Revue Romane, Bind 3 (1968) 1

«Sardana, le preux chevalier.. » Notice sur les vers 641-44 du Testament de Villon

PAR

SVEND HENDRUP

Depuis cent ans, les critiques ont discuté des problèmes que pose l'interprétation du Testament de Villon. S'ils sont plus ou moins d'accord sur le fond, ils s'opposent encore sur bien des détails : ainsi « Sardana, le preux chevalier . . » des vers 641-44. En reprenant ici ce point déjà traité par L. Thuasne,1 j'essaierai de répondre aux questions suivantes : Sardana est-il Sardanapale et comment est-il devenu le conquérant du règne de Crète ?

Puisque l'explication des détails dépend d'une vue d'ensemble, il faut d'abord jeter un coup d'œil sur la Double ballade, v. 625-72, où figurent les vers en question. Celle-ci développe une thèse énoncée au v. 624 qui précède la ballade, « pour ung plaisir mille doulours », et reprise dans la ballade même au v. 629, « folles amours font les gens bestes » ; cette thèse, que souligne un refrain, est illustrée par une série d'exemples, puis appliquée à une expérience personnelle de même nature, et finalement érigée, à regret, en vérité universelle. La thèse est un lieu commun. Les exemples sont ceux qui conviennent à la thèse,2 répartis sur chaque strophe en groupes de deux de même origine (biblique ou mythologique), disposés par ordre chronologique (ordre approximatif,il est vrai, mais bien apparent et dont « Samson » et « Heredes » fixent les limites) et formant contraste avec le « povre moy » du v. 657. - Ces éléments se retrouvent dans les trois ballades sur le thème de la mort : la Ballade des dames, la Ballade des seigneurs et la Ballade en vieil langage jrançoys ; même schéma général, même répartition des



1: L. Thuasne, François Villon. Œuvres, édition critique avec notices et glossaire, I-111, Paris 1923 : 11, p. 211-13.

2 : cf., p.ex., René d'Anjou, Livre du cuer d'amours espris, éd. O. Smital et E. Winkler, I-111, Vienne 1926; 11. p. 128-3 L où Bel Acueil fait le récit des célèbres victimes de l'amour : Virgile, Aristote, Samson, Salomón, Sardanapale .. .

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exemples en groupes, même disposition linéaire.3 Ce qui distingue la Double ballade, c'est d'abord son ton burlesque : Samson perd ses « lunetes » (v. 631), Orpheus échange sa vielle pour « fleustes et musetes » (v. 633-34), le chien Cerberus se voit doté d'une tête supplémentaire(v. 636), etc. Je n'insisterai pas sur cette 'allure comique' que I. Siciliano4 a déjà mise en lumière ; je relèverai seulement quelques variantes du ms. C, dont il aurait pu tirer parti : « . . ly roys, saiges . . » (v. 645, où il semble que Villon(?) se soit servi à dessein du 'vieil langage françoys'), « . . chose moult. . » (v. 652, leçon qui, par sa trivialité même, est supérieure à celle, juste mais banale, des autres mss).5 Il faut souligner, en revanche, le caractère mécanique de la composition : la répartition rigoureuse des exemples (deux par strophe, chacun s'étendant sur quatre vers, excepté la première strophe où les exemples font partie de l'exposition), l'abondance de formules et de chevilles (v. 633, 637, 641, etc.), enfin la manière pédantesque dont les exemples sont rattachés à la thèse (le « en » causal des vers 630, 631, 635, 638, 643, etc).

Retenons ces traits dominants qui caractérisent la Double ballade et abordons le problème particulier des vers 641-44. Ceux-ci nous apprennent que 'Sardana, le preux chevalier, conquit le règne de Crète mais périt victime des folles amours et voulut devenir femme filant entre pucellettes'. La question est maintenant de savoir si ces données sont conciliables. - Les commentateurs admettent que les vers 643-44 désignent Sardanapale, le dernier roi des Assyrien:», bien connu pour sa vie dissolue, laquelle n'est rien qu'une légende inventée par les historiensgrecs et dont le souvenir s'est perpétué dans tous les manuels du moyen âge, grâce à sa morale exemplaire et à la position stratégique du 'héros' dans la succession des empires, selon la théorie de la translatióimperii.



