu de réfèrent ne peut fonctionner comme sujet. En effet, pour qu'on puisse affirmer, nier ou mettre en question l'existence d'un être, il faut qu'il soit. Or seuls ont une existence linguistique les éléments qui sont présents dans la pensée ou dans l'énoncé qui précède, et auxquels on se réfère.

19: Voir sur ce point E. Benveniste, Etre et Avoir dans leurs fonctions linguistiques (Problèmes de Linguistique générale, pp. 187-207).

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« il rìy a pas de maître d'armes mélancolique »;20
// n'existe pas d'ouvrage sur la question;
il ne s'est trouvé personne pour lui porter secours;
il fait nuit;
« auprès de ma blonde, il fait bon dormir ».21

Si les analyses que nous venons de proposer sont suffisamment fondées, on comprend sans peine que, dans le cas de l'être animé, la fortune des constructions impersonnelles soit limitée: les règles qui président à la réalisation de ces constructions sont trop contraignantes pour qu'elles puissent se développer. L'impossibilité pour le noyau verbal de recevoir une grande quantité d'information22 est probablement l'obstacle le plus difficile à surmonter. Que d'exemples agrammaticaux dans Damourette et Pichón! Qui dirait, par exemple, comme Mme EJ le 14 octobre 1932: « il a téléphoné le médecin de la revue » ? {Essai, t. IV, p. 475). La plupart des verbes qui désignent des activités humaines reçoivent une quantité d'information fixe, et la subduction, condition nécessaire, n'a pas l'occasion de se produire.

Cela ne signifie pas que les constructions impersonnelles ne se rencontrent pas dans les énoncés qui mettent en cause l'être animé; mais elles incluent toujours les mêmes verbes, et ne fonctionnent vraiment de façon satisfaisante que dans certaines conditions privilégiées. Ajoutons que, dans la plupart des cas, l'énoncé personnel est aussi probable que l'énoncé impersonnel :



20: Nous tentons plus loin de justifier l'insertion de y.

21 : On étoffe le verbe ou on étoffe le prédéterminant: C'est la nuit; . . . c'est bon de dormir.

22: Le syntagme verbal reçoit une quantité d'information donnée; en deçà et au delà, des modifications syntaxiques se produisent: la construction impersonnelle apparaît quand le noyau verbal est moins chargé de quantité d'information. Une conséquence de ce fait mérite d'être évoquée, la médiocre fortune qu'a eue la proposition infinitive en français avant de disparaître complètement: le syntagme verbal composé du verbe et de l'infinitif avait une quantité d'information trop grande, plus grande que celle qui est attribuée à un syntagme unique. En français contemporain, on peut dire je le vois jouer, je le regarde jouer, non pas *je le contemple jouer: contempler est trop étoffé pour que le syntagme * contempler jouer soit viable. On opposera de même frapper Jort el frapper vigoureusement. *f nipper viguureux est exclu parce que vigoureux est pourvu d'une quantité d'information plus grande que celle que reçoit fort.

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LE COMTE Elle a fermé la fenêtre; quelqu'un apparamment est entré
chez elle (Barbier, I, vi)

BARTHOLO Comment! Je vous demande à tous deux s'il est entré quelqu'un
chez Rosine, et vous ne me dites pas que ce barbier . . . (ibid., 11, vi)

// est venu quelqu'un et quelqu'un est venu se disent tout autant, et aussi // est arrivé quelqu'un et quelqu'un est arrivé, il est passé quelqu'un et quelqu'un est passé. Mais que l'on remplace chacun de ces verbes par un substitut plus étoffé, et alors, l'énoncé obtenu va moins de soi: on opposera ainsi il est venu quelqu'un et quelqu'un est accouru; il est passé quelqu'un dans la rue et quelqu'un a flâné dans la rue; il est arrivé quelqu'un et quelqu'un est survenu; il est entré quelqu'un et quelqu'un a pénétré ici (et en effet on crie à celui qui frappe à la porte entrez] non pas * pénétrez^).

