Revue Romane, Bind 2 (1967) 2JEAN DUBOIS: Grammaire structurale du français. Nom et pronom. Paris, Larousse, 1965, 192 p.Gerhard Boysen Side 186
Le succès de la linguistique structurale, si considérable soit-il, est cependant loin d'être universel. Bien des milieux linguistiques, notamment en France, opposent encore au structuralisme une résistance massive. Cette résistance s'explique en partie par la diversité naturelle des doctrines linguistiques, mais il est probable que, dans une certaine mesure, elle est également la conséquence de malentendus, imputables à leur tour à la confusion qui règne souvent lorsqu'il s'agit de distinguer entre les différentes orientations structuralistes. Il n'est pas rare, en effet, de voir objecter à tel courant linguistique structural des arguments qui en réalité devraient plutôt s'adresser à tel autre. La propagation même des théories structurales et les différentes interprétations dont elles ont été l'objet font qu'il ne suffit plus, comme c'était peut-être le cas quand la linguistique structurale en était à ses débuts, de parler de «structuralisme»: il faut maintenant préciser à propos de chaque nouvel ouvrage dans quel sens cette notion de «structure» est exploitée. La distinction fondamentale semble être ici celle qu'on peut faire entre description immanente (c'est-à-dire qui se tient à l'intérieur des faits linguistiques objectivement observables) et description transcendante (à base sémantique, psychologique, etc.). L'utilisation de cette première distinction permet déjà de rendre compte de certaines divergences au sein de la linguistique structurale et, par là même, d'employer le terme de «structuralisme» avec la clarté nécessaire. L'ouvrage de M. Dubois constitue un grand pas en avant dans la recherche de cette clarté. L'auteur ne laisse jamais de doute quant aux principes qu'il suit. S'inspirant surtout de la glossématique et de la linguistique américaine, il rejette la sémantique comme moyen d'analyse et se place, dès les premières pages de son livre, résolument du côté de la description immanente. Son principe directeur est précisément celui de la commutation: «le sens vérifie l'identité ou la non-identité des énoncés, et rien de plus; il est là à titre de technique. Jamais il ne sera interprété, analysé, encore moins sera-t-il pris comme mesure; on constate la modification de sens sans se servir de la valeur sémantique» (p. 7). Ainsi, le livre tient tout ce que promet son titre: c'est une grammaire du français, où tous les faits concrets sont classés et décrits à la lumière d'une méthode fonctionnelle, et cette grammaire est structurale, comme le garantit la méthode fonctionnelle. On peut même dire que le livre dépasse les promesses du titre: on s'attendrait à voir traitées les seules catégories nominales, mais en réalité de nombreux problèmes concernant le verbe sont touchés, car l'auteur commence par l'étude du nombre, catégorie verbo-nominale. En revanche, l'absence d'un chapitre sur le cas peut étonner au premier abord, mais elle est justifiée par la dernière partie sur les «substituts», c'est-à-dire les pronoms. Tout en soulignant l'importance de la méthode fonctionnelle, M. Dubois se réserve le droit (p. 8) de ne pas négliger complètement pour autant la substance sémantique. Mais il définit bien son point de vue en insistant sur le fait que cette étude sémantique est secondaire par rapport à la description immanente. Ceci Side 187
dit, il faut constater que M. Dubois donne parfois une place assez large à la sémantique.Pour n'en citer qu'un exemple, le raisonnement sur la «lexicalisation» des pluriels en -aux (p. 30) repose sur des fondements sémantiques (émail en face de émaux). Dans les deux premiers chapitres du livre, l'auteur passe en revue toutes les distributions des morphèmes de nombre et de genre. La stricte distinction entre langue parlée et langue écrite lui permet de mettre en relief plusieurs faits frappants qui souvent ne retiennent pas suffisamment l'attention dans les grammaires: la faible exploitation du morphème de nombre dans le substantif français (pp. 27-28), comparaison intéressante entre le pluriel de la catégorie nominale et celui du verbe (p. 38), utilisation des pronoms rien et personne pour assurer la délimitation objective des domaines animé