3 : Dans la Ballade des seigneurs, p. ex., les seigneurs sont groupés suivant leur âge au moment de leur mort: les vieux dans la lère strophe, les hommes mûrs dans la 2e, le jeune homme dans la 3e3e ; ordre repris dans l'envoi -ilne faut pas méconnaître la subtilité de Villon !

4 : I. Siciliano, François Villon et les thèmes poétiques du moyen âge, Paris 1934, p. 372-75.

5 : Ces variantes témoignent, encore une fois, de la supériorité du ms. C ; cf. F. Lecoy, Romania LXXX, 1959, p. 494. Il faut pourtant rendre raison à 1, l'édition imprimée, que L. Ihuasne, op. cit. : I, p. 203, a traitée tiop scvcicment en lui attribuant deux fausses leçons : « a trois testes », v. 636, « le pieux », v. 641.

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latióimperii.Cette identification n'est pourtant pas la seule possible, car les mêmes vers pourraient aussi bien se rapporter à Hercule qu'à Sardanapale ; voici, par exemple, ce que raconte Laurent de Premierfait,le traducteur du livre De casibus virorum illustrium de Boccace :

Hercules se rendit si obeyssant aux commandemens d'une pucellette, c'est
assavoir de Yolis s'amye, que il filia et fist autres offices de femme après
qu'il eust mis jus et délaissez tous les exemples de vertu et de proesse.6

Mais comme le texte de Villon nomme expressément « Sardana », je
m'en tiens à l'identification généralement admise.

Or, est-il possible d'identifier, quant à la forme même du nom, ce Sardana du vers 641 avec Sardanapale? Sur ce point, les commentateursse dissocient. I. Siciliano n'hésite pas à répondre par l'affirmative: « Sardanapale - voire 'Sardana', à la bonne franquette . . » ; L. Poulet n'avance qu'un prudent « peut-être » ; L. Thuasne rejette formellement une telle identification.7 La plupart des commentateurs objectent que la forme 'Sardana' serait une apocope assez insolite pour 'Sardanapale', et cela d'autant plus que Villon emploie ailleurs la forme correcte du nom : Poésies diverses V, v. 32 « Sardanapalus ». Mais ils oublient que « Sardanapalus » se rencontre dans un vers de dix syllabes, tandis que « Sardana » apparaît dans un vers octosyllabique. La forme pleine serait trop longue ici et le vers jurerait avec les vers parallèles 633, 637, etc. Au point de vue du style aussi, la forme abrégée est préférable à la forme latine dont la note barbare, évoquée dans la Ballade contre les ennemis de la France, ferait disparate avec le ton familial de la Double Ballade (cf. l'observation, citée plus haut, de I. Siciliano).8 - Mais, qui plus est, la forme abrégée n'est peut-être pas si insolite qu'elle paraît au premier abord. Il semble qu'il ait existé depuis le haut moyen âge une tendance à écrire le nom de Sardanapalus en deux mots. En voici quelques exemples, pris un peu au hasard : « sardañapallas



6 : Des cas des nobles hommes et femmes inforiunez, éd. Jean du Pré, Paris 1483-84, fol 46v. - Toutes les citations suivantes de la traduction de Laurent de Premierfait sont prises dans cette édition.

7: I. Siciliano, op. cit. p. 373 ; A. Longnon et L. Poulet, François Villon. Œuvres, 4* éd., Paris 1932, p. 153 ; L. Thuasne, op. cit. p. 212.

8 : cf., inversement, ce que dit Vincent de Beauvais au sujet de Sardanapale qui fut « turpior viciis quam nomine . . » : Vincentius Bellovacensis, Spéculum ¡¡¡storiale, Strasbourg 1473. Johann Mentelin, 2e2e livre. 93L' chapitre.

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dañapallas» (ms., IXe siècle),9 « sardnia palus » (ms., XVe siècle),10 « sardana paulus » (impr., XVe siècle).11 Villon aurait ainsi employé du nom Sardanapalus une forme abrégée, pouvant se justifier et convenant à ses intentions stylistiques - « à la bonne franquette ».