On aperçoit donc les limites du développement des constructions impersonnelles lorsqu'il s'agit de l'être animé. Mais on ne manque pas d'être frappé d'une évidence: la plupart et peut-être même la totalité des verbes capables d'engendrer le noyau d'une construction impersonnelle de façon fréquente sont des verbes qui s'auxilient avec être aux formes composées de la conjugaison. Ce n'est sans doute pas un hasard.

On sait depuis l'analyse magistrale qu'en a donnée Gustave Guillaume que certains verbes ont une limite externe de tension, d'autres une limite interne de tension23. Marcher, courir, dîner, danser, parler ... sont des verbes à ¡imite externe de tension: le sémantisme du verbe ne s'oppose pas à ce que l'agent accomplisse le procès indéfiniment; la limite du développement de l'action n'est pas inhérente au verbe: elle dépend de circonstances extérieures: fin de la distance à parcourir, du repas, de la soirée, de la causerie . . . Mais le sémantisme du verbe ne contrevient pas au prolongement de l'action. Il n'en va pas de même avec les verbes à limite interne de tension: l'action se fixe à elle-même sa propre limite et elle ne peut pas, quelque volonté qu'en ait l'agent, se prolonger indéfiniment.Je



23: Existe-t-il un déponent en français? (L. et Se. du L., pp. 127-141). Quoiqu'ils s'auxilient avec être, les verbes pronominaux ne sont pas des verbes à limite interne de tension: le patient et l'agent sont confondus, comme dans les verbes à limite interne de tension, mais le procès verbal peut se prolonger indéfiniment: on cesse de se regarder dans la glace parce qu'on s'est assez vu ou qu'on a autre chose à faire, de se laver parce qu'on s'estime propre, mais rien ne peut empêcher -théoriquement- que l'action se prolonge sans fin; aussi ne dira-t-on pas */'/ se lave quelqu'un.

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ment.Jepuis décider d'entrer, de sortir, d'arriver, de monter, de descendre, de venir ; mais une fois que l'action a franchi un certain seuil, on ne peut pas la poursuivre : on peut continuer de marcher sans trêve, mais on ne peut pas continuer d'entrer quand la porte est passée, de monter quand on est arrivé en haut de l'escalier, de venir quand on est parvenu à destination. Sémantiquement, le verbe est orienté vers son terme, il s'achemine vers son aboutissement. Il est possible que, syntaxiquement, le rejet du syntagme verbal en séquence du verbe impersonnel marque un aboutissement que le verbe implique en lui-même, et suggère. La construction impersonnelle serait en quelque sorte favorisée par des conditions sémantiques particulières: l'inflexion vers un terme que marque le verbe serait également réalisée sur le plan grammatical. Les conséquences de cette hypothèse sont intéressantes. Si nous voyons juste, on pourrait alors comprendre que la construction impersonnelle soit favorisée lorsque le verbe est à un temps composé : et en effet les temps composés évoquent le procès parvenu à son terme. Au présent et à l'imparfait, le terme n'est pas encore atteint : la correspondance sémanticosyntaxiqueque nous suggérons ne s'opère pas encore, car tant qu'on est en train de venir, l'action n'a pas abouti. Il est de fait qu'un énoncé tel que il est venu quelqu'un a plus de chances de réalisation que il vient quelqu'un. Dans l'énoncé au présent, on serait tenté de « clouer » le syntagme initial pour l'empêcher de basculer prématurément: Attention! il y a quelqu'un qui vient\ Voilà Pierre qui arrivel

Entrer aun sémantisme différent de celui de venir ou d'arriver. on peut être en train de venir ou d'arriver, mais le passage de la porte est immédiat. Aussi est-il possible que il est entré quelqu'un soit moins probable que il est venu quelqu'un, mais nous n'oserions pas l'affirmer. En tout cas, il semble que les énoncés au présent soient moins fréquents avec la construction impersonnelle : «ma porte est condamnée ; il n'entre personne » est peut-être moins probable que personne n'entre.

