Revue Romane, Bind 1 (1966) 1-2John Pedersen: Jean Giraudoux's romaner, en studie i komposition og stil (Les romans de Jean Giraudoux, étude de composition et de style). Studier fra sprog- og oldtidsforskning, udgivet af Det filologisk-historiske samfund, nr. 258, Copenhague 1965, 88 p.Holger Sten
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Le titre de cet ouvrage rappelle celui du livre bien connu de M. Hans Sorensen «Le théâtre de Jean Giraudoux, technique et style» (1950). Le parallélisme des termes n'est évidemment pas une simple coïncidence. Rien de plus naturel que de parler de style en s'occupant de Giraudoux, et «technique d'une œuvre théâtrale» aussi bien que «composition d'un roman» semblent appartenir à la terminologie courante. Mais dans le temps on a pourtant reproché aux romans de Girandoux de manquer justement de composition. J'ai pensé depuis longtemps que c'est un jugement complètement erroné. J'avais remarqué surtout l'amusante distribution des trois premiers chapitres de «Bella»: chapitre I, description de la famille Dubardeau, chapitre 111, description des Rebendart, et le chapitre II constituant un chapitre de liaison (c'est bien le cas de le dire). On dira que c'est une observation assez facile, qu'il s'agit d'un cas isolé, ou que c'est encore un trait d'esprit de Giraudoux. Mais le livre de M. Pedersen m'a fourni la preuve décisive que je n'avais pas eu tort. Ce sont évidemment les nombreuses fioritures et digressions de l'œuvre romanesque qui ont dérouté quelques critiques (il y a d'ailleurs à la page 53 un passage intéressant qui traite justement de la fonction des digressions). Il est vrai qu'il faut avoir quelque haleine pour savoir poursuivre une forte structure à travers une si grande foule de détails et d'à-côtés. Mais la structure est là. M. Pedersen étudie la composition sous les aspects de l'intrigue, des thèmes et des personnages. Il constate l'existence de deux types d'intrigues : l'intrigue-cercle {Suzanne et le Pacifique, Juliette au pays des hommes, Les Aventures de Jérôme Bardini et Choix des Elues) et l'intrigue-conflit {Siegfried et le Limousin, Bella, Simon le Pathétique, Eglantine, La Menteuse, Le Combat avec Fange). Et l'intrigue, dit M. Pedersen, n'a de raison d'être qu'en fonctiondes thèmes traités. Eux aussi sont très peu variés: le thème de l'évasion (Juliette au pays des hommes, Les Aventures de Jérôme Bardini et - avec quelques réserves, puisque l'exil de Suzanne est involontaire - Suzanne et le Pacifique) et le thème du conflit (p. ex. Siegfried et le Limousin, Bella). Le mot «conflit» évoque naturellement un trait dominant de l'art dramatique, et M. Pedersen n'a en effet pas manqué de constater des parallélismes frappants dans le traitement du thème-conflit entre l'œuvre romanesque et l'œuvre théâtrale de Giraudoux (p. 25). Je ne peux pas m'empêcher de penser que si on avait mieux compris la structure des romans du grand écrivain on n'aurait pas considéré comme une sorte de gageure le fait qu'il a abordé le théâtre en 1928. J'avoue qu'il est facile de le dire tant d'années après. Les conflits traités dans les romans (comme dans le théâtre) sont les rapports entre les sexes et le problème de la guerre et de la paix. Et la présentation de ces conflits est étroitement liée à l'étude des personnages (Les deux aspects sont en effet traités dans le même chapitre - pp. 22-23). Constater qu'il y a une sorte d'intrigue, qu'il y a des thèmes et des personnages ne suffit évidemment pas à prouver que les romans de Giraudoux sont bien composés: L'intrigue pourrait être mal conduite, etc. Mais après les considérations générales M. Pedersen en vient au concret (pp. 34 ss.) Il fait une analyse approfondie de trois romans {Juliette au pays des hommes, Bella, Choix des Elues). Il montre qu'il est parfaitement possible de dégager les grandes
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lignes et de voir la structure bien ordonnée d'une œuvre réputée touffue. Je crois qu'on pourrait ajouter d'autres aspects que ceux étudiés par M. Pedersen (quand en aurait-on fini avec Giraudoux?). Je voudrais mentionner p. ex. les motifs. Je n'insiste pas sur le motif de la Marne dans Suzanne, puisqu'il se trouve dans un seul chapitre; mais le motif de l'éléphant dans Combat montre que Giraudoux plane au-dessus de son œuvre et qu'il tient les fils bien en mains. Pour ce qui est du style, la critique n'a guère fait d'erreurs de jugement considérables. Il est vrai, comme le dit M. Pedersen (p. 65), qu'on s'est souvent contenté d'émettre des banalités. Mais les banalités ont au moins pour elles d'être généralement justes. Comme il se doit on s'est mainte fois servi du cliché préciosité à propos du style de Giraudoux. 11 acceptait lui-même le terme («Tu obliges ce soir l'Olympe à parler un langage bien précieux», Amphitryon 38). Car il y a aussi la préciosité de bon aloi, celle de Giraudoux - et celle de Molière dans son Amphitryon à lui. D'ailleurs: Dès qu'on s'écarte de «la langue de tous les jours» pour faire œuvre d'art avec les mots, on a peut-être déjà fait le premier pas vers la préciosité. Il faut bien mentionner le sourire de notre auteur. M. Mauriac n'a-t-il pas parlé justement du «sourire inoubliable de Jean Giraudoux»? On peut reconnaître avec M. Pedersen qu'il ne s'agit pas là d'une figure de style généralement acceptée, mais on lui donnera raison aussi quand il dit que le terme est bien à sa place ici. Car employer à ce propos le mot «sourire» qu'est-ce autre chose que caractériser ce merveilleux amalgame de l'intelligence et de la tendresse qui constitue le charme de l'œuvre de Giraudoux? Pour le problème du style non plus M. Pedersen ne se contente pas de méditations générales. Il nous présente un commentaire pénétrant de trois passages bien choisis de Bella qui nous aide à mieux comprendre le secret de l'art giralducien. On voit que j'ai entremêlé ce compte-rendu de réflexions personnelles. L'auteur du livre ne m'en saura certainement pas mauvais gré. Il se rendra compte que son travail a été une source d'inspiration pour moi. Il est étonnant comme cette étude relativement courte (81 pages) est riche en remarques judicieuses et en points de vue d'ensemble intéressants. J'en peux vivement recommander la lecture à tous ceux qui aiment Giraudoux - et à ceux qui ne le connaissent pas encore assez. COPENHAGUE |