Le « preux chevalier » du même vers 641 n'empêche pas non plus l'identification proposée, quoique les manuels du moyen âge ne parlent pas de prouesse à propos du roi des Assyriens. Ce n'est ici qu'une simple formule, comme celles des vers 633, 637, etc., formule qui s'appliquait à tout 'héros' de n'importe quelle époque, cf. Laurent de Premierfait dans sa traduction de Boccace, nommée ci-dessus : « Patroclus fort et preu chevalier » (fol 49v), « un très preu chevalier nomme Hostillius » (fol 95r), etc. Peu importe que Sardana ne soit preu que par anti-phrase, car la logique de la démonstration exigeait que les 'héros' de la ballade, les exemples, ne fussent pas dépourvus de mérites ; au reste, l'anti-phrase se trouve déjà chez Laurent qui s'adresse ainsi à Sardanapale :

O roy Sardanapallus, tu te es adonne a noble et louable mestier, la couloigne
et les fuyseaulx que tu portes sont signe du triomphe des ennemis que tu
as desconfiz en bataille .. (fol 68r).

L'ordre chronologique enfin exclut la possibilité de voir, avant tout, en
Sardana un chevalier du moyen âge.

La 'conquête du règne de Crète' du vers 642 est, au contraire, une véritable énigme, pour autant qu'on n'y voie pas une pure invention de la part de Villon. Comment expliquer cette conquête qu'ignorent les manuels, d'Orose à Vincent de Beauvais ? Tout ce qu'ils portent au compte de Sardanapale, c'est d'avoir fondé deux villes dont les noms, Tharsus et Ancialis, ne semblent avoir aucun rapport avec la Crète. - L. Thuasne,12 qui, au sujet du 'preux chevalier', oublie pour un moment son principe, d'interprétation par anti-phrase, ne tarde pas à reconstruire un merveilleux roman d'aventures, aujourd'hui perdu et dont le héros, Sardana, aurait conquis 'le règne de Crète' ; à ses dires, Villon aurait volontairement confondu ce chevalier avec Sardanapale en lui prêtant,



9 : Eusebius Werke VIL Die Chronik des Hieronymus, éd. R. Helm, Berlin 1956 : p. 81b (variante).

10: René d'Anjou, op. cit. : 11, p. 191 (variante, = la leçon du ms., au vers 69, p. 129).

11 : VincenULis Bcllovacensis, loc cit. (la forme citée est la seule employée ici).

12 : op cit.,. p. 212-H.

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par plaisanterie, les mœurs efféminées de celui-ci. Bien que cette manière de voir me semble prendre le contre-pied du problème, j'ai essayé de retrouver des traces du héros de ce roman perdu. Mais ni la Table de L.-F. Fluire, ni celle de E. Langlois13 ne signalent rien qui soit susceptible de confirmer l'hypothèse de L. Thuasne.

Cette hypothèse rejetée, il faut chercher une autre explication. Car s'il est possible que la 'conquête' soit une pure invention, il n'est guère probable que ce soit une invention tout à fait gratuite ; et comme Sardana n'est pas nécessairement un 'vrai' chevalier du moyen âge, on ne doit pas limiter ses recherches aux seuls romans de chevalerie, - On rencontre cependant, dans les romans, un certain Dardanus ou Dardanon dont le nom n'est pas sans ressemblance avec celui de notre héros. Ce Dardanus, personnage bien connu de la mythologie grecque, est le plus souvent cité comme fondateur de Troie, c'est-à-dire comme ancêtre des Troyens et, partant, des Francs et des Bretons.14 Mais une fois au moins et dans une œuvre d'un autre genre, Renard le contrefait,^ il est présenté comme fondateur de la Crète : « De cest Dardanon est escript, Que il fonda l'isle de Crist » (branche 11, v. 19601-02) ; et ce dernier a peut-être participé à la genèse du mythe qui s'attache au vers 642.