Et dira-t-on // descend quelqu'un ? Cela paraît difficile. // est descendu quelqu'un! Plus facilement peut-être, mais quelqu'un est descendu, quelqu'un est monté; il y a quelqu'un qui est descendu, il y a quelqu'un qui est monté semblent préférables. On peut supposer que, tandis que venir contient lui-même son aboutissement, monter et descendre impliquent moins la destination du procès: si j'ai entendu quelqu'un dans l'escalier, cela ne signifie nullement qu'il se soit dirigé vers mon appartement: l'action demeure sans limite, à moins qu'un élément lexical explicite ne

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vienne infléchir le procès24. Cet élément est le plus souvent y, et il infléchitefficacement le procès puisque sa place est fixe, et qu'il est conjoint au syntagme verbal : // y est monté quelqu'un nous paraît préférable à il est monté quelqu'un. Il semble même que le pronom y puisse infléchir n'importe quel verbe, et le rende mieux apte à s'intégrer dans le noyau d'une construction impersonnelle, alors même qu'il ne s'y prêterait pas facilement sans lui. L'énoncé: chez Maxim // dîne une clientèle choisie n'est guère acceptable; sans être vraiment probable, Maxim est un restaurant élégant; il y dîne une clientèle choisie est sans doute mieux venu. Tomber est un procès qui n'implique pas vraiment un point de départ et un point d'arrivée: on peut marcher et tomber, sans avoir fait le moindre trajet; mais avec y se trouve explicitée la notion de distance entre un point de départ et un point de chute. // est tombé un homme dans la rue est moins acceptable que la réplique fameuse du jardinier (Mariage, 11, xxi):

«Je suis votre domestique; il n'y a que moi qui prends soin de votre jardin;
il y tombe un homme; vous sentez que ma réputation en est effleurée. »

Y tomber image bien une course, le développement d'un procès vers son
terme. Il n'est pas impossible que le pouvoir d'infléchissement de y ait
motivé son inclusion dans l'impersonnel il y a.

Comment analyser l'indice // et la séquence des phrases impersonnelles?2s.Soitles énoncés i! pleut et il pieni des hallebardes. On peut, dans le premier, substituer ça à il: ça pleut; mais *ça pleut des hallebardes est impossible. Il apparaît donc que l'entier de la quantité d'information contenue dans ça se répartit entre il et des hallebardes. Ça pleut et il pleut



24: L'absence de destination impliquée que nous remarquons à propos de monter et de descendre explique que, longtemps, ces deux verbes aient accepté l'auxiliation par avoir: «Jai descendu dans mon jardin Pour y cueillir du romarin » «Jai monté pour vous dire, et d'un cœur véritable Que jai conçu pour vous une estime incroyable ». La même remarque vaut pour aller, qui, souvent, n'implique aucune destination : «je suis une force qui va ». Aussi à l'expression il y va du monde préfère-t-on parfois // v vient du monde: ce magasin n'est guère achalandé: // v vient peu de gens.

25: Pour la position des linguistes sur le problème, voir P. Pieltain, loc. cit., pp. 470-479.

