Revue Romane, Bind 3 (1968) 1

ALEXANDRE LORIAN : L'ordre des propositions dans la phrase française contemporaine — LA CAUSE. Bibliothèque française et romane publiée par le Centre de Philologie romane de la Faculté des Lettres de Strasbourg - Série A : Manuels et études linguistiques, XL Paris, 1966, 148 p.

Poul Høybye

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L'auteur a raison de penser qu'on a trop peu étudié « l'ordre des propositions » dans le cadre des nombreuses études consacrées à l'ordre des mots. Soulignons que l'ordre des mots veut dire, en réalité, l'ordre des membres de la phrase. Et puisque les propositions secondaires doivent être analysées comme des membres de l'ensemble constitué par la proposition supérieure et la ou les proposition(s) subordonnée(s), une étude de l'emplacement de ces membres semble s'imposer.

Il est vrai que la littérature grammaticale dont nous disposons déjà s'occupe
aussi de l'ordre des propositions, mais presque toujours incidemment. Il y a
donc un travail de vérification à faire.

A la première lecture du livre de Monsieur Lorian, on trouvera peut-être qu'il y avait très peu à ajouter aux ouvrages déjà existants (notamment ceux de Sandfeld, Grevisse et Le Bidois). Pourtant les analyses de détail entreprises par M. Lorian valent la peine d'être lues avec attention.

L'auteur a pris soin de choisir des textes variés quant aux genres : style
narratif, style dramatique, style de dissertation, style didactique.

Dans ce qui suit nous nous occuperons surtout des points où il nous semble
que M. Lorian a fait de nouvelles observations et des points où nous avons
envie d'ajouter des remarques.

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Les statistiques élaborées par l'auteur confirment l'impression que l'antéposition de parce que est relativement rare: 4,8 %. Or, nous voudrions savoir s'il compte les « tours attributifs c'est parce que » parmi les postpositions. Là, il n'y a pas de choix. Il faudrait donc, selon nous, les éliminer des statistiques, de même que les « monorèmes » (Parce que.'). Nous écarterions également les cas où la proposition parce que est parenthétique ou isolée, par exemple :

je savais (parce que tout le monde le disait) qu'il était intelligent
(page 58)

et l'exemple cité à la page 30 :

Topaze : - Pourquoi ?

Suzy : Parce que vous êtes un homme timide, facile, crédule.

Nous aurions classé les cas analogues dans une catégorie à part (propositions
indépendantes).

Nous sommes néanmoins convaincu qu'on doit accepter la conclusion de
M.Lorian : « parce que antéposé = puisque renforcé » (p. 62).

Nous avons l'impression que parce que antéposé est plus emphatique que
parce que postposé, précisément parce qu'il est plus rare.

Dans l'analyse de puisque, il y a aussi des cas parenthétiques ou isolés que
nous considérons comme une catégorie à part (de même que parce que}, par
exemple :

Mais je veux ici, puisque mon rire vous déplaît, cesser de rire et parler
franc ... (p. 78)

Et surtout si, dans un dialogue, le deuxième locuteur commence sa réplique
par un puisque :

- Continuez.

— Puisque tulio m y ¿/¿vt/cc. Lunule damac . . . (p. 79)

Cela changerait sans doute les statistiques de M. Lorian, qui constate qu'il y
a 26,8 % d'antépositions contre 43,2 % de postpositions.

Quant à comme causal, presque tous les grammairiens enseignent que les propositions de ce type sont toujours antéposées (p. 88). Il est intéressant de voir combien d'exceptions M. Lorian a trouvées à cette règle. Et nous trouvons que ses explications sont justes, à savoir que ces propositions sont de « fausses subordonnées », des « parenthèses » ou des « explications après coup » (p. 98). Exemples :

Premier pionnier : // n'y a pourtant pas à se plaindre ! La traversée n'a pas
été mauvaise. — Deuxième pionnier : Ça m'est égal. Comme c'est la dernière
fois que je la fais (p. 98).

- Vous l'avez mis à la porte 1

— Je n'ai pas osé. J'ai cru tout d'abord qu'il était envoyé par Monsieur,
comme je sais que Monsieur a des idées avancées (p. 100).

Les visites finies (ma grand'mère dispensait que nous en fissions une chez
elle, comme nous y dînions ce jour-là) je courus jusqu'aux Champs-Elysées
(p. 100).

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Nous regardons ces cas comme faisant partie d'une même catégorie (propositions
indépendantes).

Le chapitre sur comme se termine par une note remarquable :

Comme causal postposé paraît devenir plus fréquent, à l'heure actuelle, dans le style administratif, où il est l'équivalent d'un puisque de justification. Cf. le passage suivant d'une lettre qui nous a été adressée en 1966 par une grande maison d'édition parisienne :

nous pensons vous proposer une somme forfaitaire à titre de droits

d'auteur car cela simplifiera les formalités à l'avenir, comme les règlements
annuels à l'étranger posent souvent des problèmes.

Selon nous, il s'agit là aussi d'une « explication après coup ». Il est très probable
que la lettre en question a été dictée à une sténo-dactylo, ce qui expliquerait la
conservation du style de la langue parlée.

Pour terminer, je reviens à une des premières pages du livre, à savoir la page
17, où M. Lorian s'occupe des phrases antéposées introduites par de ce que.
Voici ses deux exemples :

De ce que, jusqu'ici, la figure familière du monde vous est apparue facile,
souriante, vous auriez tort de conclure que la pointe ne sortira jamais, la
pointe perçante.

Mais, de ce que M. de Vinteuil connaissait peut-être la conduite de sa fille,
il ne s'ensuit pas que son culte pour elle en eût été diminué.

M. Lorian s'étonne de ne pas trouver ce type de proposition dans les manuels
de Grevisse, ni de Wagner et Pinchón. Il aurait pu trouver trois exemples dans
Sandfeld : Les propositions subordonnées § 22, page 43.

Nous lui faisons cadeau des exemples suivants, que nous avons trouvés nousmême

De ce que les biologistes ne se sont pas mis d'accord sur (cette question),
doit-on en conclure que la notion même de règne biologique doive être
abandonnée? (Damourette et Pichón I 31).

Mais, de ce qu'ils aient entre eux des caractères communs, on ne doit pas
(....) conclure qu'ils aient forcément tous la même nature (ib. 111 253).

De ce qu'Odette mentait quelquefois, on pouvait conclure qu'elle ne disait
jamais la vérité (Proust : Swann II 205).

de ce que je possède cet heureux équilibre (. . .) il ne s'ensuit pas que je sois
incapable d'éprouver (. . .) une véritable affection (George Duruy : L'unisson,
cit. Brunot : La Pensée et la langue 834).

A remarquer qu'il s'agit toujours de verbes comme conclure, supposer et
s'ensuivre.

Dans cet ordre des propositions M. Lorian voit « un caprice de styliste » (p.
17). Nous n'y voyons rien d'anormal ; cp. :

De cet argument, de cette démonstration, de ce raisonnement on peut conclure
ceci (Robert).

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Quant à l'exemple de Duhamel cité par M. Lorian :

De ce que les autres pouvaient penser de ces pages écrites dans la colère
et le désespoir il [Rimbaud] se souciait fort peu.

il s'est glissé par inadvertance dans ce paragraphe ; le que en question est de valeur pronominale et non pas conjonctionnelle. C'est le régime du verbe penser. On pourrait transformer la phrase ainsi : Ce que ley autres pouvaient penser (. ..), // s'en souciait fort peu.

COPENHAGUE