Mais Sardanapale aussi est mis en rapport avec la Crète — rapport un peu éloigné, sans doute - dans la traduction, déjà citée, du De casibus de Boccace. Au 12e chapitre du livre 11, qui raconte tout le 'cas' de Sardanapale, on lit à propos de ses inventions futiles auxquelles sont opposées les sages innovations de Saturnus (encore une ressemblance de nom !) :

et dit l'en es hystoires, tandisque Sardanapallus pourrisoit par oysivete en ce palaiz il trouva plusieurs manières de delectactions et dist l'en certainement que Sardanapallus trouva la manière de faire les litz de plume atournez de soye et environnez de courtines, il trouva abruvouers d'or . . . [Foroneus, le législateur des Grecs] pensoit avoir acquis entre les hommes louenge



13 : L.-F. Flutre, Table des noms propres . . . figurant dans les romans du moyen âge, Poitiers 1962; E. Langlois, Table des noms propres... compris dans les chansons de geste imprimées, Paris 1904.

14: cf. E. Farai, La légende arthuricnne, I-111, Paris 1929: I. p. IXI et passim. - Pour d'autres personnages romanesques portant le nom de Dardan Dardanus/Dardanon. voir l'index de l'ouvrage de E. Farai et la Table de L.-F. Flutre.

15 : éd. G. Ravnaud et H. Lemaître. I-11. Paris 1914.

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perpétuelle, aussi faisoit Saturnus roy de Crète pour ce, après que il fut dechacie de son royaume par Jupiter son filz et le dit Saturnus fut venu en Ytalie ou n'estoit encores trouve la manière de cultiver les terres, il monstra aux rudes Ytalians la manière de arer de semer et de soyer les blez... (fol 67r).

Plus loin, à propos de la piteuse résistance qu'offrit Sardanapale aux
Mèdes révoltés, son vain orgueil est comparé à la fierté d'un autre roi
de Crète :

[Sardanapallus] saillit hors de son palaiz ainsi orguilleux a rencontre des Medois ses ennemis comme fist Jupiter le roy de Crète quant il saillit en bataille contre les Gayans quant il les desconfist... et assez tost après Sardanapallus et les siens furent desconfiz . . . (fol 69r).16

Les qualifications de 'roi de Crète', attribuées à Saturnus et à Jupiter, sont des gloses dues au traducteur, Laurent de Premierfait, qui s'est donné beaucoup de peine pour expliquer et commenter le texte de Boccace. C'est de ces deux gloses, où Sardanapale est rapproché d'un roi de Crète, que Villon a pu s'inspirer ; soit qu'il en ait vraiment confondu les données par une lecture rapide où s'est mêlé peut-être le souvenir de Dardanon/Dardanus, le fondateur de l'île de Crète (et fils soit de Saturnus, soit de Jupiter !),17 soit qu'il en ait tiré un non-sens qui ne correspondait pas trop mal au ton burlesque de sa ballade ; dans les deux cas, il n'a fait que se ranger à la logique de celle-là.

Reste à savoir si Villon a lu les deux ouvrages cités. Quant au premier, Renard le contrefait, on ne saurait donner de réponse catégorique, mais quant à l'autre, le livre Des cas, on serait tenté de dire qu'il est plus probable qu'il l'a lu que non, car la traduction de Laurent de Premierfait, surtout la deuxième version de 1409, fut un des plus grands succès de librairie au XVe siècle.18 Tout le monde la lisait :



16: Quant au texte de ces deux passages, Mme E. Dabi, bibliothécaire à Paris, qui a eu la bonté de revoir pour moi les deux mss de la Bibliothèque Sainte- Geneviève (ms. 1128, 51r-53r; ms. 1129, 39r-40v), m'assure que ceux-ci donnent la même leçon que l'édition de Jean du Pré.

17: Pour Dardanus, fils de Saturnus, voir E. Farai, loe. cit ; pour Dardanus, fils de Jupiter, voir Renard le contrefait, loc. cit.

18: P. M. Gdthercole évalue à cinquante-huit le nombre de mss conservés de cette version (et à sept pour la première version) : Modem Language Quarterly, 17, 1956, p. 308.