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des hallebardes ont en outre des emplois semblables: l'un et l'autre font référence à la pluie qui tombe, mais dans une situation précise, présente, passée ou future. L'absence de référé en phrase interrogative ou négative rend difficile l'usage du réfèrent ça. M. G. Hilty, dans son article « // » impersonnel2^ remarque fort justement l'extrême rareté de ça ne pleut pas: il n'en donne qu'un exemple, d'autant plus suspect qu'il est emprunté à Damourette et Pichón. On imagine de même difficilement il ne pleut pas de hallebardes, pleut-il des hallebardes ? Les énoncés gnomiques semblent également exclure ça pleut et il pleut des hallebardes: ça pleut souvent à Londres, il pleut souvent des hallebardes à Londres ne sont guère imaginables.Ça,du point de vue de l'analyse du contenu, peut donc être considéré comme un réfèrent, donc comme un véritable sujet. On n'en dira pas autant de il dans il pleut, qui peut référer le procès à une situation (quoique plus vaguement): Tiens! voilà qu'ilpleut\ mais qui s'introduit dans des énoncés gnomiques et dans des phrases interrogatives ou négatives.Saquantité d'information est donc inférieure à celle de ça, mais elle est supérieure à celle de il dans il pleut des hallebardes. Les deux seuls énoncés comparables sémantiquement sont donc ça pleut et il pleut des hallebardes: on peut tirer argument de l'égale impossibilité de *ça ne pleut pas et de *il ne pleut pas de hallebardes pour proposer l'équation ça pleut = il pleut des hallebardes. Il conserve quelques traits pertinents du pronom sujet: le pouvoir de prédéterminer le verbe, et de lui conférer la marque de la personne, qui est fixe, puisque le référé n'est pas encore apparu dans i'énoncé; des hallebardes, de son côté, représente la matière qui permet au procès (la précipitation) d'avoir lieu, mais une matière non informée : la marque de la suite demeure sans effet sur la marque du verbe. En somme, dans il pleut des hallebardes, la forme et la matière sont séparées ; or, un syntagme capable de remplir une fonction dans l'énoncé est constitué d'une matière informée. Force nous est donc de constater que il et des hallebardes sont inanalysables séparément, ou d'admettre qu'il existe un syntagme pleuvoir des hallebardes, dont il serait le sujet, puisqu'il est le sujet de pleut dans il pleut. Mais la deuxième hypothèse doit être rejetée : l'hypothèse d'une unité lexicale pleuvoir des hallebardes s'opposant à pleuvoir obligerait à envisager aussi un couple venirjvenir des gens. Si l'on s'en tient à l'analyse sémantique, on ne peut que constater que l'indice introducteur et la séquence n'ont pas de fonction dans la phrase. L'analyse formelle donne-t-elle de meilleurs résultats9 Elle permet



26: Le Français Moderne. 1959. N° 4, pp. 241-251.

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tout d'abord d'affirmer que il est analysable: ce n'est pas un réfèrent, mais il représente le même signe que le réfèrent: dans Paul? il vient et dans // vient des gens, on a le même signe il; on est donc tenté d'en inférer que dans il vient des gens, il est le sujet de vient. Mais on est bien embarrasséd'analyserPaul vient-il? Est-ce Paul qui est le sujet de vient, ou //? Ce n'est sûrement pas il, puisqu'il a disparu dans Paul vient ? L'adjonctionde// dans Paul vient-il est commandée par l'impossibilité qu'il y a en français contemporain de faire commencer l'énoncé interrogatif par le verbe lorsque le sujet en est un substantif. Vide de substance, incapable d'assumer une fonction dans l'énoncé, // y joue néanmoins un rôle: il rappelle en fin d'énoncé le sujet maintenu en tête, et confère à la phrase son statut de phrase interrogative, conjointement avec l'intonation. *Vient Paul! est refusé; Paul vient est ambigu; Paul vient-il! est, dans la langue littéraire, l'énoncé interrogatif type. Sans avoir de fonction par rapport au verbe, il contribue à donner à l'énoncé sa marque spécifiquedephrase interrogative. Sans doute est-il possible de reprendre l'argumentation pour définir l'indice introducteur des constructions impersonnelles.C'estd'autant plus tentant que, dans l'ancienne langue, les phrases interrogatives et les phrases impersonnelles s'ouvraient fréquemmentparle verbe : « Doit son malheur estre estimé offense », lit-on encore dans Marot, et dans le Tristan de Thomas (éd. Wind, frag. Douce, Fin du Poème, v. 1601): « Pluet e grésille e creist li tenz ».

