Revue Romane, Bind 2 (1967) 2

JORN MOESTRUP: La Scapigliatura. Un capitolo della storia del Risorgimento. Analecta Romana Instituti Danici III. Supplementum. Apud Einar Munksgaard, Hafniae MCMLXVI. 182 p.

Hans Sørensen

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M. Jorn Moestrup, récemment nommé lecteur de danois à l'Université de Florence, a publié un ouvrage qui est le résultat de recherches faites à Rome sous les auspices de l'Académie Danoise. L'étude des «échevelés», c'est-à-dire des écrivains de la bohème milanaise des années 1860-1875, joue depuis longtemps un grand rôle dans la critique littéraire italienne. Toutefois, depuis le livre de Piero Nardi: La Scapigliatura (Bologne 1928), aucun critique n'a entrepris un exposé d'ensemble sur ce groupe d'auteurs, et il faut savoir gré à M. Moestrup d'avoir eu le courage et la patience d'attaquer le problème de front sous un angle nouveau. Bien souvent on a voulu rattacher aux «échevelés» des poètes ou des romanciers de fin de siècle, écrivains qui n'ont cependant pas appartenu au groupe proprement dit (il s'agit entre autres de Gian Pietro Lucini, né à Milan en 1867, et du pré-futuriste Carlo Linati, né en 1878 à Corne); c'est pourquoi M. Jorn Moestrup propose d'assimiler

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comme appartenant de droit à ce mouvement littéraire Emilio Praga, Arrigo Boito, Iginio Ugo Tarchetti, Giovanni Camerana (dans sa première manière) et Carlo Dossi. Il est à noter que M. Moestrup écarte résolument Giuseppe Rovani que Carlo Dossi avait nommé le père de la Scapigliatura; et il a bien fait, car les idées de Rovani (né en 1818) sont entièrement étrangères aux thèmes chers aux échevelés, et que M. Moestrup définit par un dualisme inhérent, conditionné par le désarroi politique et social au lendemain des guerres de l'indépendance italienne. On peut évidemment discuter le bien fondé de cette thèse, que M. Moestrup pourtant a su rendre acceptable. Qui plus est, il l'a illustrée par les portraits vivants et ramassés de ces poètes, les confrontant d'abord à ceux de la génération précédente (notammentà Aleardi, à Prati, à Guerrazzi), et ensuite à leurs contemporains et compatriotes,comme Carducci, Betteloni, Verga. Le rapprochement avec ce dernier me semble particulièrement significatif car, en effet, ce poète, dont les œuvres de jeunesse trahissent souvent un dualisme étroitement apparenté à celui des «bohèmes», avait fréquenté, pendant les années décisives de sa formation littéraire, les milieux milanais des échevelés. Les spécialistes de Verga seront peut-être enclins à préciser les données de M. Moestrup en rapprochant par exemple les compositions du recueil Primavera e altri racconti (1876) pour y ajouter encore quelques-unes des nouvelles milanaises de Per le vie (1883) qui, quoique postérieures au premier recueil de contes siciliens (Vita dei campi 1880) et au premier roman d'ambiance provinciale du grand Sicilien (/ Malavoglia 1881), présentent encore des éléments proprement » dualistes». Il me paraît du reste plus urgent de discuter le roman Eva (1873) qus Una peccatrice (1866), que le jeune critique danois prend comme exemple: en effet, M. Moestrup se contente de résumer les vues de Gaetano Ragonesesur ce livre, alors que l'antagonisme entre l'héroïne d'Eva et le jeune artiste sicilien qui devient son amant paraît le type même d'un «dualisme échevelé».

En ce qui concerne la description des écrivains du groupement proprement dit, il me semble évident qu'on a raison de présenter, comme le fait M. Moestrup, le premier roman de Carlo Dossi, LAltrieri, comme l'œuvre la plus réussie de ce mouvement littéraire dont les membres appartiennent, avouons-le, auxpoetae minores. Toutefois, Tarchetti paraît une figure attirante et peut-être plus intéressante que ne veut nous laisser entendre M. Moestrup. Ne nous arrêtons pas à ces détails, mais regrettons que, dans les chapitres consacrés à Emilio Praga, l'auteur de La Scapigliatura n'ait pas essayé de résoudre la petite énigme littéraire du roman Le Memorie del presbiterio, savoir, de faire la part exacte des pages qui sont dues à la plume de Praga et de celles écrites par ses amis Roberto Sachetti et Antonio Galateo qui avaient entrepris de terminer un ouvrage laissé inachevé. Il ne me paraît pas impossible de trouver le mot de l'énigme par un examen stylistique qui révélerait l'appartenance réelle des chapitres du roman et qui en outre pourrait permettre de préciser le caractère «dualiste» des pages rédigées par Praga lui-même.

D'une manière générale, M. Jorn Moestrup nourrit sa critique d'une abondance de détails et je suis convaincu que ses investigations porteront leurs fruits et que cette thèse de l'Université de Copenhague fera date dans le débat sur la Scapigliatura milanaise. Ajoutons que la belle publication fait honneur à l'Académie Danoise de Rome.

COPENHAGUE