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reges, principes, nobiles, potius quarti clerici et litterati, summo studio
Boccacii opus a Laurentio translatum et explanatum consectati sunt.19

Mais aussi les 'litterati', qui l'imitaient et la citaient : cf. La vengeance de N. S. Jésus-Christ, Le temple de Bocace de G. Chastellain, les Cent Nouvelles nouvelles, etc.20 — Ces remarques ne concernent que le rôle important joué par Boccace dans la vie littéraire du XVe siècle en général, mais il y a autre chose qui parle en faveur d'une influence plus directe de ses œuvres sur le Testament de Villon. Pour le livre Des cas, il convient de rappeler que la Double ballade est de fait une paraphrase poétique sur le 18e chapitre du livre I qui « parle encontre les femmes en general et en especial » (et où l'auteur, fol 49r, arrive à la même conclusion que Villon : « je te conseille que tu les fuyes toutes ») et que la Ballade au nom de la Fortune, Poésies diverses XII, est un résumé versifié du fond même du livre de Boccace (et surtout du début du livre VI, où Fortune parle à l'auteur). Il est vrai que ces deux thèmes de 'in mulleres' et de 'fortuna' sont des lieux communs au moyen âge, mais on trouvera peut-être une indication plus précise à propos de « Flora, la belle Rommaine » du vers 330 du Testament. Pour ce qui regarde ce vers, on renvoie ordinairement aux Satires de Juvénal ;21;21 mais, en réalité, Juvénal ne dit rien de la beauté de Flora : il ne cite que son nom, tandis que le livre De clans mulieribus de Boccace consacre tout un chapitre àla belle « Flora meretrix ».22 Cet ouvrage, traduit en français depuis 1401, a connu un certain succès au XVe siècle, surtout grâce au succès du livre Des cas, auquel il faisait le pendant.23

Avant de terminer cette longue notice, je dirai encore deux mots en guise de conclusion. J'ai essayé de répondre aux questions posées au début, tant en me fondant sur une interprétation de l'ensemble de la Double ballade qu'en rapportant quelques faits nouveaux. J'espère avoir démontré que les données du vers 641 ne s'opposent pas à une identificationde « Sardana » avec Sardanapale que désignent les vers 643-44. Quant à l'énigme du vers 642, j'avoue que l'argument tiré du livre



19 : H. Hauvette, De Laurentio de Primofato, Paris 1903, p. 56.

20 : voir, pour les références précises : F. A. Smith, « Laurent de Premierfait's french version of thé De Casihus Virorum llliistriiim », Revue de Littérature Comparée, XIV, 1934, p. 512-26 et H. Hauvette, op. cit. p. 61.

21 : 11, v. 49 : « Media non lambit Cluviam née Flora Catullam ».

22 : Chap. 62, fol 44r-v, dans l'édition de Berne, 1539.

23 : H. Hauvette. op. cit., p. lOlss.

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Des cas est des plus faibles, mais ce texte a du moins le mérite de fournir une sorte de point de départ en vue d'une solution ; à l'appui de cette thèse, j'ai enumeré des raisons diverses donnant à penser que Villon a dû lire les œuvres de Boccace. Dans cet ordre d'idées, je rappelle enfin l'influence possible de « Dardanon », cité dans Renard le contrefait. - Tout cela est peut-être un peu vague, mais je suis néanmoinspersuadé qu'il faut rejeter l'hypothèse de L. Thuasne, parce qu'elle part d'une interprétation erronée du vers 641 en négligeant le contexte de l'ensemble de la Double ballade : qu'on suppose que Villon ait prêté à Sardana, le preux chevalier, les mœurs efféminées de Sardanapale,ou qu'il ait prêté à celui-ci les exploits guerriers de celui-là, on se trouvera avoir affaire à un 'argumentum e silentio', puisqu'on n'a retrouvé nulle trace de ce « Sardana » dans d'autres romans de chevaleriemoyenâgeux ; argument assez concluant, vu le grand nombre de romans conservés. - En fin de compte, il vaut mieux s'en tenir aux faits, si minces soient-ils, que de supposer - inutilement - l'existence de 'romans perdus' ; et, si l'explication, proposée ci-dessus, de l'origine du mystère « Sardana, le preux chevalier . . » n'est pas tout à fait satisfaisante,elle n'en constitue pas moins un pas dans la bonne direction - sauf, bien sûr, si l'on préfère voir dans l'énigme une invention de toutes pièces.

Svena Hendrup

COPENHAGUE