Le verbe a besoin d'une assiette ; simple forme, il n'a pas de fonction relativement au verbe dans il pleut: plus chargé sémanti.quement que dans il pleut des hallebardes, ce n'est pas un authentique substitut puisqu'il ne se réfère à rien de précis. Mais il conserve la fonction d'ouvrir l'énoncé: il y a peut-être vide sémantique, mais il y a présence syntaxique. Il n'y a rien là de contradictoire, et le fait n'est pas sans exemple. Si l'on considère l'énoncé «L'Angleterre prit l'aigle et l'Autriche l'aiglon », on ne songe pas un instant à supposer que le verbe soit absent de la seconde proposition:sa matière manque, mais non sa forme, puisque l'Autriche et l'aiglon assument la même fonction que l'Angleterre et l'aigle: cela suffit à maintenir la présence du verbe « physiquement » absent, syntaxiquement présent. Il arrive du reste que le pronom // soit physiquement absent des constructions impersonnelles: « Reste Robert Manuel et Claudine Coster aux voix bien timbrées, à la diction nette. » (Le Canard Enchaîné, 24 mai 1967): il suffit que la marque de l'unipersonnel soit attribuée au verbe pour que le pronom qui la lui confère ne soit pas explicite: il est impliqué dans la marque verbale. Cependant, bien que le verbe soit

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marqué, la langue préfère la surcharge du prédéterminant. Ce prédéterminantemprunte la forme du substitut, parce que la langue ne dispose pas de signe spécial: le français, qui possède deux articles, n'a qu'un pronom personnel non-prédicatif.27 Mais l'ambiguïté de l'indice //. substitut et simple indice ne résiste pas à l'analyse syntaxique.

Essayons maintenant d'analyser la suite des impersonnels. Elle est « désyntaxisée », puisqu'elle se présente comme une matière sans forme (nous avons dit que ses marques sont sans effet sur le verbe, qui demeure unipersonnel). Mais il arrive que certains syntagmes désyntaxisés se « resyntaxisent »28.»28. Jusqu'au XVIIe siècle, le verbe suppléant faire pouvait recevoir un régime, tout comme le verbe suppléé29. C'est ainsi que Thomas écrit (édition Wind, fin du poème) :

939 « Castel i oi e belc amie

Altretant l'aim cum fa: ma vie »

En français contemporain, le verbe suppléant ne peut pas conserver de régime; si on veut suppléer le verbe, malgré tout, il faut resyntaxiser le régime, puisque cette fonction est caduque : on l'intègre à la catégorie du complément de propos: il froisse son foulard comme il ferait à" un torchon.

Désyntaxisée, il est possible que la séquence se resyntaxise, et qu'elle s'intègre à une autre structure: celle du régime direct. Certains indices le laissent supposer. Il existe des impersonnels qui se font suivre d'une séquence pourvue d'un réfèrent: « il me faut cette épée »; il reste ce poulet à finir: il ne manquait plus que cela! il v a ce travail qui m'ennuie. Tous les impersonnels se font suivre d'un pronom complément: il me la faut



27: II n'en va pas de même du démonstratif. Dans c'est vrail Et tu as mentii ce est un réfèrent, que l'on peut remplacer par cela. Dans c'est vrai que tu as mentii la commutation n'est pas possible. Si le locuteur veut employer un signe encore moins chargé de quantité d'information, il l'emprunte au pronom personnel: /'/ est vrai que tu as menti, mais je te pardonne. Mais le pronom personnel est subductif, et il n'existe pas de catégorie pronominale au-dessous de lui. Les variations de contenu se font sur le même signe.

28: Nous calquons ici la terminologie des phonologues: à l'intervocalique, les occlusives /t/ et /d/ ont disparu en français après avoir fourni des variantes combinatoires refusées par la langue: le /t/ de vita s'est déphonologisé et a disparu. Mais le /b/ de fába ne disparaît pas : il s'affaiblit en /v/ et la variante demeure: il existe en effet dans le système consonantique du français un phonème /v/ : la variante combinatoire s'est donc rephonologisée. Il existe en syntaxe des phénomènes du même ordre.

29: G. Moignet, La Suppléance du verbe en français, Le Français Moderne, 1960, pp. 13-24 et 107-124.