et inanimé (Qui as-tu vu? Personne. / Qu'est-ce que tu as vu? Rien.) (p. 55). C'est avec un intérêt particulier qu'on aborde le chapitre sur les «substituts». Ici encore, les mérites de ia méthode de M. Dubois sautent aux yeux: l'auteur dénonce l'erreur de la grammaire traditionnelle qui sépare le article et le pronom (p. 101), il met en lumière la parenté entre quel et lequel (p. 102), et il apporte des arguments intéressants pour admettre on comme pronom personnel et non comme indéfini (p. 112). Le sujet de M. Dubois est le français moderne, et ce n'est que par-ci par-là qu'il a pu se livrer à des observations sur l'état antérieur de la langue. Néanmoins, puisqu'un des problèmes les plus importants de la linguistique fonctionnelle à l'heure actuelle est précisément celui de son application diachronique, on ne peut s'empêcher de porter une attention toute spéciale aux remarques de M. Dubois sur les questions historiques. Or M. Dubois se prononce, avec raison à notre avis, pour une explication des évolutions syntaxiques par les changements phonétiques («L'amuïssement de l'i et la présence nécessaire de l'article sont cause et effet l'un de l'autre» (p. 35,);, ce qui indique la possibilité, contestée récemment par M. Moignet, d'une explication diachronique interne, tel changement historique pouvant être ramené à tel autre. Comme nous l'avons laissé entendre, les mérites de l'ouvrage de M. Dubois résident avant tout dans le fait qu'il constitue l'application systématique d'une méthode linguistique, d'autant plus que cette méthode, au moment où paraît le livre, ne jouit pas d'une grande faveur en France. Par contre, ce qui nous paraît le plus discutable dans le livre, ce sont les points où l'auteur se lance dans l'innovation quant à la méthode. Cela vaut par exemple pour la notion de «substitut»: puisque M. Dubois reconnaît lui-même (p. 99) que cette appellation ne rend pas compte de toutes les fonctions de la classe de mots en question, pourquoi ne pas garder le terme traditionnel de «pronom»? Les arguments qu'apporte l'auteur pour remplacer le terme d'«accord» par celui de «redondance» (pp. 25-26) nous paraissent aussi peu convaincants. Ceci nous amène à formuler une réserve plus générale à l'égard de la terminologie de M. Dubois. C'est peut-être pour ne pas enlever à sa grammaire son caractère de manuel pratique que 1 auteur se sert d un vocabulaire tres usuel (comme il n'entre guère en général en discussion explicite avec d'autres écoles linguistiques). Mais lorsque dans ce vocabulaire tout à fait général il y a des termes qu'on emploie Side 188
souvent avec un sens spécial en linguistique, la clarté de l'exposé risque d'y perdre. Ainsi, le terme de «marque» est employé par M. Dubois le plus souvent dans un sens général, plutôt synonyme de «morphème», parfois dans le sens plus particulier où l'a adopté l'école de Prague (p. 150: «le cas non marqué du verbe»). Passons
maintenant à quelques remarques de détail: p. 43: il n'est
guère exact de dire que les adjectifs en -al «ne peuvent
pratiquement p. 98: faire est considéré par l'auteur comme substitut verbal dans que fait-il? Mais ne serait-il pas plus naturel d'y voir un verbe normal, au sens plein, en appliquant justement le critère mentionné par M. Dubois p. 100, critère suivant lequel faire est substitut verbal seulement dans les cas où il est accompagné du pronom le, comme dans l'exemple cité: «II écrit aujourd'hui à sa grand-mère, comme il ls fait tous les mois». p. 114: l'auteur mentionne sans les distinguer les emplois de on équivalant à je et à nous. A notre avis, le premier de ces deux emplois est bien plus rare que le second, pp. 149-50: M. Dubois remarque fort bien que l'absence de l'article coïncide souvent avec la forme neutre du verbe (le présent), par exemple dans les locutions proverbiales: Comparaison n'est pas raison. On pourrait développer encore plus cette observation en ajoutant que dans de tels cas, comme dans les exemples cités par l'auteur, le substantif est au singulier, c'est-à-dire à la forme non-marquée, tandis que l'article réapparaît parfois avec le pluriel: Les petits ruisseaux font les grandes rivières. La Grammaire
structurale du français a déjà reçu un accueil très
favorable. A COPENHAGUE
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