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(à rapprocher deje la veux}', il y en a; // en vient de partout (*en viennent de partout est refusé). Parfois même, l'impersonnel est précédé d'un relatif complément : c'est ce qu'il me semble (à rapprocher de c'est ce qu'il m'a dit}; «je songe aux conséquences qu'il en résultera » (Lautréamont); «je ne sais pas ce qu'il lui arrive » (Aragon)30. Mais ces indices ne dissimulent pas certains critères contradictoires, qui montrent que la séquence n'est pas un régime: on ne peut renverser les constructions impersonnelles en phrases passives: * cette épée m'est fai lue par il est impossible, tout de même que *je songe aux conséquences qui en seront résultées par il. Et si certains impersonnels se font précéder, le cas échéant, d'un relatif complément, ce n'est pas le cas de tous les impersonnels: je songe aux conséquences qui en résulteront, je ne sais pas ce qui lui arrive sont des réalisations au moins aussi probables que les énoncés originaux de Lautréamont et d'Aragon31. On peut faire remarquer, enfin, qu'il se produit parfois des interférences entre la construction impersonnelle et la construction inversive (personnelle). M. R. Le Bidois32 cite cette phrase de Mauriac (Thérèse Desqueyroux): « D'un train égaré venait des mugissements,des bêlements tristes »: l'orthographe du verbe, qui ne marque pas l'accord avec le sujet inversé, semblerait indiquer que Mauriac confondl'énoncé inversif et la construction impersonnelle, c'est-à-dire que, dans son esprit, la séquence est un sujet, ou le sujet inversé une séquence, donc, dans une certaine mesure, un régime. Un tel exemple montre combien la séquence des impersonnels est mal définie et échappe à toute classification.

L'analyse syntaxique confirme ce que laissait pressentir l'analyse du contenu: nous avons vu que l'indice il n'avait pas de fonction de sujet, et il nous est apparu à l'instant que la séquence n'était pas un régime. Il faut donc admettre que les constructions impersonnelles constituent une structure à part, indécomposable : c'est également le cas de la voix pronominale,où le pronom conjoint ne se laisse pas analyser séparément du verbe, et n'est pas un régime. Les règles contraignantes que nous avons



30: Ces deux exemples sont empruntés à Damourette et Pichón.

31 : II ne faut pas, cependant, dissimuler le fait que les constructions impersonnelles usent exclusivement de verbes symétriques; on pourrait supposer que l'exclusion des verbes transitifs tend à éviter la succession dans l'énoncé de deux expansions de même nature, c'est à dire de deux régimes: *// m'a apporté quelqu'un ce livre. Mais nous avons des raisons de refuser de voir un régime dans la séquence des impersonnels.

32: dans sa thèse L'inversion du sujet dans la prose contemporaine.

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tenté de dégager font des constructions impersonnelles une structure originalequ'il serait vain de chercher à assimiler aux phrases actives et à analyser élément par élément. Plutôt que de parler de sujet apparent et de sujet réel, désignations qui n'ont rien de linguistique et qui, de surcroît, sont erronées, ou de régime, il y aurait avantage à user de termes neutres, qui ne préjugent pas de la fonction de ces éléments:-indice introducteur pour il et ce, expansion du verbe, séquence (adopté, on le sait, par F. Brunot dans La Pensée et la Langue), ou postverbal accusatif comme l'a proposé M. G. Gougenheim33.

Nous n'avons tenté ici qu'une analyse de la forme et du contenu. Les faits de style et de rythme, qui entrent souvent en conflit avec les règles que nous avons cherché à définir, mériteraient aussi d'être envisagés. Nous n'avons fondé nos remarques que sur peu d'exemples, et notre contribution à l'étude des constructions impersonnelles est bien courte; il nous faut donc souhaiter qu'un linguiste de plus d'expérience que nous consacrera à la question l'ample étude qu'elle nous paraît mériter.

André Eskénazi

REIMS



33. daiii Murphulugie et fonctions grammaticales, Journal de Psychologie, LU, 1959, pp. 401-421.